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Société de Géographie commerciale de Bordeaux, Bulletin, n° 22, 1897. M. Mayet, V Alcoolisme. Rendiconti délia reale Accademia dei Lincei, classe di sciense morali, storiche e filologiche, série V, vol. VI, fascicules 9 et 10. Atti délia reale Accademia dei Lincei, classe di scienze fisiche, mate- matiche e naturali, vol. VI, fascicules 10, 11 et 12, 2 e semestre. Verhandlungen der Berliner Gessellschaft fur Anthropologie, Ethno- logie und Urgeschichte, juin et juillet 1897. Correspondent blatt der deutschen Gesellschaft fur Anthropologie, Ethnologie und Urgeschichte, 28 e année, n ot il et 12. Revista de Sciencias naturaes e sociaes, vol. V, n°» 18 et 19. Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, n 0, 5, 6, 7 et 8. Journal of the Asiatic Society of Bengal, vol. LVXI, n° 2, juillet, n° 3, septembre, et n° supplémentaire de novembre. 8 société d'anthropologie de lton Bulletin of the Muséum of comparative zoology, vol. XXXI, n° 5. Annual report of the curator ofthe Muséum of comparative zoology, 1896-1897. Journal of the Anthropological Institut of Great Britain and Ire- land, toI. XXVII, n° 21. G. A. Grierson, The Kaemiracabdamara, M. Cadéac, Contribution à Vètude de V alcoolisme. — Recherche phy- siologique sur Veau de mélisse, — Contribution à Cétude de la liqueur d'absinthe, — Étude physiologique sur les essences de Vèlixir de garus, ÉLECTIONS M. le D r Fouquet, au Caire, et M. Georges Legrain, inspecteur des Monuments égyptiens, au Caire, présentés par MM. E. Chantre, Dor et L. Mayet, sont élus membres correspondants de la Société d'anthropologie. M. le D r Geley, de Lyon, présenté par MM. Dor, Guinard, Artaud, est élu membre titulaire. CANDIDATURE Présentation de la candidature de M. le D r Yauthey, de Vichy. COMMUNICATION DU BUREAU M, le Président est heureux d'annoncer que l'Académie des Sciences vient de décerner le prix Martin-Damourette 1400 fr., à M. L. Guinard. Cette haute récompense a été value à notre sympathique collègue, par ses remarquables travaux sur 1° Les alcaloïdes de l 'opium; 2° Sur certains accidents de Vanesthésie; 3° Résistance de la peau saine à la pénétration des médica- ments et des poisons. Ce dernier mémoire a été lu à la Société d'anthropologie, en la séance du 12 décembre 1896 et inséré au Bulletin 4 . 1 Voy. Bulletin de la Société d'anthropologie de Lyon, t. XV, p. 213-294, 1896. SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 9 M. le Président félicite vivement M. Guinard et lui dit combien la Société est heureuse de voir ses recherches avoir une telle con- sécration. Les paroles de M. Dor sont accompagnées d'unanimes applaudissements. DISCOURS DE M. LE D r H. DOR, PRESIDENT Messieurs et chers Collègues, En prenant possession du fauteuil de la présidence de votre Société où vous avez bien voulu m* appeler, ma première parole sera pour vous exprimer ma sincère reconnaissance et en même temps l'espoir que votre entière collaboration suppléera à mon insuffisance. En appelant deux fois de suite des oculistes à présider votre Société vous avez voulu affirmer qu'aucun organe du corps humain n'est indifférent à l'étude de l'anthropologie et que l'œil, en parti- culier, peut fournir des documents intéressants. En effet, plusieurs questions seraient dignes d'être élucidées par notre Société. En premier lieu je vous citerai le mode de propagation d'une maladie assez rare chez nous, mais qui, dans maint pays, fait le désespoir des oculistes, je veux parler de Yophtalmie granu- leuse, du Trachome, qui n'est guère connue en France et en Suisse que depuis qu'elle a été propagée par des ouvriers revenant des travaux entrepris pour le percement du canal de Suez. Eh bien, cette même maladie, encore rare chez nous, se présente chez 13 à 15 pour 100 des malades qu'ont à soigner les oculistes de la Prusse orientale ou septentrionale à Posen et à Kônigsberg. En Russie, la fréquence varie de 4 pour 100 à Moscou, 6 pour 100 à Rostow, 9 pour 100 à Pétersbourg, iO pour 100 à Helsingfors, 12 pour 100 à Varsovie, 15 pour 100 à Odessa, 20 pour 100 à Riga, Kharkow et Kasan, jusqu'à 25 pour 100 à Kiew. S'agit- il ici d'une question de race, comme le croit mon ami Chibret, deClermont-Ferrand,quiapublié plusieurs articles pour 10 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON démontrer l'immunité de la race celtique ou d'une question tellu- rique ou d'altitude, ou enfin de simples habitudes de malpropreté tenant, soit au manque d'eau, soit à l'habitude de ne pas se servir de ce précieux liquide comme semble le penser M. Hirschibeg ? Ge spnt là tout autant de questions dignes de fixer l'attention de notre Société. Un autre point digne d'intérêt serait l'étude de l'acuité visuelle chez les différents peuples. Il semble démontré que les Peaux- Rouges de l'Amérique du Nord sont capables de distinguer à de grandes distances des objets invisibles pour nos jeux européens. Malheureusement les mensurations exactes font défaut et les seules que nous connaissions se rapportent à quelques populations du Nord de la Sibérie qui auraient une acuité visuelle deux fois et demie supérieure à la nôtre. La question de la couleur des yeux, ou plus exactement de l'iris, a attiré l'attention des anthropologues. Une classification a même été proposée par Broca, mais le nombre des variétés admises est si grand que le tableau n'a jamais servi à ma connaissance. Il me semble que Ton ferait mieux de s'en tenir aux douze teintes admises dans les collections courantes des fabricants d'yeux arti- ficiels, quitte à y ajouter un ou deux types pour les individus des races bronzées ou nègres. Nous possédons très peu de documents sur des examens, faits par des oculistes, des yeux d'individus appartenant à d'autres races qu'à la race blanche. Toutefois, dans un manuel des maladies des yeux, publié à Londres en 1868, Macnamara, qui a longtemps habité Calcutta, publie plusieurs dessins du fond de Vœil vu à Vophtalmoscope chez les Hindous. Le fond de l'œil est grisâtre et la papille du nerf optique plus rosée que dans notre race. J'ai constaté moi-môme que le fond de l'œil du nègre est d'une couleur gris-ardoise assez foncé. Enfin, chez deux dastèques présentés dans une baraque de foire, j'ai pu constater, par la couleur grisâtre claire du fond de l'œil, qu'il s'agissait bien d'individus appartenant à une autre race que la nôtre et pas de simples microcéphales. Une autre question dont l'étude devient de plus en plus urgente SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 11 est celle du développement progressif de la myopie chez tous les peuples civilisés, tandis que cette affection est encore inconnue dans certaines populations. Furnari prétend n'en avoir pas trouvé un seul cas chez les Kabyles et Macnamara écrit ce qui suit Il est extraordinaire de constater combien les anomalies de la réfrac- tion sont rares chez les basses classes dans l'Inde. Elles semblent ne pas exister du tout chez certaines races. J'ai habité chez les Sonthals, les indigènes du Bengale, j'ai séjourné sur les collines du Rajahmahal et je n'ai négligé aucune occasion d'examiner les jeux des individus avec lesquels j'étais en rapport, cependant je n'ai jamais trouvé un Sonthal dont les yeux n'auraient pas été normaux. » Pour la France, nous ne possédons que deux statistiques, une ancienne de Szokalski 1848, portant sur les élèves du Collège Charlemagne de la neuvième à la première classe où il trouve 11 pour 100 de myopes, sur le lycée Louis-le-Grand 14,6 pour 100, et une de Gayat à Lyon 1874, qui ne trouve que 3,27 pour 100, mais Gayat a fait des recherches dans des écoles très différentes, se fiant un peu au hasard des seules réponses des élèves et ne por- tant pas sur tous les élèves d'établissements identiques à ceux qui avaient servi de base aux travaux publiés à l'étranger. J'ai donc cru qu'il y avait un vrai intérêt à étudier la question à nouveau et, en 1877, j'ai examiné tous les yeux des élèves du Lycée de Lyon. Sur 1016 élèves examinés, j'en ai trouvé 22,38 pour 100 de myopes. Les tableaux que je vous présente fig. 1, 2 et 3 donnent la courbe d'après l'âge des élèves. Je mentionnerai spécialement qu'en suivant la division établie dans le lycée d'élèves internes, demi-pensionnaires et externes, j'ai obtenu les chiffres suivants Internes yeux myopes . . . 32,84 pour 100. Demi-pensionnaires 29,07 — Externes 17,93 — Ge n'est point ici le lieu d'entrer dans toutes les considérations que l'on pourrait tirer de ces chiffres, mais on ne peut méconnaître l'influence qu'exerce sur la vue des élèves un séjour prolongé dans les murs du lycée. 12 SOCIÉTÉ D*ANTHROPOLOGIB DR LYON En Suisse, en Allemagne et en Russie, la proportion varie de 25 à 35 pour 100. A Tiflis, Reich trouva dans le gymnase classique 30 pour 100 chez les Russes, 38 pour 100 chez les Arméniens et tiàe* 740 r FIO. 1 tyon ! 1 _ 1 130 ' f 1 ft/i izo - • ' » 1 . 110 ' /m 700] ec • 1 / 1 — —4 "-"— 1 70 \ \ so — 1 ' 50 i r Veux myopes ii ,N » V***' îi>fc sN j ^ . . .^rifgk il ff 1 - J 1 P" JALaî/MI je 5 6 7 6 5 10 fMI tf 74 75 76 77 M 75 10 27 ti 23 45 pour 100 chez les Géorgiens. Ge sont de pareils chiffres qui ont arraché à un auteur réaliste français ce cri du coeur Il n'y aura bientôt plus que la canaille qui aura de bons yeux. » Loring, à New- York, arrive à une moyenne de 18,95, pour 100, mais elle se répartit de la manière suivante élèves Allemands SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 13 23,33 pour 100 ; Américains 19,35 pour 100/ Irlandais 14,28 pour 100, tandis que, également à New-York, nous ne trouvons que 2,6 pour 100 sur 457 élèves de couleur. 70 65 60 55 50 45 40 35 30 *5 *o 15 w Lyon °/ des yeux . î 1 p I 1 . 1 1 , y / V / [/ \ i r i ! [ i i i i i 1 i * • i l A£ 7 8 $ 10 11 1M3 /4 15 16 17 16 19 20 XI Nous voyons aussi le même fait se reproduire en Suisse oà, dans les écoles d'instituteurs, Pflûger trouva pour 100 chez les instituteurs de la Suisse française et 24,3 pour 100 sur ceux de la Suisse allemande. Mais la question prend un intérêt spécial au point de vue de 14 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON l'anthropologie grâce aux nombreuses mensurations de l'orbite exécutées par Stilling,de Strasbourg. Il a, en effet, démontré que a myopie se développe surtout dans les orbites abaissées tandis que les orbites hautes, élevées, renferment ordinairement des jeux normaux. La vraie disposition à la myopie résiderait donc dans PIG. 3 * B ^f 7 JJP.iiceffl New-York IL Lyon Age 7 8 9 10 11 12 13 H 15 16 17 16 19 M il la forme de l'orbite et du crâne. La forme de l'orbite dépend de la structure du squelette du visage, les visages étroits leptopro- sopie ayant des orbites élevées hypsikonchie, et les visages larges chamaeprosopie des orbites abaissées chamœkonchie. Se basant sur ces formes diverses de l'orbite, Stilling explique le développement de la myopie par l'allongement oculaire produit par la compression sur l'œil du muscle grand oblique, compression beaucoup plus considérable lorsque la poulie du trochléaire est rapprochée de l'œil que lorsqu'elle en est éloignée. 8BAN0E DU 15 JANVIER 1808 . 15 Cette loi expliquerait non seulement l'hérédité de la myopie dans les familles, mais encore sa répartition différente dans les différents peuples. Dans l'Allemagne du Sud, Bade, la Bavière, le Wurtemberg, le type prédominant est celui de la figure large; en Angleterre, aux Etats-Unis, en Californie prédomine au con- traire le type de la figure élevée. Là, le nombre des myopes dans les classes cultivées est relativement faible, tandis qu'en Bavière, où l'on ne travaille probablement pas plus qu'ailleurs, les deux tiers des gens cultivés sont myopes. Cette loi de la dépendance de la myopie de la forme de l'orbite et du squelette de la face est surtout évidente dans les contrées où cohabitent les deux types, comme l'Alsace, la Suisse et la Sicile. C'est ainsi qu'à Genève, les indigènes ne présentent que peu de myopes, tandis que chez les Allemands immigrés, les myopes sont très nombreux, et pourtant ils exécutent dans les mêmes écoles les mômes travaux. Mais j'ai peur d'abuser de votre attention en m'étendant plus longtemps sur un point aussi spécial que celui de la myopie. Toutefois comme l'article premier de nos statuts dit que la Société d'anthropologie a pour but l'étude de l'histoire naturelle de Tbomme », je voudrais encore vous entretenir quelques instants d'un sujet qui a, dans ces derniers temps, fixé l'attention de quel- ques auteurs distingués je veux parler du centre cortical de la vision. Depuis que Broca eut démontré dans la troisième circonvolu- tion frontale le siège du langage articulé, on s'est appliqué à déterminer la localisation de nombreux centres corticaux. Malheu- reusement, la gravité des lésions qu'il faut faire pour provoquer expérimentalement des destructions toutes limitées de l'écorce du cerveau, est telle que les résultats de ces expériences ne répon- dirent point à ce qu'on en attendait. Il en est de même de la méthode des dégénérescences. Pour arriver à un résultat positif, il fallut se contenter d'examiner avec beaucoup d'attention toutes les lésions localisées produites par la maladie, tous les cas d'hé- morragies ou de ramollissement cérébral suivis d'autopsie. Mal- heureusement ces lésions sont souvent assez étendues. Munk et 16 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Huguenin forent les premiers à démontrer qu'une lésion des couches corticales du lobe occipital produisait une hémiopie par altération de la moitié de chaque rétine située du côté de la lésion cérébrale. Depuis lors, le nombre des obserrations s'est sensiblement accru et petit à petit on en est venu à localiser a la région du coin cunéus le siège d'une affection capable de pro- duire une hémiopie homonyme complète. Les travaux les plus importants parus dans ces dernières années sur ce sujet sont ceux de Monakow, Wilbrand, Yialet et surtout Henschen. Vialet en 1892, conclut de ces observations que tous ces cas nous montrent que les lésions corticales les plus circonscrites capables de pro - duire l'hémianopsie ou la cécité corticale, suivant qu'elles sont unilatérales ou bilatérales, siègent à la face interne du lobe occi- pital en rayonnant dans le domaine de la scissure interne, et il ajoute Le centre cortical de la vision occupe toute V éten- due de la face interne ; il est limité en avant par là scissure perpendiculaire interne, en haut par le bord supérieur de l'hémisphère, en bas par le bord inférieur de la 3* occipitale, en arrière par le pôle occipital. » Disons en passant que rien jusqu'ici dans les faits anatomiques n'autorise à admettre dans le centre visuel une série de centres secondaires distincts pour ïespace, la lumière et les couleurs comme l'admet Wilbrand. Par contre, il existe une vérité psychi- que consistant dans le fait que le malade capable de percevoir les sensations visuelles est incapable d'interpréter la signification des images perçues. Le centre des souvenirs visuels comme l'appelle Wilbrand, en opposition au centre de perception dont nous nous sommes occupé jusqu'ici se trouverait à la face externe du lobe occipital. Mais M. Henschen, qui publie depuis plusieurs années un ouvrage remarquable sur la pathologie du cerveau, dont le premier fascicule a paru à Upsal en 1890, va plus loin que M. Yialet. En examinant tius les cas de lésion du cerveau dont il a pu faire l'autopsie, en tenant compte non seulement des cas accompagnés d'hémiopie, mais aussi de ceux dans lesquels des lésions macrosco- piquement similaires n'étaient pas accompagnées d'hémiopie, il I SÉANCE DU i5 JANVIER 1898 17 est arrivé à localiser beaucoup plus exactement le centre visuel. Pour lui, il est exactement limité à Vécorce de la scissure cal- canne. Il va même plus loin et il arrive avec Wilbrand à différen- cier une portion antérieure correspondant aux fibres du faisceau maculaire de l'œil, tandis que la lèvre supérieure de la scissure extérieure correspondrait à la moitié supérieure dorsale, celle de la lèvre inférieure à la moitié inférieure ventrale de la rétine. C'est donc avec raison qu'il part d'une rétine cérébrale ou plus exactement corticale. Messieurs, j'ai reçu la semaine dernière, de M. le professeur Henschen, une brochure sur un nouveau cas de blessure du cer- veau confirmant absolument sa théorie de la rétine corticale, et c'est l'étude de ce cas qui m'a donné l'idée de vous faire le petit exposé que je viens de vous présenter. Il s'agit d'un jeune homme qui reçut une balle de revolver à l'angle interne de l'œil gauche et le projectile passa a la base du cerveau et vint se loger dans le lobe occipital du côté droit; le malade fut trois semaines sans con- naissance et, à son réveil, il ne pouvait ni parler, ni comprendre ce qu'on lui disait ; le côté gauche du corps était insensible. L'œil gauche dut être énucléé, puis tous les symptômes s'amendèrent graduellement, et il put quitter l'hôpital au bout de six mois. Six mois plus tard, il revint se plaignant d'une céphalalgie dans la région du lobe occipital droit. L'intelligence est bonne. Il y a une aphasie sensorielle légère; l'odorat est aboli; il existe une dimi- nution de Vacuité visuelle dans le secteur nasal inférieur. La sensibilité est légèrement diminuée dans tout le côté gauche, qui est en outre parétique, et le bras gauche contracture. Henschen conclut de la limitation du champ visuel que la balle devait se trouver dans la région supérieure de la rétine corticale, soit au-dessus de la lèvre supérieure de la scissure calcarine. On fit radiographier le muscle et la radiographie, comme vous pouvez le voir dans les planches que je vous présente, confirma le diagnostic. L'opération fut faite le 2 février 1807 et le malade guérit. J'espère, Messieurs et chers collègues, vous avoir démontré par ce court résumé que, dans l'étude spéciale de l'œil et de ses maladies, il y a encore quelques épis à glaner pour l'anthropologie. 18 société d'anthropologib db lton COMMUNICATIONS LA GÉMELLITÉ SELON L'AGE DE LA MÈRE ET LE RANG CHRONOLOGIQUE DE L'ACCOUCHEMENT Af. Mayet attire l'attention sur une récente communication faite i la Société de statistique de Paris par M. le D r Bertillon, et relative i la gémellité selon l'âge de la mère et le rang chro- nologique de l'accouchement. La question de la gémellité a été longuement discutée à la Société d'anthropologie dans ses séances de janvier et de février 1897, à l'occasion du mémoire de M. Dejouany 1 , présenté par M. le professeur Lacassagne. Aucoursdela discussion, M. Lesbre avait fait remarquer que le nombre des petits, chez les animaux, augmente avec l'âge des reproducteurs. Les chiffres récemment mis en lumière par M. Bertillon mon- trent que la race humaine suit la loi générale. c La ville de Munich publie depuis plus de quinze ans la statis- tique des naissances illégitimes, simples ou multiples, selon l'âge des parturientes. D'après les chiffres de cette statistique, on compte, pour l'ensemble, 10,5 grossesses doubles sur 1000 gros- sesses ; mais si l'on envisage l'âge de la mère, on relève les diffé- rences suivantes De 18 à 20 ans 21 à 25 — 26 à 30 — 31 à 35 — 36 à 40 - 41 à 45 — * A. Dejouany, De la grossesse double au point de vue médico-légal, th. de Lyon, 1896. SBANCB DU 15 JÀNY1BR 1898 19 Ainsi , la fréquence des naissances gémellaires augmente avec Vdge delà mère % au point que, de trente-six à quarante ans, elle est quatre fois plus forte qu'elle ne Tétait de dix-huit à vingt ans. c Cette conclusion se trouve confirmée par la statistique de la Nouvelle-Galles du Sud et surtout par celle de la ville de Saint- Pétersbourg. Nouvelle-Galles du Sud 1893-1895. De 15 à 19 ans 20 à 24 — 25 à 29 — 30à34— 35à39 — 40 à 44 — 45 à 49 — Moyenne. . . . Ville de Saint-Pétersbourg 1882-1892. De 16 à 20 ans 21 à *5 — 26 à 30 — 31 à 35 — , 36 à 40 — 41 à 45 — 46 à 50 — Moyenne. . . . Le document russe fait connaître, en outre, le rang de l'ac- couchement, et cette donnée jette sur la question un jour entière- ment nouveau. On vient de voir que, pour la ville de Saint- Pétersbourg, on comptait 14 grossesses doubles sur 1000 gros- sesses; le tableau suivant met le chiffre proportionnel des naissances gémellaires en regard du nombre des accouchements de la mère. S'il s'agit 20 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE PE LYON Du i* r accouchement 2 e — 3» — 4» - * 5 — 6 e — 7» — 8» — 9» — 10» — Des accouchements suivants .... La progression est ininterrompue. Une primipare a trois ou quatre fois moins de chances de procréer des jumeaux qu'une femme qui en est à sa neuvième ou dixième grossesse. Ce résultat est il dû à l'âge qu'ont nécessairement atteint des femmes qui ont eu un si grand nombre d'enfants ou bien à ce que les femmes sont d'autant plus multipares qu'elles sont plus âgées. Le docu- ment russe permet aussi de répondre à cette question, car il dis- tingue simultanément l'âge des parturientes et le nombre de leurs grossesses antérieures. c L'influence de l'âge est moindre que celle du rang de l'accou- chement. La gémellité des primipares de trente-six à quarante ans dépasse de peu celle des primipares de vingt et un à vingt- cinq ans; sur les mères dont six naissances ont déjà prouvé la fécondité, l'influence de l'âge est nulle, tandis que Xexistence de nombreuse* grossesses antérieures augmente considérable- ment la probabilité d'une grossesse gémellaire. » Ces documents récents complètent la discussion ayant eu lieu il y a un an à la Société d'anthropologie de Lyon, et il était inté- ressant de les rappeler ici *. 4 Voy. Bulletin de la Société oV anthropologie de Lyon, t. XVI, p. 181-193 et 205-209, 1897. — Semaine médicale, 5 janvier 1898. SÉANCE DU 15 JANVIER 1808 21 D18CU8SION SUR LA COMMUNICATION DE M. L. MAYET SUR L ALCOOLISME ET QUELQUES-UNES DE SES CONSÉQUENCES Séance du 4 décembre 1897. Avant d'ouvrir la discussion, Fauteur résume ainsi ses conclu- sions L'alcool pris en quantité modérée a une action bienfaisante, est un aliment utile, un médicament tonique précieux. L'alcool pris en excès est un poison dans toute l'acception du mot, un poison pouvant produire l'intoxication aiguë ivresse alcoolique, coma alcoolique, delirium tremens, l'intoxication chronique, l'intoxication héréditaire. L'intoxication par l'alcool semble due surtout à l'alcool. Les essences ajoutées à l'alcool liqueur d'absinthe, amers, apéritifs, liqueurs, les impuretés contenues dans l'alcool mal rectifié alcool de grains, de pommes de terre rendent plus rapide, plus intense, plus dangereuse l'intoxication et modifient son aspect clinique. L'hérédité léguée par l'alcoolique est terrible. Les maladies mentales reconnaissent pour cause absolue l'abus de l'alcool dans 12 à 20 pour 100 des cas. L'augmentation de la criminalité, des attentats contre les indi- vidus, du nombre des suicides semble être en rapport direct avec l'augmentation delà consommation de l'alcool. Celle-ci — non pas la consommation de l'alcool de vin qui n'atteint pas hectolitres, mais celle de l'alcool industriel mélasses, grains, pommes de terre, etc. — s'accroît chaque année d'une façon inquiétante 4 Voy. Bulletin de la Société d'anthropologie, t. XVI, fascicule 2, p. 493-731, 1897. Soc anthr., t. XVII. — 1896. 2 22 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LTON 1850. . . , . hectolitres d'alcool por. 1860. . . . 1870. . . . 1880. . . . 1800. . . . 1896. . . . _ —_ sans compter la fraude qui est considérable et, de son côté, atteint presque ces chiffres. Aussi le danger devient-il chaque année plus menaçant. Après avoir été longtemps un mal individuel, l'alcoolisme se généralise et envahit toute la nation. Gela surtout depuis la ruine des vignobles français par le phylloxéra qui a fait jeter d'énor- mes quantités d'alcools industriels sur le marché et remplacer le goût légitime du vin par celui de l'eau-de-vie plus ou moins chargée d'impuretés, plus ou moins additionnée d'essences très toxiques. L'alcoolisme héréditaire s'étend de plus en plus ; inconnu en France il y a moins d'un siècle, il menace aujourd'hui l'avenir de notre pays en amenant la naissance d'une race de buveurs héré- ditaires, de candidats à l'épilepsie, de dégénérés physiques et intellectuels. M. Cadéac. — Les nombreuses recherches que nous avons faites — M. le D r A. Meunier et moi — ne nous permettent pas de nous rallier complètement aux opinions exprimées dans la com- munication de M. Mayet. Ce n'est pas l'alcool qu'il faut incriminer seul, partout et tou- jours, dans la pathogénie des accidents de l'alcoolisme. D'autres produits, surtout, que nous avons fait connaître, reven- diquent une grande part de ses accidents ce sont les essences. Associées à l'alcool éthylique chimiquement pur, elles suffisent, par leurs propriétés variées, par leur toxicité spéciale — toujours infiniment supérieure à celle de l'alcool — à diversifier, à créer les types les plus dangereux de l'alcoolisme. C'est à elles qu'il faut attribuer les progrès effrayants qu'a fait l'alcoolisme, depuis l'in- 8BANCB DU 15 JANVIER 1808 23 vasion da phylloxéra en France, et les formes graves, véritable- ment anormales, que présente cet alcoolisme d'origine récente ; c'est parce qu'on ne boit presque plus de vin, presque plus d'alcool légitime, qu'il y a tant d'alcooliques. On a tort de prétendre — comme semble le faire M. Mayet — qu'une liqueur n'est dangereuse que par la quantité d'alcool ou d'impuretés d'alcool qu'elle renferme. L'expérience suivante le montre bien qu'on fasse prendre à une série de chiens de môme race, un verre d'alcool étendu d'eau, on constate de l'intoxication pendant dix minutes, un quart d'heure, puis tout disparaît, l'animal revient promptement à l'état normal ; qu'on fasse absorber la même quantité d'absinthe à une série d'autre* chiens, on constate une agitation beaucoup plus grande, beaucoup plus persistante et suivie d'abattement pendant deux ou trois heures. La liqueur d'absinthe, à quantité égale, est bien plus dange- reuse que l'alcool. M. May et. — Si M. Gadéac veut bien me le permettre, je l'interromprai un instant pour exprimer plus nettement que je ne l'ai peut-être fait tout à l'heure, les assertions qui — sur ce point particulier de la toxicité comparée de l'alcool et des liqueurs — font l'objet de la discussion. Jamais je n'ai songé à incriminer le seul alcool et à innocenter les essences contenues dans les liqueurs. Avec M. Joffroy, j'ai dit l'alcool est tellement le plas abondant des produits consommés, que c'est lui qui joue le principal rôle comme poison..., la faible proportion des impuretés furfurol, etc. réduit leur rôle nuisible à peu de chose, malgré leur degré élevé de toxicité. Gela, à propos de la toxicité des alcools ayant en vue l'alcool consommé à l'état d'eau-de-vie cognac, marc, rhum, kirsch... ces noms étant — bien entendu — considérés comme de simples qualificatifs commerciaux, étiquettes couvrant toujours des alcools ayant les mélasses, les grains, la betterave pour ori- gine. Quant aux essences renfermées dans les liqueurs absinthe, 24 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DB LYON vermouth, bitter, apéritifs divers ; arquebuse, bénédictine, eau de mélisse, etc., il est incontestable que leur action toxique très puis- sante s'ajoute à l'action de l'alcool. Mais quelle est la part exacte de l'une et de l'autre ? L'alcool agit-il en ce cas beaucoup par lui-môme f Est -il nuisible surtout en favorisant l'action des essences? Les essences ont- elles une part prépondérante dans le processus toxique ? Expérimentalement, on peut obtenir chez les animaux des résul- tats précis, formels, hors de toute discussion. Gliniquement — c'est-à-dire chez l'homme, et c'est surtout le point de vue auquel on doit se placer — il n'en est pas ainsi. L'alcoolisme humain n'est pas un alcoolisme de laboratoire et l'al- coolique qui entre à l'hôpital a mis des années pour faire ses lésions, et celles-ci sont presque toujours dues à une intoxication mixte. Il a bu du vin, il a bu de la liqueur d'absinthe/ il a bu del'eau-de- vie ; l'action de la boisson du matin a été modifiée par celle de la boisson du soir et comme résultat final, c'est le poison absorbé en plus grande quantité ou le poison le plus actif qui donne à l'affec- tion son allure clinique. En toute logique, il faut faire dans cette intoxication une part sérieuse à l'alcool puisque le buveur en a absorbé chaque jour des centaines de grammes ; il faut faire une part aux essences dont il n'a absorbé journellement que quelques grammes, essences certainement beaucoup plus toxiques que l'alcool, mais ingérées en quantité moindre; l'alcoolisme est dû surtout à l'alcool, les essences ajoutées à V alcool rendent plus rapide, plus in- tense, plus dangereuse V intoxication et modifient son aspect clinique. M. Cadéac. — Si la liqueur d'absinthe mérite sa réputation — ce qui est maintenant hors de débat — l'essence d'absinthe n'est pas la grande coupable ni la seule coupable ; elle trouve dans la liqueur, telle qu'on la fabrique, des alliés bien plus dangereux que — • pendant longtemps — Ton ne soupçonnait pas. Elle a une action épileptisante, mais comme elle n'entre dans la liqueur qu'à dose homéopathique, ce n'est pas elle qui rend SÉANCE DU 15 JANVIER 1888 26 la liqueur très toxique, comme M. Laborde voudrait le faire croire. Il a injecté à un cobaye du poids de 400 grammes 1 gramme d'essence d'absinthe *, l'animal est mort après une série de crises épileptiques ; il a injecté à un cobaye du même poids la même quantité d'essence d'anis, et ranimai est resté somnolent. Cette expérience , qui a beaucoup frappé les esprits, n'est pas aussi concluante qu'elle peut le paraître. On peut la retourner aisément contre M. Laborde. Que prouve- t-elle, en effet? C'est qu'à la dose énorme de 1 gramme d'essence d'absinthe, ce qui représente la dose contenue dans 12 litres de liqueur, on fait mou- rir dans répilepsie un cobaye du poids de 400 grammes et que l'anis à la même dose, ce qui représente la quantité contenue dans trois verres environ de liqueur, rend l'animal somnolent. C'est précisément ce que nous avons démontré. Il ressort de nos expériences que l'essence d'anis est un stupéfiant peu toxique, et l'essence d'absinthe un épileptisant des plus puissants. Or, ceux qui abusent de la liqueur d'absinthe présentent les effets déter- minés par l'anis et les essences qui ont une action parallèle paresse musculaire, diminution de l'énergie, annihilation de la volonté, tremblement, hébétude, somnolence, perte des facultés intellectuelles, plutôt que l'épilepsie qui, du reste, peut être pro- duite par d'autres causes. S'il faut — de plus — la dose d'essence d'absinthe qui entre dans 12 litres de liqueur pour tuer un cobaye pesant 400 grammes, quelle quantité effroyable de liqueur ne faudrait-il pas pour déter- miner les mêmes effets chez un homme ? Et, de fait, on peut prendre à jeun, en une seule fois, 1 gramme de l'essence d'absinthe la plus active c'est la dose contenue dans 200 verres au moins d'absinthe ordinaire, dans 100 verres d'ab- sinthe suisse sans éprouver de malaise. Ce n'est donc pas l'essence d'absinthe qu'il faut accuser partout et toujours, comme le veut M. Laborde ; ce n'est pas elle, pour employer ses expressions, qui revendique le droit de la préémi- nence toxique et, à elle seule, les accidents convulsivants dus à l'usage habituel et prolongé de la liqueur. D'autres éléments 26 80CIÉTÉ d'anthropologib de lton que nous avons fait connaître, et que M. Laborde a volontairement négligés dans ses recherches rendues classiques, produisent les effets qu'il a remarqués '. Toutes les boissons s pi ri tueuses à essences sont plus toxiques que l'alcool. En absorbant journellement plusieurs petits verres de Chartreuse, de Bénédictine, $ Arquebuse, on s'intoxique bien plus sûrement que celui qui boit la même quantité d'alcool. On a beau rectifier celui-ci, le dépouiller de ses impuretés, V alcoolisme grandit de jour en jour et il grandit surtout du fait de la consommation croissante des liqueurs. Dans les in- toxications qu'elles causent, ce sont elles qui donnent à l'alcoolisme sa marque particulière; elles engendrent une pathologie spéciale. Il y a des liqueurs franchement stupéfiantes; il y en a d'excitantes; les unes dépriment d'emblée ou excitent avant de stupéfier; les au- tres peuvent exalter l'excitabilité réflexe jusqu'aux convulsions. Parmi les liqueurs, Vèliœir de Garus est essentiellement stupé- fiant par les essences de myrrhe, de muscade, de girofle, de néroli, d'aloès, eto. Le garus affaiblit la puissance de la contractilité musculaire, diminue la sensibilité et agit comme sédatif du système nerveux. En aucun moment il ne peut se produire dans cette intoxication de raideur musculaire, de tremblement, de convul- sions*. Par ses effets physiologiques, le garus se rapproche de l'eau de mélissedes Carmes; mais dans l'échelle toxique des liqueurs celle- ci occupe une place plus élevée. Quand on étudie l'action physiologique et analytique de Veau de mélisse des Carmes*, on constate que les attributs de cette liqueur sont soporifiques par la mélisse, stupéfiants par la muscade, 1 MM. Cadéac et Meunier, Contribution à l'étude de la liqueur d'ab- sinthe Revue d'hygiène, t. XI, n° 12, 1889, G. Masson, éditeur. 2 MM. Cadéac et A. Meunier, Etude physiologique et hygiénique sur les essences de l'élixir de Garus Revue d'hygiène, t. XIV, n 8, 1892. G. Masson, éditeur. 3 MM. Cadéac et A. Meunier, Recherches physiologiques sur l'eau de mélisse des Carmes Revue d'hygiène, t. XIII, n°» 1, 3, 4, 1891, G. Masson, éditeur. SHÀNC1 BU 15 JANVIER 1808 27 hypnotiques et anesthésiques par le girofle, enivrants par la coriandre et par l'angélique, excitants et hallucinatoires par la cannelle et le citron, antiseptiques par la plupart de ces produits. L'eau de mélisse est bien ainsi une association d'éléments hyp- notiques et microbicides. La plupart d'entre eux ont une action double ils excitent d'abord, pour déprimer ensuite. Ces effets se retrouvent dans l'action physiologique de la liqueur où tous ces instruments jouent ensemble. On n'entend que deux notes une première gaie, vive, qui dure une ou deux minutes ; une deuxième, triste, dépressive, de très longue durée. Les essences stupéfiantes dominent, étouffent les premiers effets de leurs antagonistes. Loin d'exciter le système musculaire, les essences renfermées dans l'eau de mélisse des Carmes rendent les animaux lourds, faibles; ils se traînent péniblement, ont les jambes brisées. Le vulnéraire ou eau d'arquebuse renferme dix-huit essences et détermine une intoxication spéciale, différente de celles pro- duites par l'absinthe, le garus, l'eau de mélisse des Carmes, etc.. Son action se ressent constamment des principes épileptisants ou excitants qui s'y trouvent dissous sauge, absinthe, fenouil, hysope, romarin qui revendiquent l'excitation, Thyperesthésie, les fourmil- lements, la raideur des membres, les tremblements, les crampes, les crises convulsives,qui sont le fait des essences et non de l'alcool. Le buveur de vulnéraire et le buveur d'eau-de-vie suivent deux routes différentes l'un gravit tous les échelons de l'excitabilité morbide, l'autre les descend, le premier atteint les crises convul- sives, le second la paralysie. Cest aux diverses essences employées aujourd'hui pour parfu- mer les boissons spiritueuses qu'il faut attribuer les changements radicaux survenus dans les caractères de l'alcoolisme depuis une trentaine d'années. Avec les essences stupéfiantes ou soporifiques, on a fait des liqueurs dépressives et abêtissantes ; avec les parfums épileptisants, on a fait des liqueurs hyperesthésiantes, énervantes et môme convulsivantes. L'alcoolisme doit donc subir un démembrement d'un côté, l'al- coolisme pur, de l'autre l'alcoolisme aromatique. Ce dernier est 28 80CIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON lai-môme appelé à se subdiviser en autant de variétés qu'il y a de modes de groupement des essence s. Le distillateur qui les mélange et les associe est le créateur inconscient de ces variétés. Le buveur contemporain est son réactif expérimental, son jouet. Il le mène indifféremment vers les deux pôles de la réaction ner- veuse. Il se fabrique des boissons spiritueuses pour l'arrêter et le fixer à tousies degrés de l'anesthésie, de la paralysie, de l'abêtisse- ment ; il y en a d'autres pour le faire passer par tous les échelons de l'excitabilité, depuis la simple hyperesthésie jusqu'aux troubles convulsifs les plus graves et depuis l'irritabilité morbide jusqu'à l'impulsion inconsciente et la folie. Cependant cette multiplicité des effets toxiques paraît aujourd'hui enoore presque entièrement ignorée. Avant nos recherches, on n'avait guère étudié que l'essence d'absinthe; nous avons fait connaître les propriétés physiologiques et toxiques de plus de soixante essences et ouvert la voie aux recherches à faire sur les diverses variétés d'alcoolisme 4 . L'alcool n'est pas la cause de tout le mal et on ne doit plus laisser dans l'ombre les agents toxiques qui ont imprimé à l'alcoo • lisme contemporain des marques très particulières. M. Mayet. — Les remarquables travaux de M. Gadéacsur l'ac- tion des essences lui donnent une haute compétence en tout ce qui concerne la physiologie pathogénique de l'intoxication par les liqueurs, et l'on peut accepter avec confiance son opinion. Si je tiens à revenir sur quelques-uns des points envisagés par M. Gadéac, c'est surtout pour montrer que le désaccord est plus apparent que réel entre le maître et l'élève — élève parce que la conviction que je peux avoir, relativement à l'action des essences et des liqueurs faites avec ces essences, s'appuie, en grande partie, sur les belles recherches de M. Gadéac. 1 MM. Gadéac et A. Meunier, Recherches expérimentales sur les essences Contribution à V étude de V alcoolisme Étude physiologique de Veau d'arquebuse ou vulnéraire, 1 vol. in-8, 520 pages, Asselin et Houzeau, 1892. SBANCB DU 15 JANVIER 1898 29 Quelle est l'essence ou le groupe d'essences dont l'action est pré- pondérante dans l'absinthisme? Pour M. Cadéac, c'est le groupe des essences stupéfiantes anis, badiane, angélique, origan, menthe, mélisse et coriandre. J'en suis persuadé avec lui, et c'est pourquoi j'ai cité non pas l'obser- vation clinique d'un buveur d'absinthe, mais celle d'une buveuse d'arquebuse, cas plus rare, mais moins sujet à discussion pour l'in- terprétation des symptômes. M. Laborde incrimine principalement l'essence d'absinthe, et, tu son patronage, cette opinion est généralement admise. Dans un très bref exposé de la question alcoolisme », il ne m'était pas permis de ne pas refléter un peu une idée actuellement classique. Reste la question de l'alcool. Eliminons l'alcool de vin. Sa consommation est insignifiante vis-à-vis de celle des alcools industriels et son influence sur l'hygiène publique est nulle. L'alcool livré à la consommation, absorbé sans addition d'es- sences, est-il toxique? Oui. Les expériences de laboratoire, les faits cliniques le prouvent surabondamment. Les essences sont-elles toxiques? Oui, très toxiques, et les expériences de MM. Gadéac et A. Meunier le montrent au delà de toute évidence. Ces deux faits ont donné naissance à ces deux opinions l'alcool est tout, les essences rien ; les essences sont tout, l'alcool n'est rien. Une opinion mixte peut effacer le différend, et, comme toute opi- nion mixte, avoir de grandes chances d'être vraie, et l'on peut peut-être affirmer l'alcool est toxique, les essences sont infini- ment plus toxiques que l'alcool ; les liqueurs contiennent beaucoup d'alcool, peu d'essences, et additionnent la toxicité des unes et de l'autre. La consommation croissante des liqueurs rend chaque jour plus dangereux l'alcoolisme. Af. E. Pélagaud. — Je suis un partisan très décidé, très con- vaincu de l'alcool, et je crois que Ton fait absolument fausse route 80 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE M LYON en le chargeant, comme c'est la mode aujourd'hui, de tous les péchés d'Israël. Mais sans les renseignements concluants et les considérations absolument topiques que vient de nous donner M. Gadéac, j'aurais été véritablement très intimidé pour prendre sa défense. Il faut un certain courage pour oser soutenir une boisson dont il est devenu de mode de considérer l'usage presque comme une note d'infamie, le goût comme un vice honteux et disqualifiant. Et pourtant, dans les questions de pure science, dans les recherches d'observations absolument techniques, on devrait prendre le plus grand soin de se soustraire à ces cou- rants d'opinions qui s'adressent aux sentiments; on doit recher- cher la vérité en elle-même, sans se préoccuper des consé- quences que peut entraîner la constatation de faits positifs et certains. Or, les savants qui ont à lutter contre ce fléau nouveau dans l'histoire de l'humanité, qu'ils ont appelé l'alcoolisme, jouent exactement le même rôle que ceux qui soutenaient, autrefois, l'immobilité de la terre. Ils constatent des phénomènes et en donnent la première explication qui se présente, sans en recher- cher la cause véritable et profonde. En vain les très beaux travaux de MM. Gadéac et Albin Meunier montrent ils jusqu'à l'évidence que les troubles pathologiques qui constituent l'alcoolisme ne sont pas dus à l'alcool, mais à d'autres substances que Ton mélange à l'alcool et que les consommateurs absorbent en même temps que lui, le siège est fait ; on ne veut pas tenir compte de ces tra- vaux qui ont, par surcroît, l'immense tort d'avoir été faits en province et par des provinciaux ; on ne les lit pas, on ne les con- naît pas et l'on persiste à accuser un innocent, pour laisser dans l'ombre les vrais coupables. Je voudra is essayer d'envisager cette question de l'alcool à un point de vue véritablement scientifique et indiquer comment on devrait lui appliquer les méthodes rigoureuses qui peuvent seules conduire à la découverte de la vérité. Si nous nous plaçons à ce point de vue, si nous examinons cette question de l'alcoolisme sans idée préconçue, avec la même impartialité, avec le même détachement que nous le ferions pour SÉANCE DU 15 JANVIER 1808 31 tout autre problème dont il s'agirait de déterminer la nature et les causes, nous serons frappés dès l'abord d'un triple fait 1* L'alcoolisme est d'origine très récente; ses ravages les plus terribles sont, dans nos pays, non pas même modernes, mais contemporains. 2* Ils sont d'origine beaucoup plus ancienne dans les pays du Nord. C'est de là que nous est venue la croisade contre ce fléau; c'est là qu'ont pris naissance ces innombrables sociétés de tempé- rance qui répondaient à un tel besoin social qu'elles se sont déve- loppées d'une façon véritablement extraordinaire, et ont jeté de puissantes racines dans les coucbes populaires, au point de réussir à extirper partiellement le mal; tandis qu'elles n'ont pu, jusqu'à présent, faire aucun progrès sérieux chez nous. 3° Ils n'existent pas au sud de la France; la Grèce, le monde musulman, indou et chinois ne les connaissent pas encore, non plus que l'Amérique centrale et méridionale. Qu'est-ce à dire et quelles conclusions l'esprit doit-il tirer de ces trois ordres de faits, qui sont des faits d'observation, et, dans leur ensemble, hors de toute discussion, de toute contestation? Ne buvait-on pas autrefois d'alcool chez nousf N'en boit-on pas actuellement dans les pays méridionaux, ou bien serait-ce que l'acool se serait perverti depuis quelques années et, jadis inoffen- sif, aurait acquis récemment des propriétés nocives ? Il est certain que, jadis, on buvait tout autant, sinon plus qu'au- jourd'hui. Je ne veux pas dire que la France, dans son ensemble, consommait autant d'alcool que maintenant. Beaucoup moins de gens buvaient; le confort, la vie large et abondante étaient plus rares; le luxe s'est démocratisé, comme tout le reste. Mais ceux qui buvaient, buvaient tout autant, sinon plus qu'aujourd'hui, et les grandes beuveries du temps de Rabelais, l'ivrognerie des Polonais, les goinfreries de la Renaissance égalaient au moins les nôtres. Sans remonter aux Romains et à leurs orgies célèbres, il y a un demi-siècle, dans l'Aude et l'Hérault, on pouvait pour cinquante centimes, entrer dans une cave et boire à discrétion. J'ai connu des vigperons qui ne dessaoulaient jamais, suivant la pittoresque ex- pression rapportée par M. Mayet et qui trépassaient à quatre- 3fc SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON vingt-dix ans, sans infirmités bien appréciables. Un paysan de nos voisins consommait ou laissait couler en tirant au tonneau dans sa cave, entre sa femme et lui, cinquante pièces de vin par an. Je n'ai jamais vu marcher bien droit ces deux vieux époux. Si matin qu'on les rencontrât, ils avaient toujours un petit reste d'hier », comme le jardinier de Beaumarchais. Ces gens- là consommaient deux et trois fois plus d'alcool que les pires alcooliques n'en consomment aujourd'hui..... et ils n'étaient pas devenus alcooliques» , seulement, ils ne consommaient que de l'alcool de vin et c'est là que nous allons trouver la solution du problème. Les pays du Nord n'ont jamais consommé de l'alcool de vin, mais bien du gin, du wisky, c'est-à-dire des alcools de grains, de genièvre, de pommes de terre. C'est chez eux, que l'alcoolisme a pris naissance et s'est développé dans les proportions terrifiantes que l'on sait. En France, tant qu'on a consommé de l'alcool de vin, pas d'alcoolisme le phylloxéra détruit nos vignobles, l'alcool d'industrie se substitue à celui de vin, on lance dans la population les absinthes, les bitters, les amers, les liqueurs innombrables que l'ont sait; on vine les malheureux produits de nos tristes ré- coltes; grâce à un système douanier mal organisé, on corse avec des alcools allemands les vins que nous achetons à l'Espagne et tout aussitôt l'alcoolisme apparaît et envahit notre pays jusqu'alors exempt de ce fléau. Pendant ce temps, que se passe-t-il chez nos voisins, en Italie, en Espagne où la production du vin est surabondante, en Orient où l'on consomme force raki fabriqué avec de gros vins distillés? Pas d'alcoolisme ; pas davantage au Mexique où l'on se grise avec du Pulquê, ou alcool de sève d'agave. J'ai passé de nombreuses années dans les colonies sucrières. J'y ai vu d'innombrables ivrognes, pas d'alcooliques. On n'y boit ab- solument que de l'alcool de canne à sucre et on en boit des quan- tités véritablement stupéfiantes ; j'ai eu un cuisinier qui, lorsqu'il avait un dîner un peu compliqué à faire, se donnait du courage en commençant parabsorber d'un coup presqu'un litrede rhum à 50 de- grés, et la température de l'air oscillait autour de 30 degrés. Cet homme se portait parfaitement et ne présentait aucun symptôme SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 33 d'alcoolisme. Dans les familles créoles, on est obligé, pour assurer on service à peu près régulier, d'avoir en double tous les domes- tiques, car on peut compter que la moitié du personnel est toujours ivre. A l'Ile Bourbon, sans compter le vin qui vient de France et doit être considéré comme boisson de luxe réservée aux gens riches, une population d'à peine habitants, vivant sous un climat torride, consomme officiellement litres d'alcool, soit environ 14 litres par tête; mais la consommation réelle doit être an moins double, car ce chiffre ne comprend que le rhum qui paie les droits. Or la fabrication clandestine, surexcitée par un impôt de 3 fr. 60 le litre, et par les facilités de tout genre qu'assure un pays extrêmement montagneux, couvert de forêts presque impé- nétrables et dont le littoral seul est habité et colonisé, doit égaler an moins la fabrication officielle et patentée. Or l'alcoolisme n'existe pas sous ce climat torride où il devrait faire des ravages plus terribles qu'ailleurs. L'ivrognerie y règne en souveraine, mais ceux qui échappent aux fièvres telluriques atteignent la vieillesse la plus avancée sans infirmités. Quant aux Européens qui continuent à boire des ver- mouths, absinthes, bitters, cognacs et liqueurs d'importation, leurs jours sont comptés. J'en ai vu une foule d'exemples parmi les ou - vriers et employés du chemin de fer et du port de la Pointe-des- Galets. Je pourrais me citer moi-même comme un exemple de l'inno- cuité de l'alcool de vin et de canne à sucre. Depuis un quart de siècle, je consomme plus de soixante litres d'alcool par an et ma santé n'en a subi aucune altération sensible. Mais j'ai som de con- sommer exclusivement de l'alcool de vin et de canne à sucre fabri- qué chez moi, c'est-à-dire de la pureté absolue duquel je suis assuré. Il y a quelques années, j'ai voulu y joindre de l'eau-de-vie de marc, fabriquée également chez moi et de la pureté de laquelle j'étais par conséquent certain. Au bout de peu de jours, j'ai com- mencé à éprouver des troubles graves et j'ai dû cesser complète- ment, car l'eau -de-vie de marc contient forcément des impuretés provenant de la grappe et des pépins, c'est-à-dire étrangères à l'alcool et éminemment nocives. Je vais même plus loin et j'ai pu 34 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LTON remarquer que le simple séjour du meilleur alcool dans des ton- neaux de bois neuf lui permettait de dissoudre des principes nocifs dont l'effet se faisait rapidement sentir sur la santé. Pour être sans danger, l'alcool de canne ou de vin doit être conservé dans des récipients de verre, de grès ou de vieux bois déjà épuisé, lessivé. Sa couleur indique tout de suite son degré de pureté. Le meilleur est incolore comme de l'eau. Le séjour dans des fûts lessivés lui donne une légère teinte ambrée, celle de l'ancienne eau- de-vie du Languedoc ou d'Armagnac. Dès que la teinte se fonce, comme celle des cognacs et des fines-champagnes du commerce, il y a addition de substances étrangères, c'est-à-dire danger. Malbeureusement, il est devenu presque impossible de se pro- curer dans le commerce des alcools purs et c'est là l'origine de l'alcoolisme. Les cognacs les plus chers sont fabriqués avec des alcools d'industrie aromatisés et artificiellement colorés. Les rhums des meilleures marques ne sont que des alcools de même origine, gélatines, glycérines, aromatisés avec une sauce quelconque et surchargés de matières colorantes. Il n'est pas jusqu'au vin que Ton ne charge en tanin, en matières colorantes, en sulfate de potasse et de chaux et que l'on ne remonte avec des alcools d'in- dustrie. Pour être certain de sa pureté, ce qui équivaut à dire de son innocuité, il faut le faire soi-même, aussi bien que le rhum et l'alcool. Et c'est là ce qui entache d'erreur la plupart des expé - riences et qui fait que bien des expérimentateurs se trompent de la meilleure foi du monde. Persuadés qu'ils agissent avec de l'alcool de canne ou de raisin, ils ne voient, en réalité, que les effets de l'alcool de betteraves, de pommes de terre ou de grains. Car, Messieurs, l'une des doctrines les plus périlleuses pour la science inattentive est celle qu'ont répandue les distillateurs indus- triels sur la rectification de leurs dangereux produits. Ils ont réussi à faire passer en axiome — en un de ces axiomes que per sonne ne discute, que personne n'examine — que leur alcool le plus nocif changeait de nature par la rectification. Or, vous aurez beau rectifier et rectifier vingt fois l'alcool de betteraves, vous n'obtiendrez jamais l'alcool de canne ou de vin. Il est possible que les cornues et les réactifs du chimiste s'y trompent, mais l'orga- SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 35 nisme humain ne s'y trompe pas ; il est empoisonné par celui-là, il devient alcoolique avec lui; il supporte impunément celui-ci. C'est là ce que les faits d'observation démontrent jusqu'à l'évidence à qui les veut examiner et comprendre sans idées ou système pré- conçus. Par conséquent, nous ne devons pas nous payer de mots et attribuer les coups que nous recevons au bâton qui nous frappe, mais voir la main qui tient ledit bâton. Les sociétés de tempérance sont le propre d'une autre race, d'un autre climat , d'une autre civilisation et d'autres produits alcooliques que les nôtres. Elles ne s'implanteront jamais chez nous, sous quelque patronage qu'elles se présentent. Le ridicule les tuera toujours dans ce pays qui est par excellence celui du juste milieu, du bon sens, de la pon- dération, de l'équilibre en toutes choses. Vous ne persuaderez jamais à nos vignerons que leur vin et leur eau-de-vie, leur bon vin et leur bonne eau-de-vie qu'ils font avec tant de soins, de peines et d'amour, sont des poisons et des fléaux. Vous le leur persuaderez d'autant moins que ce n'est pas vrai et que cette calomnie abominable n'est que le résultat d'une confusion grossière entre divers produits qui portent à tort le même nom, mais qui sont bien faciles à différencier entre eux. Ce qu'il faut faire, c'est leur bien enseigner cette distinction, c'est les mettre en garde et les armer contre cette confusion véritablement criminelle. Ne leur dites pas l'alcool est un poison. Ce n'est pas vrai, et ils ne vous croiront pas. Dites-leur, au contraire, la vérité ; dites-leur il y a des alcjols qui sont des poisons, ce sont les absinthes, les ver- mouths, les liqueurs de toutes marques, les vins mutés. Ceux-là, abstenez-vous-en si vous ne voulez perdre la santé et la vie. Mais il y en a d'autres qui sont des stimulants énergiques, des toniques bienfaisants. Ce sont ceux qui proviennent des vins généreux que vous produisez, Ceux-là, buvez-en comme en ont bu vos pères, cherchez -y comme eux des forces pour le travail et l'oubli des misères de l'existence, vous n'en éprouverez que de salutaires effets. Et c'est là que, en ce pays où l'on se tourne toujours en toute question du côté de l'Etat, on pourrait à juste titre réclamer son 36 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON intervention. On a fait naguère une loi bien inutile et bien sotte, au point de vue de l'hygiène tout au moins, pour empocher le mé- lange du beurre et de la margarine et la confusion entre ces deux produits, également bons. Qu'on en fasse une, et des plus sévères, pour empêcher qu'on ne vende de l'alcool d'industrie, soit disant rectifié, sous le nom d'alcool de canne ou de vin. Si pareille loi est jamais appliquée en France, vous verrez tout de suite se localiser l'alcoolisme et se vérifier par des résultats éclatants, immédiats et patents, la forme plaisante du vieux proverbe Dis- moi ce que tu bois et je te dirai ce que tu es. » M. Roche regrette maintenant que l'alcool puisse être défendu par des avocats aussi éloquents que M. Pélagaud... Il dit main- tenant, car il était presque tenté — il y a quelques années — d'avoir une opinion sinon favorable, du moins peu hostile à la consommation de l'alcool. Mais depuis le congrès de Lyon, sa religion est devenue toute différente. Des rapports lus, des com- munications faites, des chiffres publiés au congrès il a gardé une impression profonde. S'il est aujourd'hui un adversaire de l'alcool . sa conviction s'appuie non seulement sur des travaux dont la valeur scientifique est incontestable, mais aussi sur les observa- tions qu'il a pu faire au cours de sa pratique médicale. L'alcoolisme n'est pas dû exclusivement aux substances ajoutées à l'alcool. Des travaux faits en dehors de tout parti pris, de toute démonstration de telle ou telle thèse ont montré ou prouvé que l'alcool livré à la consommation est toxique. Sans doute la part des essences est grande, mais comme le faisait remarquer M. May et, celle de l'alcool n'est pas négligeable. L'alcool de vin est-il vraiment peu nuisible? Les faits apportés par M. Pélagaud semblent le montrer, mais la question n'a pour nous qu'une importance minime notre pays, en effet, ne produit presque plus d'alcool de vin et les consommateurs réclament hectolitres d'alcool officiel, sans compter l'alcool clan- destin. On voit ce qu'est la consommation d'alcool industriel, qui reste toujours un grand coupable, car M. Pélagaud n'a défendu que l'alcool de vin très pur qui est très peu ou pas attaqué. SÉANCE DU 15 JANVIER 1898 37 Sans insister davantage sur ce point, M. Roche croit pouvoir dire L'alcool est en lai-môme an poison et les essences en sont an antre plus terrible encore. Il s'est souvent demandé si l'on mettait assez en lumière la différence d'action de l'alcool et des essences sur les tissus de l'organisme et plus spécialement sur la cellule hépatique, sur la fibre musculaire, sur les vaisseaux, sur les élé- ments nerveux, Après avoir compulsé les observations qu'il possède, relatives à des malades atteints d'alcoolisme chronique, il croit pouvoir dire L'alcool agit sur les éléments cellulaires, principalement sur ceux du foie, en produisant surtout leur dégénérescence graisseuse. En cela, M. Roche croit être d'accord avec la presque totalité des auteurs. Les boissons spiritueuses contenant des essences lui paraissent déterminer sur les tissus, plutôt un processus sclérogène et sur l'encéphale une déperdition rapide de l'influx nerveux, une fuite nerveuse », si l'on peut s'exprimer ainsi, ne se traduisant anato- miquement que par des lésions banales de congestion, d'hyperé- mie, ma's amenant la production d'accès convulsifs dans l'intoxi- cation aiguë et mettant au premier rang les phénomènes nerveux dans l'intoxication chronique. M. Roche serait heureux d'avoir l'avis de M. Gadéac sur l'action des essences vis-à-vis des tissus de l'organisme. M. Cadèac regarde comme essentiellement sclérogène l'action des essences. Dans l'intoxication chronique, par le vulnéraire, il a trouvé à l'autopsie des animaux mis en expérience, des lésions de sclérose sclérose du foie, du rein, des méninges, etc. Il a la conviction que c'est le rôle sclérogène des essences qui se trouvent renfermées dans les liqueurs qui explique la différence des lésions constatées chez les buveurs de vin, chez les buveurs d'alcool, chez les buveurs de liqueurs. Cette action des essences a été nettement mise en évidence par les expériences de MM. Gadéac et Meunier ils ont déterminé les mômes effets sclérogènes indiqués par M. Roche, en faisant ingé- Soc. ANTH. — T. XVII, 1898 3 . 38 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON rer aux animaux les essences pures sans alcool. Le fait expérimen tal confirme pleinement les données de l'observation clinique. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance. La séance est levée à 6 heures 3/4. L'un des Secrétaires Lucien Matet. 8EANCB DU 12 FEVRIER 1898 39 CLV* SÉANCE. — 12 Féirier 1898. Présidence de M. LS8BRE, Anden président. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. CORRESPONDANCE M. L. Quinard, secrétaire général adjoint, donne lecture d'une lettre de M. Dor, qui, indisposé, ne peut venir présider la séance, et présente divers ouvrages offerts par leur auteur, M. Orj, récemment élu membre titulaire de la Société d'anthropologie. OUVRAGES OFFERTS Annuaire statistique de la ville de Paris, 16 e année, 1895. Tableaux mensuels de statistique municipale de la ville de Paris, août 1897. Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, 18* année, n° 52, 1897. Annales du Musée Guimet, t. XXVI, n M 2, 4 et 5, 1898. Revue de r Histoire des Religions, t. XXXVI, n° 1, juillet-août 1897. L'Anthropologie, t. VIIL n° 6, 1898. L 9 Intermédiaire de VAfas, t. III, février 1898. Revue mensuelle de V Ecole d? anthropologie 3 année, n° de janvier, 1898. Bulletin de la Société oV anthropologie de Paris, t. III, fascicule 4. Compte rendu des séances de la Société géologique de France , n os 1 , 2, 3, 1898. Bulletin de la Société de géographie, 7 e série, 3* trimestre, 1897. Comptes rendus des séances de la Société de géographie, n°* 16, 17 18, 19 et 20, 1897. Société de Borda, Dax Landes, 22* année, 1897. 40 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON Bulletin de la Société des Sciences naturelles de V Ouest de la France, 4 trimestre, 1897. Bulletin de la Société des Sciences naturelles de Tarare, 3° année, n° 1, 1898. Société de géographie commerciale de Bordeaux, 20 e année, n°* 23 et 24, 1897, 21 e année, n" 1, 2 et 3, 1898. Société languedocienne de géo graphie y bulletin 20* année, 1897. Société d'histoire naturelle d'Autun, 9 e bulletin. M. Joseph Ory, La production chevaline en France. — De V élevage du cheval. — Des effluves ou émanations paludéennes. — Des revendi- cations agricoles et vétérinaires en France, — Histoire du cheval dans le Forez. Société royale belge de géographie, 21 e année, n° 2, 1897. Atti délia reale Accademia dei Lincei, rendiconti classe di scienze fisi- che t matematiche e naturali, vol. VII, fascicules 1 et 2, 1898. Rendiconti délia reale Accademia dei Lincei, classe di scienze morali storiche e filologiche, vol. VI, fascicule 2, 1897. Mittheilungen der Anthropologischen Gesellschaft, in Wien, t. XXVII, 1897. Fmshtmuseum, IV, 1897. Suomen Museo, IV, 1897. Samfundel for Nadisha Musects, 1897. Proceedings ofthe royal Irish Academy, décembre 1897. Proceedings of the American Association, avril 1897. Bulletin ofthe United States Géologie al Surtey, n° 127, 130, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 1896; n» 87, 1897. United States Geological Survey 9 Annual report, 1895-96. — Mono- graphies, XXV, XXVI, XXVII et XXVIII. — Atlas accompagnant le tome XXVIII. Annual report of the bureau of Ethnology, 1892-1893, 1893-1894, 1894-1895. Mémoire Reabody Muséum, vol. I, n° 2 et 3. ELECTIONS M. le D r Vauthey, de Vichy, présenté par MM. Dor, Gainard, Lesbre, est élu membre titulaire. SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1898 41 PRBSBNTATI0N8 M. F.~X. Lesbre présente deux omoplates de chien. Ces pièces anatomiqnes proviennent d'un chien ectromèle que M. Lesbre avait présenté en la séance du 8 mai 1897 ! . Le présentateur se proposait de faire de ce chien une étude anatomique complète; malheureusement il est mort pendant les vacances dernières, et on n'a pu rechercher les lésions qui, dans les centres nerveux, pouvaient accompagner l'absence des membres antérieurs. Le squelette ne présentait pas d'autre anomalie ; les omoplates sont presque normaux, un peu incurvés sur le plan latéral du thorax. Tout en regrettant que les résultats anatomiques espérés n'aient pas été obtenus, on peut trouver dans ces pièces de sque- lette une preuve nouvelle que le développement de la ceinture scapulaire est indépendant de celui des membres qui s'y attachent. M. Lesbre attire ensuite l'attention sur deux nouveaux cas qui montrent d'une façon très nette l'influence d'un premier mâle géniteur dans l'imprégnation de la femelle. M. Lesbre a communiqué à la Société, en 1896, un travail relatif à cette question de la tilègonie *, et c'est pourquoi il apporte aujourd'hui la relation de deux cas nouveaux, d'une authenticité incontestable, qui viennent s'ajouter à ceux rapportés dans son mémoire. Le premier est signalé par M. Bathiat Lacoste, bien connu par son bel élevage de saints-germains. 1 Présentation d'un chien de six mois né sans membres thoraciques Bulletin de la Société d'anthropologie de Lyon, t. XVI, p. 339* 1897. Discussion p. 341-343. 1 Contribution à l'étude de la télégonie Bulletin de la Société d'an- thropologie de Lyon, t. XV, p. 36-47, 1896. Discussion, p. 47-49 et 104-106. 42 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON Il y a près de vingt-cinq ans, écrit-il, habitant Douai, je possédais une chienne d'arrêt griffon poil dur, orange et blanc, âgée de quatre ans, répondant au nom de Sapho, que je fis couvrir par un splendide braque café au lait, poitrail et pattes blanches, appartenant à M. Landry, de Douai. Sapho eut une portée de sept petits quatre griffons et trois poils-ras ressemblant au père. Un an plus tard, Sapho était couverte par un griffon semblable à elle ; la portée comprenait neuf chiots six griffons, un demi- griffon et deux poils ras exactement semblables au chien de M. Landry. Il était impossible de ne pas les reconnaître. » Le deuxième cas est une véritable expérience due à M. le pro- fesseur Ewart, de l'Université d'Edimbourg. Ayant fait s'accoupler un zèbre et une jument, il en naquit un petit mulet dûment zébré comme son père. La jument fut unie ensuite à un étalon arabe, et la mise-bas vient d'avoir lieu. Le poulain, fils de l'arabe et de la jument anglaise, est bai foncé. Les deux ou trois premiers jours qui suivirent sa naissance rien ne le distinguait de tous les autres poulains; à partir du troisième jour, des raies transversales commencèrent à se montrer, et le neuvième date de la lettre, elles étaient très apparentes. Les bandes qui existent sur la croupe, sur les flancs, sont exacte- ment les mômes, occupent les mêmes places que chez l'hybride issu du croisement antérieur. L'intensité des bandes semble aug- menter de jour en jour. » SEANCE DU 12 FÉVRIER 1898 43 discussion suite { . L'ALCOOLISME ET QUELQUES-UNES DE SES CONSÉQUENCES M. Lacassagne. — Au sujet de la communication faite par M. Mayet et des opinions qui ont été exprimées au cours de la dernière séance, je tiens à présenter quelques considérations et à mettre en lumière plusieurs points qu'il est utile de nettement préciser. Ce n'est pas seulement de nos jours, en notre siècle, que la race humaine a recherché les boissons excitantes. Les livres de l'Inde antique, qui parlent du soma, les traditions bibliques mentionnant la pomme d'Eve, les poésies des pays du Nord, montrent que Ton faisait déjà appel — en ces temps reculés — non pas à l'alcool, qui n'était pas encore isolé, mais aux liquides renfermant de l'alcool. Un proverbe arabe dit que la vigne plantée par Noé fut arrosée avec le sang du singe, du lion et du porc. Cette comparaison a été faite par un peuple oriental, c'est-à-dire éminemment observateur ; elle est très exacte et peint d'une façon remarquable les trois phases de l'ivresse sous l'influence de l'alcool, l'homme fait rire, grimace et amuse comme le singe; puis devient plus fort, plus courageux, presque téméraire ; en dernier lieu il roule dans le ruisseau et se vautre comme le porc. Je ne reviendrai pas sur les points discutés le mois passé et j'aborderai immédiatement l'alcoolisme au point de vue médico- légal. Il y a une grande division à faire parmi les alcooliques c'est la 1 L'alcoolisme et quelques-unes de ses conséquences Bulletin de la Société d'anthropologie, t. XVI, p. 493, 1897. Discussion, t. plus haut, p. 21. 44 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON séparation des buveurs d'habitude d'avec les dipsomanes. Ces derniers — du fait de leur hérédité — prennent des accès de folie et ces accès de folie se traduisent par une impulsion violente» irrésistible à boire. En voici un exemple nous avons eu affaire à un individu sobre, buvant de l'eau ou très peu de vin pendant ses repas et rien dans leur intervalle. Brusquement il va acheter de nombreuses bouteilles de vin, de bière, plusieurs litres d'alcool, de liqueurs et, pendant huit jours, pendant quinze jours, il absorbe des doses énormes de ces boissons fermentées, de ces spiritueux. C'est l'accès de dipsomanie. L'accès passé, il se remet au régime de l'eau comme auparavant. Le dipsomane alcoolique n'est pas un alcoolique ordinaire. C'est une des faces de la question qu'il serait intéressant d'étudier. Un autre point. Les médecins légistes ont attiré l'attention sur la fréquence des morts subites dues à l'alcool à la suite d'un traumatisme léger, sous l'influence d'une cause occasionnelle insignifiante, un homme meurt sans qu'à l'autopsie aucune lésion sérieuse puisse expliquer cette mort... Toutefois, les nécropsies pratiquées dans ces cas offrent quelques particularités à signaler. Ce sont — tout d'abord — des adhérences pleurales A fréquentes. Je les ai observées dans plus de 80 pour 100 des cas. Souvent les adhérence» sont le fait d'une tuberculose pulmonaire plus ou moins avancée elles sont banales en ce cas et l'examen du poumon ne laisse aucun doute sur leur origine ; mais il est des cas où n'existe aucun tubercule au sommet et dans lesquels on se trouve dans la nécessité d'invoquer un véritable état constitu- tionnel. On observe aussi la dégénérescence athéromateuse des artères; l'athérome, cette rouille des artères », est pour ainsi dire constant; les vaisseaux, de souples et élastiques qu'ils étafent, sont devenus, par un processus d'artérite chronique, rigides, durs, incrustés de sels calcaires, fragiles et, comme on a 1' âge de ses artères », on peut dire que l'alcool agit surtout en produisant une sénilité précoce. Les organes d'un alcoolique mort entre trente- 1 Thèse du D r Comte, élève de M. Lacassagne. Des adhérences pleu- rales au point de vue médico-légal, Storck, Lyon, 1897. 8ÉANCK DU 12 FEVRIER 1898 45 cinq et quarante ans, se présentent parfois avec l'aspect de ceux d'un vieillard de soixante à soixante-dix ans. La sénilité précoce créée par l'alcoolisme nous amène à parler de la mort du buveur. Celle qui survient dans V alcoolisme aigu, au cours de Y ivresse, est presque toujours la même. L'ivrogne, après avoir absorbé beaucoup d'alcool et de vin frelaté, en arrive à la période du porc il roule dans un fossé ou se coucbe contre un mur, au pied d'un arbre. C'est le soir généralement, l'air est froid, souvent très froid, la température du corps de l'homme pris de boisson est elle-même abaissée par l'alcool au-dessous de la normale et le sang quitte la surface du corps pour aller congestionner les organes profonds, le cerveau surtout. Sous l'influence de cette congestion, la torpeur intellectuelle augmente, le sommeil arrive, irrésistible, et le coma alcoolique est bientôt un fait accompli. Le poumon congestionné respire mal ; la température centrale s'abaisse de plus en plus ; la mort arrive par refroidissement excessif de l'organisme et elle se produit plus ou moins vite selon la saison, mais toujours lorsque tout le glycogène contenu dans le foie a disparu, a été brûlé, ainsi que mes recherches l'ont établi. Dans le delirium tremens, la mort est fréquemment une mort violente. Au cours de son accès, le malade prend une fenêtre pour la porte et il se précipite dans le vide ; ou bien il se heurte vio- lemment contre l'angle d'une cheminée, d'un meuble, et se fracture le crâne... à moins que sous l'impulsion de son délire il ne prenne an couteau, une arme quelconque, et aille assassiner un voisin qui se trouve ôtre ainsi une victime de l'alcoolisme. Dans ce groupe, il faut aussi faire rentrer les impulsifs ambu- latoires et les exhibitionnistes. Dans V alcoolisme chronique, la mort survient de mille façons par tuberculose pulmonaire, fréquente chez les buveurs ; par les lésions du foie, par la cirrhose hépatique ; par hémorragie céré- brale..., etc., ou bien encore — et c'est là le point intéressant — par une maladie aiguë, qui évolue sans symptômes chez les séniles précoces que sont les alcooliques comme chez certains vieillards. On peut rappeler, à ce propos, les cas signalés par Dechambre et 46 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Gharcot et ceux observés journellement dans nos hospices de vieil- lards à la Charité, au Perron... je veux dire ces vieillards qui se promènent, qui causent sans fatigue ; on leur parle, on les laisse assis tranquillement sur leur chaise, on revient auprès d'eux quel- ques instants après et on les trouve morts, la tête appuyée sur leur lit. L'autopsie révèle des lésions de pneumonie à la dernière période, évoluant depuis de longs jours avec intensité, et qu'aucun symptôme réactionnel n'avait révélé. Pour certains alcooliques, il en est de même. Ils peuvent contracter une infection grave, ne s'en aperçoivent pas, vaquent à leurs occupations et brusquement tom- bent, meurent en quelques instants. Enûn, il est des cas où la mort est provoquée par un léger trau- matisme insuffisant en lui-même pour la déterminer chez un indi- vidu normal. On conçoit l'importance de ces faits en médecine légale. Un exemple précise la pensée, le voici Une rixe éclate entre ivrognes. C'est chose courante, les spectateurs n'y attachent pas grande importance, mais, brusquement, l'un des combattants s'af- faisse et meurt. On arrête son adversaire qui se trouve accusé de meurtre, alors qu'il n'est coupable que d'une gifle, d'un coup de poing, presque innocents. L'homme est mort pourtant, comment expliquer ce fait ? sinon par cette hypothèse, qu'au moment de la rixe, les centres nerveux de la victime se trouvaient sous l'in- fluence de l'alcool, que le pneumogastrique se trouvait excité, en état d'équilibre instable, prêt à exercer son action d'arrêt sur le cœur; qu'enfin, la légère contusion éprouvée a provoqué une com- motion cérébrale, minime elle-même, mais suffisante pour rompre cet équilibre déjà compromis et provoquer une syncope mortelle. Ajoutons toutefois qu'à côté de ces alcooliques en imminence de mort, il en est d'autres qui résistent d'une façon extraordinaire aux traumatismes les plus violents. Jusqu'à la mort il y a alcooliques et alcooliques. On a parlé des causes de l'alcoolisme, mais toutes n'ont pas été citées. Il en est une sur laquelle je puis insister avec faits à l'appui c'est l'amour malheureux ou l'absence d'amour. SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1898 47 1^8 pauvres diables cherchent dans le sommeil ou dans l'ivresse l'oubli des chagrins et des douleurs; de môme l'amour malheureux et l'absence d'amour — qui produisent l'ennui, le tmdium vitse — conduisent à l'alcoolisme. Les besoins du cœur, les satisfactions à donner aux sentiments sont aussi naturels à l'homme que les besoins physiques, sans cela, il y a des crises de môme ordre. Rappelez-vous qu'au début des sociétés et encore dans certaines peuplades, lorsque les boissons excitantes sont rares, on voit les individus se livrer à des mou- vements excessifs, cadencés et rythmés comme les danses des sauvages. Il faut tenir compte aussi des conditions de climat le froid excite à boire. Dans les sociétés modernes, l'alcool est absorbé parles malheu- reux obligés de lutter ou de faire un effort rapide, par les surme - nés, par les struggle for lifers. C'est le plus souvent le coup d'éperon exigé dans la terrible lutte pour la vie de notre époque actuelle. Sans envisager au môme point de vue — d'ailleurs un peu pa- radoxal — que M. Pélagaud, le rôle bienfaisant ? de l'abus de l'alcool, je me suis parfois demandé si, à côté de tous les méfaits dont il est chargé, on ne pouvait pas lui trouver un rôle utile dans nos sociétés modernes. Au Congrès de Rome 1885, j'ait fait re- marquer que l'on ne tenait pas assez compte, dans les statistiques criminelles, de l'influence de l'émigration qui enlève une grande partie de la lie ou de l'écume comme on voudra l'appeler d'un peuple émigrant et que, si l'on en tenait compte, l'Italie verrait le coefficient de sa criminalité, déjà considérable, s'élever davantage encore et atteindre des hauteurs véritablement excessives. Je com- pare un peu l'alcoolisme à cette dérivation, et je crois qu'on pour- rait presque l'appeler une émigration à l'intérieur. En effet, il sévit avec le plus d'intensité dans les bas-fonds populaires et en amène la disparition précoce, d'où moins de crimes, moins de délits. Je ne veux pas innocenter l'alcool, mais j'exprime cette idée-là surtout pour amener cette idée-ci ; on a beaucoup exagéré l'impor- 48 SOCIÉTÉ d'aNTHBOPOLOGIE PB LTON tance des courbes comparées de la consommation de l'alcool et de la criminalité. On en a tiré des rapports de causes à effets qui ser- vent admirablement certaines doctrines, mais qui sont fort mal justifiés. Je ne voudrais pas être trop long et développer de multiples arguments, je dirai seulement la criminalité décrott en France où l'alcoolisme augmente ; il y a des pays très alcoolisés qui ont une criminalité faible et réciproquement. Ainsi, en Suède et en Norwège. On pourrait citer également l'exemple de l'Irlande, mais là intervient le facteur de l'émigration. En France, les dernières statistiques — celles de Tannée 1895 — ne montrent-elles pas un abaissement de la criminalité? Que faut- il donc penser des conclusions bâtives tirées de la comparaison des courbes du crime ou de l'aliénation mentale avec celle de l'alcool? On pourrait faire des rapprochements analogues si on rapprochait ces graphiques de ceux qui indiquent les progrès de l'instruction primaire, de la consommation du tabac et môme des gilets de flanelle ! Le véritable rapprochement à faire est celui de la criminalité d'un pays et de la concurrence pour la vie » dans ce pays. Plus la lutte est âpre, violente, plus il y a de victimes. On cher- che à se faire une place en jouant d'abord des coudes, puis à coups de poings et enfin à coups de revolver ou de poignard. Aux Etats- Unis, la terre classique des struggle for lifers dont je parlais, le nombre des homicides est de 120 pour un million d'habitants; il est de 25 en Italie, de 15 en France, de 10 en Allemagne. Un dernier chapitre me reste à envisager celui des remèdes de l'alcoolisme. M. Mayet a laissé de côté cette question qui est très complexe, très discutée et dans laquelle il est difficile d'éviter une erreur sans tomber dans une autre. Je voudrais pourtant en dire un mot, en me plaçant à un point de vue assez spécial, je n'ose dire personnel. Je crois que l'on peut agir sur l'alcoolisme par Y exemple et Y imitation. Je suis persuadé que l'imitation de l'exemple donne et contribue pour une large part à la diffusion de la consommation des boissons spiritueuses. Du temps de Rabelais — et M. Pélagaud nous l'a rappelé — on SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1898 49 buvait beaucoup, on humait lepiot » d'une façon exagérée, mais ces beuveries se passaient surtout dans les classes élevées, peu dans le peuple. Depuis Rabelais, on a bu davantage encore et de plus en plus dans le peuple, cela j ustiôant l'axiome très exact de Tarde l'imitation se propage de haut en bas et l'exemple donné par les supérieurs est vite suivi par les inférieurs. Dans la bourgeoisie, la consommation exagérée de boissons al- cooliques n'a pas donné de bien brillants résultats et l'on compte les ivrognes de génie Bjron, Musset, Beethoven, Poe... et encore le moment de l'alcoolisme de ces hommes célèbres peut être dis- cuté. Malgré cela, c'est cette classe sociale qui a eu le plus d'in- fluence sur le peuple, et certainement les petits d'ici-bas ont bu parce qu'ils voyaient boire au-dessus d'eux. On peut d'autant mieux espérer l'effet inverse que la consom- mation des vins, des liqueurs a baissé considérablement dans cette môme classe moyenne, depuis une vingtaine d'années. On doit prendre les renseignements où on les trouve... Or, sur ce point, les plus probants sont fournis par les vieux garçons serveurs. Ils ont été unanimes à me dire On ne boit plus, Monsieur, dans les dîners, dans les banquets, dans les soirées ; on ne boit plus comme autrefois. Il fallait alors deux à trois bouteilles par personne ; il suffit maintenant d'une bouteille pour trois per- sonnes. » Si la classe moyenne, la portion éclairée de la nation prêche d'exemple, l'alcoolisme sera sérieusement atteint dans une de ses causes l'esprit d'imitation. Evidemment, cela ne le fera pas disparaître; mais le même reproche ne peut-il pas être fait aux systèmes les plus vantés ? On a dit faites des lois contre les ivrognes. Elles n'ont pas grande utilité. L'ivrogne bruyant, celui qui se fait emmener au poste, est rarement un alcoolique ; c'est un homme que le vin a surpris, qui s'est trouvé ivre au sortir d'une fête. L'alcoolique est habitué à la boisson ; il reste à peu près silencieux ; il entre chez lui à tâtons, trébuche souvent pendant le trajet, mais n'a rien à démêler avec la police. Des lois contre les débitants ? 50 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Combien ne sont- elles pas inefficaces. Le marchand de vins est puissant à notre époque et trouve toujours avec le ciel quelque accommodement. Les remèdes fiscaux sont illusoires. Aujourd'hui l'alcool rap- porte par an plus de 700 millions en Russie, près de 500 millions dans notre pays. Aucun ministre des finances ne peut songer à diminuer pareille source de revenus, ce qui plus que jamais com- promettrait l'équilibre déjà si difficile à réaliser du budget. Reste le monopole de l'alcool. M. Alglaves'en est fait l'apôtre. La Suisse Ta réalisé depuis 1887. Les résultats sont peu encoura- geants au double point de vue financier et hygiénique. Tout récemment, M. Duclaux, dans son rapport publié parles Annales de V Institut Pasteur et rédigé au nom de la commis- sion extra-parlementaire chargée d'étudier le monopole de l'alcool au point de vue de l'hygiène, ne s'en est guère montré partisan '. 1 Annales de l'Institut Pasteur, 25 janvier 1898 L'alcool se présente à la consommation non seulement dans les boissons fermentées, mais aussi dans les eaux -de vie qu'on en retire, ou bien encore dans les flegmes provenant de la distillation des moûts fer- mentes de betteraves, de grains et de fruits de diverse nature. Dans ces flegmes et eaux-de-vie, l'alcool est à un degré de concentration qui en change l'effet sur l'organisme. Il est absorbé plus rapidement dans l'es- tomac, passe en plus grande abondance dans la circulation générale, et l'effet d'excitation qu'il amène lorsqu'il est en petite quantité augmente et peut devenir dangereux lorsque cet effet est porté trop haut chez celui qui s'enivre, ou lorsqu'il se répète trop souvent chez celui qui prend l'habitude de l'alcool. Or, toute sensation, même la plus agréable, même la plus utile, lorsqu'elle est trop exaltée, devient un danger. Il en est de même pour l'excitation alcoolique qui, même produite au moyen d'alcool tout à fait pur, est nuisible à la santé, dès qu'elle devient trop violente ou trop fréquente. Ce n'est pas tout les flegmes et eaux-de-vie contiennent tous, en pro- portions variables, des aldéhydes, des alcools supérieurs et d'autres pro- duits provenant soit des fermentations variées dont le moût a été le siège, soit des matières premières qui ont servi à les obtenir. Toutes ces sub- stances, que nous appelons du nom impropre d'impuretés, sont toxiques, bien plus toxiques à volume égal que l'alcool. C'est ce que nous ont montré, les premières, les belles expériences de MM. Laborde et Magnan, et ce qui a été confirmé depuis par une foule de physiologistes. Le danger SÉANCE DU 12 FEVRIER 1898 51 Tout monopole, dit-il, est funeste au point de vue de l'hygiène, propre de ces substances s'ajoute au danger de l'alcool qui les a entraînées avec lui, de sorte qu'il y a plus d'inconvénients à boire un alcool chargé d'impuretés qu'un alcool au même degré qui n'en contiendrait pas. C'est de cette conséquence très juste que sont partis tous les projets qui visent à résoudre hygiéniquement le problème de l'alcoolisme en améliorant la rectification. Supprimons ces impuretés, ont-ils dit, et nous obtiendrons un alcool à peu près inoffensif, que le consommateur pourra absorber et l'Etat vendre en grandes quantités, et qui enrichira le Trésor sans appauvrir la race. Ce serait l'idéal. Mais votre sous-com- mission était obligée de s'en tenir aux réalités. Elle a d'abord établi comme principe qu'il n'y a aucun alcool distillé qui soit hygiénique et qu'au delà d'une certaine limite l'alcool éthylique le plus pur devient dangereux. Cette limite est, il est vrai, assez élevée pour lui, plus élevée que pour les autres alcools et les substances quali- fiées d'impuretés. Mais il a paru inutile de la fixer, parce que l'alcool tout à lait pur est imbuvable. Le consommateur ne le recherche ou ne l'accepte qu'accompagné de quelques-unes de ces impuretés qui lui donnent son goût, son parfum ou son cachet de sorte que si en rectifiant l'alcool on le rend plus inoffensif, on lui enlève d'un autre côté sa clientèle. De bons esprits ont pensé qu'il y avait là une solution, et qu'en ne donnant aux consommateurs que de l'alcool purifié et par là peu agréable à boire, on les corrigerait de ce goût. C'est évidemment là une illusion. Il faudrait un gouvernement singulièrement fort pour imposer un goût au public, et une police singulièrement vigilante pour empêcher ce public de faire rentrer dans la consommation les impuretés dont on vou - drait le priver, ou de les remplacer par d'autres tout aussi dangereuses. L'expérience a du reste montré qu'en Suisse il a fallu rendre aux con- sommateurs le goût de fusel, d'alcool de pomme de terre, auquel ils étaient habitués dans leur alcool. Ils le réclamaient comme électeurs, comme clients et comme logiciens, car pourquoi leur refuser les éléments de sapidité qu'on concédait aux buveurs de kirsch ou de cognac authen- tiques? Par suite, le problème de l'alcoolisme n'est pas un problème de perfectionnement dans la rectification. D'ailleurs, ceux-là mêmes qui pré- conisent cette solution n'ont jamais songé à en faire une solution générale. Ils ne songent nullement à rectifier les kirschs, les cognacs, les rhums et, en général, les eaux-de-vie de marque. Ils proposent de rectifier seule- ment les eaux-de-vie de betteraves ou de grains, ce qu'on appelle d'ordi- naire les alcools d'industrie. Il est certain qu'il y a un progrès à accomplir de ce côté, et qu'on pour- rait chercher à assurer davantage la pureté des alcools provenant non seulement de l'industrie, mais aussi des bouilleurs de cru. Contrairement 52 société d'anthropologie de lton car il n'y a pas d'alcool hygiénique, si bien purifié ou si bien cuisiné qu'il soit; » à ce qu'on croit d'ordinaire, il n'y a aucune supériorité des uns sur les autres. Les fermentations industrielles donnent parfois des alcools très impurs, mais que la rectification purifie. Par contre, les fermentations faites chez les bouilleurs de cru donnent parfois des alcools impurs que la simple distillation à laquelle ils sont soumis n'améliore pas, et quand ces bouilleurs de cru deviennent à leur tour des bouilleurs de cuit et font de l'alcool de betteraves ou de pommes de terre, leur alcool est beaucoup plus mauvais que l'alcool industriel. Un contrôle hygiénique qui arrêterait dès l'origine ou empêcherait de circuler un alcool contenant au delà d'un certain minimum d'impuretés serait un bienfait. Mais autant il est sage d'espérer une amélioration de ce côté, autant il serait vain d'espérer qu'elle sera considérable ; car d'un côté, les impu- retés, de quelque nature qu'elles soient, ne peuvent être totalement éli- minées dès qu'une catégorie de consommateurs les recherche ; de l'autre, dès qu'elles atteignent une certaine proportion, elles deviennent intolé- rables pour l'immense majorité des consommateurs. C'est entre ces deux barrières naturelles que l'action législative doit se mouvoir, si elle ne veut tas se briser contre plus fort qu'elle. Or, dans ces limites, il est facile de faire le départ de l'action nocive due aux impuretés et de l'action nocive due a l'alcool qui leur sert d'excipient. On trouve alors qu'il y a disproportion évidente entre ces deux actions nocives. Les substances qui constituent les impuretés sont chacune indivi- duellement un poison plus actif que l'alcool,quatre-vingts fois plus actif par exemple pour le furfurol. Mais, amenées à l'état de dilution tolérable pour le consommateur, elles tombent, comme nocivité, au-dessous de l'alcool qui les contient. C'est ainsi, par exemple, que pour absorber dans un rhum la quantité de furfurol capable de le tuer par injection dans les veines, un consommateur devrait boire un demi -mètre cube de liquide il serait mort par l'alcool longtemps avant de l'être par le furfurol consommé. Votre sous-commission a cru nécessaire de traduire cette notion scien- tifique en disant que dans les alcools livrés à la consommation, même les plus mal rectifiés, l'action nocive des impuretés est loin d'égaler l'action nocive de l'alcool qui les contient. » La question ainsi réglée du côté des impuretés naturelles des alcools de distillation, la sous-commission avait devant elle les impuretés artificielles et ajoutées, les bouquets, les essences, les sauces, les ingrédients divers qui servent à préparer les absinthes, bitters, vermouths, apéritifs et autres boissons d'avant et après les repas. Envisagées dans leur ensemble, ces substances sont beaucoup plus dangereuses, à l'état pur, que les impuretés naturelles. Cest ce qu'ont démontré les expériences de tous les physiolo- SÉANCR DU 12 FÉVRIER 1898 53 Notre ami Eorico Ferri, dans se* leçons à l'Université de Bruxelles 1 , indique les différentes médications proposées. Il distin- gue des remèdes répressifs, fiscaux, policiers, psychologiques et médicaux. Nous lui empruntons quelques renseignemeuts caracté- ristiques par exemple. Qu'espérer des règlements de police visant le nombre des débits? Est-ce par ce qu'il y aura un nombre fixe de cabarets comme il y a un nombre fixe d'études de notaire que l'al- coolisme diminuera ? C'est possible, mais rien n'est moins prouvé. En Hollande, il y a 1 débit pour 192 habitants, en Belgique, 1 pour 35 habitants. Dans ces deux pays, la consommation de l'alcool est à peu près la même environ 9 litres. On peut en dire autant pour les sociétés anti-alcooliques, pour les sociétés de tempérance système de Gotherburg. C'est tout au plus un palliatif. Les ligues de cet ordre, quand elles ont à leur gistes. Votre sous-commission a été d'accord avec tous ceux qui l'ont pré- cédée dans l'étude de cette question, en affirmant une fois de plus que le danger est beaucoup plus grand avec les essences, bouquets et autres ingré- dients artificiels qu'on ajoute à l'alcool pour en faire les vermouths, apé- ritifs, absinthes du commerce. L'action nocive de ces substances, même lorsqu'elles sont les plus pures et les mieux choisies, peut augmenter dans une large mesure l'action nocive de l'alcool qui les contient » La sous-commission conclut qu'il y a quelque chose à gagner au point de vue de l'hygiène à assurer la purification des alcools d'alambic. Divers piojets de monopole visent le même but, mais latéralement, et on peut ratteiûdre sans aucun monopole. La sous -commission conclut plus fortement encore contre les boissons à bouquets et à essences. Les divers projets de monopole acceptent l'ab- sinthe, et émettent seulement l'espérance illusoire qu'on arrivera à en fabriquer d'hygiénique ; à ce point de vue, votre sous -commission ne peut se rainer à aucun d'eux. La sous -commission conclut, enfin, qu't'Z faut essayer de restreindre le plus possible le nombre des buveurs. Tout monopole rêve, au con- traire y de l'augmenter, et cela par la force des choses et malgré toute législation. A ce point de vue, votre sous- commission considérerait tout monopole comme funeste au point de vue de l'hygiène, car il n'existe pas d'alcool hygiénique, si bien purifié ou si bien cuisiné qu'il soit. 1 La Justice pénale, son évolution, ses défauts, son avenir résumé du cours de sociologie criminelle, p. 43 à 49. Bruxelles, Lancier, 1898. SOC. XVII. 4 54 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON tête un apôtre enthousiaste, ont une action réelle, mais éphémère, ainsi l'influence du père Mathiew en Irlande 1847. Les conférences dans les lycées ou pensions, les images sugges- tives, les manuels scolaires n'agissent que parce qu'ils s'adressent à l'esprit. C'est seulement en élevant le niveau intellectuel du peuple qu'on parviendra à lui faire comprendre les dangers de l'alcoolisme. De l'instruction, toujours de l'instruction et encore de l'instruction on'n'en donne jamais suffisamment pour qu'il y en ait assez. Quand le peuple sera plus instruit, il pourra com- prendre le danger et alors il renoncera à l'excitant alcool. Il y renoncera surtout quand on lui aura donné de saines distractions, des livres, du théâtre à bon marché, un intérieur où il lui sera possible de trouver quelques-unes des satisfactions que nous avons dans nos maisons. Donnez des loisirs à l'ouvrier et il saura les employer. Nous sommes tous solidaires, à l'heure actuelle plus que jamais, et c'est de nous, de notre classe bourgeoise que l'exemple et les armes doivent venir pour lutter contre l'alcoolisme. Les exemples se diffusent de haut en bas. On ne saurait trop insister sur ce point. Dans l'échelle sociale, c'est la sobriété des classes élevées qui fera diminuer l'alcoolisme du peuple. Je termine en parodiant une phrase célèbre Que Messieurs les consommateurs de Chartreuse et d'exquise fine Champagne com- mencent ! M. Roche. — On ne saurait trop vivement remercier M. le professeur Lacassagne de sa remarquable communication qui vient de tenir sous le charme l'esprit de ses auditeurs. C'est véri- tablement rendre hommage à l'importance de cette communication que de revenir, pour y appuyer, sur ses points essentiels. M. Lacassagne a défini les alcooliques des séniles précoces ». On ne saurait mieux qualifier le travail de dissolution que l'alcool opère dans l'organisme. Ce n'est pas seulement au point de vue anatomo-pathologique que cette sénilité avant la vieillesse s'accuse. SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1898 55 Pendant la vie, il semble que les sympathies organiques soient rompues, le mouvement nutritif accéléré, les forces vitales accu- mulées et transmises par l'hérédité, épuisées comme à la hâte ; enfin les synergies fonctionnelles dont l'équilibre fait la santé sont troublées. Le système nerveux voit son influence diminuer; il ne règne plus en mattre sur les divers organes. Les zones psychiques elles-mêmes sont atteintes et souvent l'alcoolique n'a pas con- science des plus graves lésions pulmonaires et autres qui le tuent. Cette sorte de suicide involontaire fait, dit-on, œuvre de sélec- tion au profit de l'espèce. Est-ce chose certaine ou une simple hypothèse? La balance semble pencher surtout de ce côté -ci. Si l'alcoolique était seul, mourait sans enfant, on se résignerait sans peine à sa disparition et même à son intoxication. Mais, lui, ne renonce pas à la paternité et laisse des descendants dégénérés et qui, à leur tour, feront naître d'autres dégénérés. Gomme remède absolu, M. Lacassagne dit de l'instruction, encore et toujours de l'instruction. Son influence est-elle bien certaine? La préconiser ainsi, n'est- ce pas sacrifier, peut-être, à l'intellectualisme qui hante le cerveau des faiseurs de programmes? L'alcoolisme est-il donc la spécialité des ignorants? La tempérance est-elle la vertu ina- movible des savants? et n'est- on vertueux qu'à condition d'être instruit? En réalité, tous ces points d'interrogation sont chose d'un autre ordre. C'est moins de l'intelligence que de la volonté que la tempérance relève, c'est V éducation qui, plus que Vins- truction, règle et affermit la volonté. C'est de l'éducation qu'il faut attendre le meilleur appoint dans la lutte nécessaire contre l'alcool. M. May et. — M. le professeur Lacassagne regarde comme illusoire l'influence de la consommation de l'alcool sur la crimina- lité ; au cours de la discussion ayant eu lieu dans la dernière séance, M. Cadéac n'a incriminé que les essences dans la pathogé- nie des accidents de l'alcoolisme ; comme il y a un mois, je dis aujourd'hui dans la communication sur Y Alcoolisme, j'ai moins 56 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON exprimé mon sentiment relatif à la criminalité, que reflété l'opi- nion généralement admise, les idées classiques. Y a-t-il réellement entre les courbes de l'alcool et celles de la folie, de la criminalité des rapports de cause à effets, ou la compa- raison de ces courbes joue-t-elle seulement le rôle d'épouvantail entre les mains des apôtres de l'anti-alcoolisme, au même titre que les tableaux qui attribuent aux consommateurs de boissons spiritueuses l'estomac verdâtrj et le foie putréfié qu'ils représentent? Je n'ai point la compétence voulue pour essayer de pré- ciser une question discutée par des maîtres éminents de diverses écoles, et me suis contenté d'en esquisser les lignes principales. Vu l'heure avancée, la suite de la discussion est renvoyée à la séance suivante. PRESENTATIONS M. Cadèac présente diverses pièces anatomiques dépendant des collections de Y Ecole vétérinaire ; I e Dilatation de l'oesophage chez le chien. 2° Dilatation énorme de l'œsophage d'un cheval. Les exemples de dilatation totale de l'œsophage analogue à celle présentée sont peu fréquents ; le jabot œsophagien est un fait moins rare. 3 e Etranglement spontané du côlon flottant, chez le cheval; le mécanisme de cet étranglement intestinal est assez complexe et semble reconnaître surtout pour cause l'action de la pesanteur sur les boules fécales qui circulent dans celte portion de l'intestin jointe à une contraction spasmodique des flbres musculaires, lon- gitudinales. Après quelques questions posées à M. Gadéac par MM. Guinard, Roche, Lesbre et Verrière, la séance est levée à 6 h. 1/2. L'un des Secrétaires Lucien Mayet. SÉANCE DU 11 MARS 1898 57 CLVI* SÉANCE. — 11 Mars 1SM. Présidno d M. DOR, Présidant. COMPTE RENDU FINANCIER VElat financier pour 1 année 1897 est soumis à 1 aj >pro bation de la Société par M. L. Bourgeois, trésorier. En caisse . . . 59 Souscription pour Cotisations . . . » le buste du D r Diplômes . . . 110 » Rollet . . . 25 » Vente des bulletins A l'avancement des de la Société . 110 » Sciences . . . 20 » Intérêt des sommes Au gaz .... 6 » déposées . . • 96 82 A l'appariteur . . Affranchissements 50 » \ et recouvrent 44 85 \ Aux imprimeurs. » \ En caisse . . . 56 41 41 OUVRAGES OFFERTS Bulletin hebdomadaire de statistique municipale de la ville de Paris, 19 année, n"ô, 7, 8, 9. La Réforme économique. L'intermédiaire des Biologistes, l re année, n° 8. Association française pour l'avancement dt s Sciences ,28 e session, 1897. Revue mensuelle de VEcole d'anthropologie de Paris, 8 ê année, n» 2. D r Bertholon, Exploration anthropologique de Vî e de Gerba Tunisie;. Bulletin de la Société de Spéléologie, 3 e année, n° 12. Société de Géographie commerciale de Bordeaux, 21 e année, 2 série. Société languedocienne de géographie, 20 6 année, t. XX. 58 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Société de géographie de Toulouse, 16 e année, n° 6, 1897. Le Globe, t. XXXVII, 5 série. Atti délia reale Accademia dei Lincei, scienze fisiche, matematiche e naturaU, vol. VII, fascicules 3 et 4. Rendiconti délia reale Accademia dei Lincei scienze morali, storiche e filologische, vol. Bolletino de Paletnologia Italiana, 3 e série, t. III, anno 23. Verhandlungen der Berliner Gesellschaft fur Anthropologie, Ethno- logie und Urgeschichte, octobre 1897. Correspondes blatt der deutschen Gesellschaft fur Anthropologie, Ethnologie und Urgeschichte, 29 e année, n oa i et 2. Société impériale russe de géographie, t. XXXIII, 1897. Kongl. Vitterhets historié och Antiquitels Ahademiens Manadsblad, 1894. Diverses notes sur le Musée de Stockholm. Free Muséum of Scienze and Art, bulletin n° 2, 1897. PRESENTATIONS M. Ouinard montre un cas de syndactylie chez le veau. Cette pièce lui a été adressée par M. Thiery, de Bône. Ce cas qu'il n'a pas cité dans son Traité de Tératologie est très rare. M. Lesbre. — Les faits de ce genre, très rares en effet chez les bovidés, sont assez fréquents chez le porc. Cette anomalie est môme devenue une conformation habituelle chez une race de porcs des provinces danubiennes. Il est assez curieux que cette disposition soit plus fréquente chez le porc qui, contrairement à ce qui se passe chez les bovidés, a deux métacarpiens indépen- dants. M. Cadéac présente le moulage d'un cas de torsion de l'estomac chez le chien. Les symptômes causés par cet accident avaient été rapportés jusqu'ici à une lésion secondaire de cette maladie, à une congestion de la rate, La partie postérieure de l'estomac la plus mobile de cet organe, se porte en avant à l'occasion d'une course rapide, du fait de descendre des escaliers à une vive allure. Elle pivote autour du SÉANCE DU 11 MARS 1898 59 point de fixation à l'oesophage de la partie antérieure. Dans ce mouvement, le duodénum est fermé par la pression de l'épiploon et l'œsophage par torsion. Cet accident ne se produit que pendant la y acuité de l'estomac. L'examen anatomique montre cet organe très distendu conte- nant un liquide rouge sans matières alimentaires et des gaz. La rate est congestionnée et augmentée de volume. Le symptôme dominant est une dyspnée intense. L'abdomen est augmenté de volume dans sa partie antérieure, il existe untym- panisme marqué. Le diagnostic peut être fait facilement par l'ad- ministration sous- cutanée d'un vomitif qui produit des efforts de vomissement sans aucune évacuation. La marche de la maladie est rapide. L'animal meurt en douze heures environ. Il est permis de penser qu'une intervention opéra- toire efficace est facile et possible en pareil cas. A PROPOS DE LA DISCUSSION SUR L'ALCOOLISME M. Ouinard prend la parole au sujet de la discussion déter- minée par la communication de M. Mayet sur l'alcoolisme. M. Mayet. — L'alcoolisme est surtout devenu dangereux depuis l'emploi des alcools d'industrie. Les essences qui servent à fabri- quer les liqueurs sont nuisibles, beaucoup plus dangereuses môme que l'alcool, ainsi que l'a démontré M. Gadéac. Leur action doit être distinguée de celle de l'alcool. M. Cadéac. — On a considéré comme facteur principal de la toxicité des alcools d'industrie certaines impuretés, le furfurol en particulier. Les procédés actuels de distillation permettent d'obtenir à bas prix des alcools très purs et à l'emploi desquels on ne peut s'opposer sous le prétexte de rectification insuffisante. Malgré cela, les alcools d'industrie ne peuvent être assimilés avec les alcools devin. Dans l'alcoolisme actuel l'usage des liqueurs à essences est un facteur important de l'intoxication. 60 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON M. le D r Dor. — Une forme d'amblyopie toxique, le scotome central, est bien causé par l'emploi de l'alcool. Dans la Suisse française, dont les habitants ne boivent que du vin blane de bonne qualité, on observe cette maladie. Il est vrai qu'il faut aussi faire entrer en ligne de compte l'usage du tabac qui peut amener les mêmes troubles de la vision ainsi que l'a démontré l'observation d'adeptes des sociétés de tempérance. Depuis vingt ans M. Dor a observé à Lyon, sur malades, 619 cas de cette affection dont deux seulement se rapportaient à des femmes. L'âge moyen des malades était cinquante ans. Ils consommaient en moyenne 2 litres de vin par jour soit environ 100 grammes d'alcool. Cette statistique a été présentée à la Société pour l'avancement des sciences en 1897 par M. le D r Louis Dor. M. Pilagaud donne communication de la note suivante Les observations dont M. le D r Roche a fait suivre, à la der- nière séance, les très intéressantes notes de M. le D r Lacassagne, m'obligent à prendre de nouveau la parole dans cette discussion. Il paraît que nous nous sommes bien mal expliqués, M. Gadéac est religieusement conservé par les rôdeurs de barrière. Un coup de tête au creux de V estomac est une ressource, un tour qu'il faut avoir dans son sac bien appliqué, il met à votre merci l'adversaire le plus solide. Celui-ci tombe en effet, comme une masse inerte, privé de con- naissance, en syncope. Cette syncope peut n'être que passagère, mais parfois aussi devenir rapidement mortelle. Et si on vient à SÉANCE DU MAI 1898 93 faire l'autopsie d'un individu mort dans dételles circonstances, que trouve-t-on ? Rien ou presque rien un péritoine légèrement dépoli, de la rougeur et de la cyanose des anses intestinales ecchymosées, et c'est tout. On aura beau fouiller les coins et recoins du cadavre il gardera son secret, et les suppositions les plus fantaisistes auront libre cours. Il y a deux cents ans Ruysch avait déjà signalé ces cas, où des contusions abdominales avaient amené la mort sans déterminer aucune lésion viscérale. .Boerhave en 1768 reprend les idées de Ruyscb; il insiste sur le caractère mystérieux de ces morts inex- pliquées anatomiquement parlant. Il faisait déjà entrevoir l'utilité de la connaissance de ces faits étranges au point de vue médico- légale. En 1883, à Lyon. M. le professeur Lacassagne, dans la tbèse d'un de ses élèves, M. le D r Lamoureux, les rappelait à l'attention du monde médical. II Quel est donc le mécanisme d'une telle perturbation amenée dans le jeu des fonctions essentielles de la vie, par un simple coup porté sur le ventre? Depuis cinquante ans la physiologie b'est efforcée de répondre à cette interrogation. En 1856, Brown-Sequard attribua au système nerveux le grand rôle dans la production de ces phénomènes; il vit que chez le lapin l'écrasement des ganglions sympathiques, pratiqué dans la cavité abdominale arrêtait ou diminuait les mouvements du cœur. Il signalait aussi les relations directes qui existent entre la fonction cardiaque et l'état de la séreuse qui double l'intérieur du ventre, le péritoine. Mais c'est à Goltz que revient le mérite d'avoir en 1859, réalisé par l'expérimentation les phénomènes que nous avons signalés. Percutant le ventre d'une grenouille cet auteur produi- sait l'arrêt du cœar. Pour lui, la cause de cet arrêt se trouvait dans un afflux subit du sang au niveau des anses intestinales ainsi frappées. Sous l'influence du choc reçu par les intestins, le sang afflue dans l'abdomen; le cœur est, pour ainsi dire, vidé de son contenu, il s'arrête. Ainsi s'explique aussi la pâleur marmoréenne des malades qui viennent d'être frappés au ventre. 94 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Cette expérience est d'une importance capitale; elle nous montre que le péritoine peut être le point de départ de réflexes très graves agissant sur la circulation au point de l'arrêter parfois, et de la modifier toujours sensiblement. Elle nous explique, quoique bien succinctement, l'apparition de ces phénomènes curieux observés chez les malades qui viennent de subir une intervention chirurgi- cale sur l'abdomen. On sait que parfois à la suite d'une opération longue et minutieuse pratiquée sur le ventre, surtout lorsque le chirurgien a dà manipuler l'intestin, le sortir de la cavité abdo minale, l'essuyer, le coudre, etc., le malade meurt dans les heures qui suivent l'acte opératoire dans un état de dépression nerveuse extrême, de collapsus progressif que l'on désigne sous le nom de shock. Cet état de shock rappelle absolument celui dans lequel se trouve un individu qui vient d'être violemment frappé au ventre dans les deux cas ce sont des réflexes à point de départ périto- néal qui le provoquent. D'ailleurs les physiologistes, à la suite de Goltz, s'appliquèrent à approfondir cette étude des réflexes abdominaux et montrèrent les diverses influences capables de les modifier dans leur mode d'apparition comme dans leur intensité. Appliquant à la clinique ces idées nouvelles. MM. Potain et Teissier, M. le professeur Arloing, dans la thèse de son élève Morel, montrèrent que cer- taines maladies douloureuses du foie et de l'intestin étaient capa- bles d'amener par voie réflexe des troubles cardiaques graves. En chirurgie, Wylie, Olshausen, Lawson Tait, etc., s'efforcèrent de recommander aux opérateurs la plus grande douceur, à l'égard du péritoine, sous peine de voir leurs malades mourir de shock. Mais ces conclusions importantes ne s'appuyent en somme que sur l'expérieuce grossière de Goltz qui se contentait de constater de visu les effets produits sur le cœur d'une grenouille par la percussion des intestins. Il nous a semblé que les progrès immenses réalisés par les physiologistes modernes dans la pratique de l'expé- rimentation nous permettaient d'espérer mieux. N'était-il pas possible d'enregistrer simultanément et de fixer sur des tracés les modifications subies par le cœur, par le pouls, par la respira- tion 80uj l'influence d'irritations portées sur l'intestin et le péri- SEANCE DU 9 MAI 1898 95 toine? Si, et nous avons été assez heureux pour y arriver; grâce à l'habileté d'expérimentateur de notre excellent collègue et ami, M. leD r Guinard, que nous ne saurions trop remercier de sa pré- cieuse collaboration, toutes les difficultés ont été surmontées et les résultats obtenus nous ont paru dignes d'attirer votre attention. III D'abord un mot sur notre manuel opératoire Les sujets en expérience ont été des chiens ou des cabris ; nous insisterons surtout sur les résultats obtenus chez le chien parce que l'animal étant plus gros, les réactions obtenues sont plus nette- ment enregistrées, mais chez l'un et l'autre animal les réflexes observés ont été les mômes. Nos animaux ont toujours été opérés sous anesthésie, d'une part afin de se mettre dans les conditions cliniques ordinaires les malades chez lesquels on pratique une opération dans le ventre sont toujours endormis, d'autre part, pour que l'on ne puisse pas nous objecter que les réflexes enregistrés étaient dus à des réactions de sensibilité douloureuse. L'anesthésique employé a été l'éther, le chloroforme, le chloral. Les instruments dont nous nous sommes servis appartenaient tous au professeur Arloing, qui avait bien voulu nous ouvrir toutes larges les portes de son laboratoire. Les tracés étaient reçus sur le grand appareil enregistreur de Ghauveau. La pression artérielle, prise dans la carotide était mesurée à l'aide du manométrographe de Ghauveau. Le pouls était inscrit à l'aide du sphygmographe à doigt de gant. Un pneumographe ordinaire recueillait les mouvements respi- ratoires. Enfin un explorateur graphique du ventricule droit imaginé par M. Guinard enregistrait le jeu du cœur. Nous avons fait douze expériences principales celles-ci ont été remarquables par la constance des phénomènes constatés. Afin d'en faciliter l'exposition, nous parlerons successivement et séparément des réflexes circulatoires et des réflexes respiratoires. 96 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON I. Réflexes circulatoires. — Sous l'influence d'irritations même légères, portées sur le péritoine, la circulation est profondé- ment troublée la pression artérielle présente des oscillations manométriques considérables, le cœur est manifestement impres- sionné comme le montrent les caractères des tracés cardiographi- ques et sphygmographiques, La pression artérielle est toujours considérablement modifiée ; d'une façon constante, le résultat est une chute de la pression. Cette chute peut se mesurer par un écart de 42 millimètres en vingt secondes, de 20 millimètres en dix secondes. Le rythme du cœur est changé; d'une manière générale, les réflexes cardiaques d'origine péritonéale se révèlent par un ralen- tissement du cœur. Ce ralentissement peut être considérable, se chiffrer par 30 pulsations cardiaques en moins par minute. On constate simultanément que les contractions sont faibles ot avor- tées; elles sont parfois intermittentes. Le pouls reflète exactement cet état du cœur; le pouls est ralenti et les pulsations artérielles diminuent d'amplitude. Le pouls devient très faible, sans tension, mou et filant. I I. Réflexes respiratoires. — Du côté de la respiration , pas moins nettes sont les réactions à point de départ abdominal; X accéléra- tion de la respiration est un phénomène constant. Cette augmen- tation du nombre des inspirations peut être extrême; jusqu'à 36 respirations en plus par minute. D'ailleurs le rythme respira- toire n'est pas seulement dénaturé en rapidité il Test aussi en amplitude et en régularité. A mesure que sous l'influence de l'excitation péritonéale la respiration s'accélère elle devient super- ficielle, irrégulière, saccadée, haletante. Telles sont très brièvement résumées les principales modifica- tions physiologiques qui nous ont été révélées par l'étude de nos tracés ; elles répondent exactement aux symptômes observés dans ieshock Elles se produisent toujours quand on irrite le péritoine, mais le moment où elles apparaissent et l'intensité qu'elles revê- tent sont directement influencés par l'état de la séreuse. Quand le péritoine est sain 9 non irrité antérieurement, les ma- nipulations les plus variées portées sur la masse intestinale nepro- SÉANCE DU 9 MAI 1898 97 duisent aucune réaction pendant les dix à quinze premières minutes qui suivent l'ouverture du ventre. Il existe à ce moment une véri- table période de tolérance. Tracé 1. Puis peu à peu la susceptibilité péritonéale s'éveille et va sans cesse en augmentant à mesure qu'on s'éloigne du début de l'expé- rience. Tracés 2, 3 et 4. Lorsque le péritoine est malade le moindre attouchement pro- voque des réflexes intenses et ceci dès les premiers contacts qu'on fait subir à la masse intestinale. La période de tolérance n'existe pas; l'irritabilité de la séreuse entre enjeu immédiatement. Tracé 5. Et les phénomènes observés sont toujours plus intenses que lors- qu'on les provoque chez un animal dont le péritoine est sain. Tracé 6 et 7. On peut très exactement se rendre compte de cette particularité en étudiant parallèlement nos deux séries de tracés 4 . série A et B. IV Les conclusions que l'on peut tirer des résultats obtenus dans nos expériences sont intéressantes. Elles se rapportent d'une part à la physiologie du péritoine, d'autre part à la thérapeutique chi- rurgicale et enfin à la médecine journalière. Aux physiologistes ces expériences démontrent l'existence de réflexes péritooéaux intenses agissant sur les deux grands systèmes de la circulation et de la respiration; signalés par Gultz, Bernstein , Tarchanoff, ils n'avaient jamais été aussi nettement, aussi claire- ment démontrée. Nous sommes arrivés à les enregistrer simulta- nément et à les fixer sur des tracés très probants. Aux chirurgiens ces tracés montrent qu'on ne peut pas impuné- ment laisser le ventre ouvert pendant de longues heures, manipuler à son gré l'intestin, le dérouler, le laver. On est maître sans doute aujourd'hui des complications dues à l'infection, mais sous le cou- 1 Dans nos tracés m, indique pression manométrique ; P, pouls ; B, respiration ; S, seconde*; a, le moment où apparaissent les réflexes. 98 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON vert de l'asepsie et de l'antisepsie, il ne faut pas se permettre de telles hardiesses. Le malade ne meurt plus de péritonite, mais il peut mourir de shock. Et alors se justifie la fameuse formule que le public railleur ne manque pas de vous rappeler l'opération a très bien réussi, le malade est mort immédiatement après. Enfin, nous trouvons dans ces expériences la confirmation scien- tifique du caractère de gravité que revotent si facilement les coups portés sur l'abdomen. La crainte du vulgaire que nous signalions au début de ce mémoire est donc bien justifiée et on doit enseigner à se garer autant que faire se peut des traumatismes abdominaux. DISCUSSION M. Guinard. — Les recherches que vient d'exposer M. Tixier tendent à élucider quelques points de la physiologie du péritoine encore bien mal précisée. Gomment expliquer la pathogénie des accidents opératoires survenant au cours d'une intervention où le péritoine est intéressé ? Les explications données sont fort confuses toutefois ; au point de vue pratique, il faut surtout chercher à diminuer la durée de l'anesthésie et réduire au minimum les manipulations des viscères. M. Lacassagne regrette de n'avoir pu trouver jusqu'ici un exposé satisfaisant de la physiologie du péritoine. Il y a là un vaste champ de recherches. M . Guinard. — La physiologie pathologique du péritoine est peu connue; sa physiologie normale est à peu près complètement ignorée. M. Teissier. — On peut se demander quelles sont les voies réflexes par l'intermédiaire desquelles se produit le shock. La voie centripète est-elle toujours lo sympathique et la voie centrifuge, le pneumogastrique? La mort se produit-elle toujours par syn- cope cardiaque ? M. Guinard, contrairement aux affirmations de Gollz, a vu deux fois chez le chien des syncopes respiratoires à la suite de manipulations sur l'abdomen. SEANCE DU 9 MAI 1808 99 M. Teissier. — Pour donner de tous les faits une explication suffisante, il faut admettre les voies sympathico-sympathique et sympathico- pneumogastrique. Un fait clinique semble plaider en faveur de la voie centripète pneumogastrique, c'est la syncope dans les douleurs du rein droit qui reçoit seul des filets du pneu- mogastrique. M. Lacassagne s'est demandé si le shock pouvait se produire par suite de contusions profondes sans blessure. Il a eu l'occasion d'observer un fait qui semble indiquer cette possibilité Un soldat qui montait un cheval exceptionnellement dur fut pris de sym- ptômes de péritonite et mourut. A l'autopsie on ne trouva aucune lésion apparente, M. Tianer. — Au point de vue clinique toute péritonite suppose une infection. Toutefois dans certains cas de septicémie suraiguê les bacilles peuvent passer brusquement par osmose dans le péri- toine et la mort se produire avant que les phénomènes réactionnels habituels aient eu le temps de se manifester. COMMUNICATION M. Lesbre lit au nom de M. le professeur Arloing et au sien un mémoire sur l'établissement d'une nouvelle nomenclature myolo- gique. Ce mémoire sera résumé ou publié ultérieurement dans le Bulletin. M. Lesbre fait ensuite une brève critique des diverses bases données jusqu'ici à la nomenclature anatomique des muscles et conclut en disant que la seule nomenclature applicable à l'homme et aux animaux est celle dans laquelle les muscles tirent leurs noms de leurs rapports. M. Pèlagaud. — Pareille réforme a été tentée pour la géolo- gie, sans un grand succès d'ailleurs. La séance est levée à 6 h. 1/4. L*un des secrétaires D r Royit. 1/10 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON CLIX* SEANCE. — 4 Jnin 1S98. Présidence de M. DOR. Président Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. Royet demande la parole à propos du procôs- verbal et rap- pelle que Vicq d'Azyr, dans son discours sur Tanatoroie, a donné une classification semblable, à peu de chose près, à celle que pro- posait M. Lesbre dans sa dernière communication. Il donne lecture des passages du Traité à" anatomie et de phy- siologie, avec des planches coloriées représentant au naturel les divers organes de l'homme et des animaux, vol. in -4°, Paris, Didot, 1786, dans lesquels Vicq d'Azyr soutient la môme opinion. PRESENTATIONS M. Dor présente une radiographie d'une main de momie. Elle présente cinq os sésamoïdes, ce qui de nos jours ne 83 voit plus'. M. Cadèao montre le moulage des organes d'une chienne qui présentait pendant la vie de l'essoufflement, de la' maigreur; elle avait douze ans. M. Gadéac crut à la tuberculose et l'on fit une injection de tuberculine. La température ne varia pas. L'animal fut sacrifié. L'autopsie montra l'envahissement de tous les poumons par une multitude de noyaux néoplasiques. Cette chienne avait au niveau d'un sein une tumeur adhérente de la grosseur du poing, à laquelle on n'avait pas attaché une importance suffisante pour le diagnostic. La rate était envahie par une toute petite tumeur, il y avait quel- ques noyaux jeunes dans le foie. 8EANCE DU 4 JUIN 1898 101 COMMUNICATION LA PALAFITTE DU GUÉ DE GRELONGE SUR LA SAONE Par M. C. Savote Sera publié ultérieurement. communications LE TELL DE KARA-EUYUK PRÈS CÉ8ARÉÊ Par Ernest Chantre Les merveilleuses découvertes archéologiques dont Tore a été inaugurée au commencement de notre siècle en Mésopotamie ont, en quelque sorte, renouvelé complètement l'histoire primitive de l'Asie occidentale et môme de l'Orient de l'Europe. Les résultats surprenants des fouilles de Botta à Ninive, de Layard à Kouyoun- djik, de M. de Sarzec à Tello, ont apporté des renseignements inattendus sur les origines des civilisations préhelléniques de l'Hellade et de l' Asie-Mineure, et sur l'influence qu'elles ont exer- cée dans le développement de Fart grec primitif. Les curieux monuments de la Lydie, de la Phrygie et de la Cap- padoce découverts parHamilton, Texier, Felow et d'autres firent entrevoir qu'il fallait chercher dans ces régions les ramifications et les stations de cette grande voie par laquelle avait dû cheminer, et s'était propagée, d'étape en étape, toute une civilisation dont la Chaldée était le berceau lointain. Cependant aucune exploration archéologique de quelque importance n'avait été entreprise dans cette direction avant 1861. À cette époque, M. G. Perrot résolut d'assumer cette tâche. Les résultats de l'exploration de la Galatie, de la Bythinie de la Gappadoce, de la Phrygie, du Pont furent Soc. anth. — t. XVII, 1898 8 102 SOCIÉTÉ D* ANTHROPOLOGIE DE LYON considérables, et l'ouvrage qui en est le résumé contribua plus que tout autre à mettre en lumière le rôle important joué par les peu- ples habitant le plateau de l' Asie-Mineure dans la transmission de l'impulsion artistique venue de l'Orient. Les trouvailles de Fouqué à Santorin ; celles de Salzmann et de Billiotti è Rhodes ; celles non moins heureuses de Gesnola à Chypre, montrent qu'antérieu- rement à l'époque grecque s'étaient développées dans ces îles des populations sauvages. Celles-ci, après avoir vécu de la vie des néolithiques, reçurent les premières l'étincelle du génie artistique dont le développement devait un jour les placer au premier rang dans la marche en avant de l'humanité. Ces données qui avaient attiré l'attention des archéologues prirent très rapidement une importance capitale en présence des découvertes mémorables de Schliemannà Hissarlike, à Mycènes et à Tyrinthe. L'Arménie et le Caucase furent de leur côté l'objet de fouilles importantes qui révélèrent des vestiges d'une civilisation analogue à celle de l'Argolide et de la Troade. Des investigations person- nelles nombreuses m'ont permis de faire ressortir les rapports qui existent entre les nécropoles proto-historiques de l'Orient et celles de l'Occident, et de montrer la communauté d'origine que présen- tent les éléments ethnographiques que l'on y rencontre. Mais si le plus grand nombre des archéologues — et les plus éminents — étaient d'accord pour placer en Mésopotamie les racines de ces civilisations dites égéenne et hétéenne dont les manifestations se rencontrent — inégalement réparties — du Cau- case à l'Etrurie et du Pont-Euxin à la Phénicie, on était frappé des innombrables solutions de continuité que l'on pouvait constater dans la marche du grand courant provoqué de l'est à l'ouest. Les preuves historiques que l'on possède de la domination assyrienne en Cy pre et en Phénicie à l'époque des Sargonides avaient confirmé l'origine mésopotamienne des motifs décoratifs découverts dans les anciennes nécropoles de ces pays. Mais c'est seulement l'étude des bas -reliefs hétéens — rappelant par leur style et leurs sym- boles ceux de la Haute-Assyrie — qui a commencé à faire com- prendre par où et comment s'était opérée la transmission des formes et de la technique assyrienne en Hellade. SEANCE DU 4 JUIN 1808 103 Tel n'est pas cependant l'avis de quelques archéologues qui, s'inspirant des idées d'Ottfried Mûller, l'ennemi déclaré des influences orientales, se refusent de croire que toute lumière est venue en Occident de l'Euphrate et du Nil. Nos découvertes, et particulièrement celles que nous avons opérées, à Boghaz-Keui et à Kara-Euyuk venant appuyer celles de nos devanciers, modifie- ront sans doute cette manière de voir. Pour moi, tout en admettant dans une certaine mesure l'action en retour » et tout en faisant une large part à l'initiative locale, il nous paraît de plus en plus évident que la plus grande partie de cette civilisation est due à des influences venues de Mésopotamie et sans doute aussi de l'Egypte. Il paraît démontré que c'est à travers l'Asie et la Syrie qu'elle a cheminé. Les seul* ptures rupestres et les vestiges de cités que recèlent les tells de ces régions peuvent être considérés comme autant de jalons épars laissés sur ces voies de pénétration. Ces sculptures représentant des figures de lions, de taureaux, des suites de personnages analo- gues à ceux de Ninive n'étaient pas suffisantes pour permettre d'affirmer l'existence de rapports continus entre la région de l'Eu- phrate et celle de la Méditerranée. On manquait en effet de docu- ments ethnographiques capables de renseigner sur l'influence qui avait pu s'étendre de l'Est à l'Orient. En faisant connaître ces monuments, M. Perrot déplorait qu'ils n'eussent pas été l'objet de fouilles plus considérables que celles entreprises par lui durant son exploration. Il pensait que de nou- velles recherches arriveraient à fournir des renseignements sur l'architecture et les usages encore si peu connus des Hétéens de la P té rie et provoquerait la découverte de quelques vestiges de leurs productions dont les spécimens sont rares dans les Musées* Ce qui nous manque en Ptérie, disait-il 1 , ce sont ces petits objets qui partout ailleurs en Egypte, en Mésopotamie, en Syrie sortent en si grande abondance des tombeaux et des ruines de tous genres. En effet, si l'on voyait à Boghaz-Keui des restes de sanctuaires et de palais, on n'y avait pas trouvé jusqu'ici ces divers débris de l'in- 4 Histoire de F Art, tome IV, p. 691. 104 société d'anthropologie de lton dustrie d'un peuple qui montrent son genre de civilisation, comme cela se présente dans les tells de la Mésopotamie par exemple. Seule en Asie-Mineure la Troade avait fourni — en outre des ruines d'habitations, de palais et de forteresses — des matériaux ethnographiques capables de rétablir les liens de parenté qui ont existé entre les arts des Àchéens et des Mycéniens et ceux des Chaldéo-Assyriens. On possédait cependant des entailles, des cachets, des figurines... ils avaient été trouvés isolément dans les régions des bas-reliefs bétéens ou dans leur voisinage ; aucune pièce ne provenait de fouilles, c'est-à-dire d'un lieu précis. C'est afin de répondre à ces desiderata que j'ai résolu de reprendre des fouilles dans les diverses localités hétéennes déjà signalées et d'en ajouter de nou- velles. Mes espérances ont été dépassées, à certains égards, puisque nos recherches ont fourni non seulement les éléments ethnographiques dont M. Perrot déplorait l'absence, mais encore des documents écrits qui viennent confirmer ce que l'on avait entrevu au point de vue de l'origine de la civilisation hétéenne, de ses relations avec la Mésopotamie et l'époque à laquelle ces relations ont eu lieu. Au cours de mon voyage de Beyrouth à Tiflis 1 , entrepris en 1881, avec le bienveillant appui de mon regretté maître, M. Albert Dumont, j'avais pu recueillir dans la Syrie du Nord, dans le Kur- distan turc et en Arménie de nombreux objets antiques. Quelques- uns appartiennent à l'art hétéen, d'autres se rapportent aux diver- ses civilisations qui se sont succédé dans cette contrée. J'ai constaté de plus l'existence d'un nombre considérable de tertres, soit dans la vallée de l'Oronte, soit dans celles du Tigre, de l'Euphrate et de l'Araxe ; malheureusement il ne m'a pas été permis d'en ouvrir un seul. En publiant les résultats de mes fouilles en Arménie et au Cau- case 2 durant les années de 1879 et 1881, je faisais ressortir certains 1 Le Tour du Monde, octobre 1889. * Recherches anthropologiques au Caucase, 1886. — Congrès de Moscou, 1892 si Société d'Anthropolgie de Lyon, 1892. SEANCE DU 4 JUIN 1898 105 rapports qu'il est facile de constater entre les sentiments artistiques et les sjmboles religieux des populations antiques du Caucase et ceux des Hétéens. J'exposais d'autre part au Congrès de Moscou en 1892 de nou- veaux arguments en faveur de cette manière de voir, et je con- cluais à l'origine commune des deux civilisations. J'avais alors le très vif désir de poursuivre mes recherches en Asie-Mineure dans le but de combler quelques-unes des lacunes que je viens de signaler. Encouragé par la bienveillance de mes savants maîtres, MM. Perrot et Schefer, et mes amis MM. Hannj et Menant, j'ai pu, en 1893, mettre mon projeta exécution. C'est chargé d'une mission par M. le Ministre de l'Instruction publique que je parcourus cette région durant les étés de 1893 et 1894, accompagné de M me Chantre dont le concours me fut souvent précieux. Le tell et la ville pélagique, les tells de la vallée du Kizil- Irmak si nombreux et si vastes devaient, durant cette mission archéologique, attirer mon attention d'une façon toute spéciale, car aucun d'eux n'avait été étudié jusqu'ici. J'ai constaté l'existence de plus de soixante de ces monuments dans les parties de la Cappa- doce que j'ai parcourue, mais je n'ai pu en fouiller que deux. Ce sont ceux de Ortha-Euyuk près de Dédit et non loin de Yozgate, puis celui de Kara-Euyuk près de Césarée. Ce dernier est le plus considérable de tous et celui que j'ai plus particulièrement exploré. Comme la plupart des tells de la Cappadoce, celui de Kara- Euyuk a été construit près d'un cours d'eau. Il est, en effet, situé non loin d'un affluent du Kizii-Irmak, le Sarymsak-Sou ou Kara-Sou, et au milieu de la plaine marécageuse que longe la route de Sivas à Césarée. Cette dernière ville se trouve à 18 kilo- mètres au sud-ouest. C'est en 1890, lors de notre passage à Constantinople, en reve- nant de Transcaucasie, que j'ai entendu parler pour la première fois de Kara-Euyuk. Un vénérable archéologue arménien, bien connu des numismates, excitait vivement ma curiosité en me par- lant de l'existence probable d'un grand tertre de cendres, près de Mandjésou, d'où provenaient un certain nombre d'objets que des 106 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON paysans avaient portés aux marchands de Césarée, lesquels les avaient envoyés à Gonstantinople. Parmi ces objets figuraient des poteries et des inscriptions cunéiformes. Cette indication me fit entrevoir, sans peine, l'existence de l'un de ces tells préhistoriques comme il en existe tant en Orient. Je résolus dès ce moment d'aller y faire des fouilles. Toutefois, ce ne fut qu'en mai 1893 que je pus mettre ce projet à exécution. Personne à Gésarée n'avait pu me ren- seigner sur l'emplacement de Kara-Euyuk, et ce fut seulement au couvent de Sourp-Garabet que j'appris de l'économe, qui était ori- ginaire de Mandjésou, où était ce site antique d'où il avait vu extraire des quantités de poteries depuis son enfance. Au pied nord du tell végète le misérable village de Kara-Keui, ou Karaïf-Keui, en proie à l'impaludisme le plus violent. En outre, sa population turque est des plus fanatiques, et il est seul de son espèce dans cette région éminemment arménienne, où prospèrent les riches jardins des villages de Mandjésou, d'Evkéré, d'Espé- dine, de Ghési, etc., en quelque sorte groupés autour du célèbre couvent de Sourp-Garabet. G'est dans ce monastère, séparé de Kara-Euyuk par 3 kilomètres environ, que, grâce aux recomman- dations de nos amis de Gésarée, nous avons reçu l'hospitalité la plus large. Il nous était fort agréable et fort utile de pouvoir venir nous y reposer, soit après, soit pendant nos fouilles, car le séjour du tell était des plus fatigants. L'absence totale d'arbres sur ce tertre, la chaleur torride que l'on est forcé d'y subir 34 degrés en moyenne en juin 1893 et 1894, l'air empesté de fièvre que l'on y respire, le manque absolu d'eau potable et de provisions de toute nature viendraient bien vite à bout des forces et des énergies les mieux trempées, si l'on n'avait à espérer aide et assistance que du voisinage musulman du village. Le nom du tertre aussi bien que celui du village et môme du ruisseau vient de la couleur noirâtre du sol de la région. G'est aussi pour sa formation si particulière que le tertre est appelé Kul-Tepe montagne de cendres, ou bien simplement Kara-Euyuk. Il est de forme irrégulière et paraît avoir été à peu près circu- laire avec un diamètre moyen de 480 mètres, et une hauteur moyenne de 20 mètres. Il a été entamé et exploité de temps immé- SÉANCE DU 4 JUIN 1898 107 morial par les habitants qui avaient reconnu dans les matériaux qui le constituent un excellent amendement pour leurs terres» Cette colline artificielle n'est, en effet, qu'une vaste accumulation de terre noire, de restes de constructions, de cendres, de scories, de débris de toutes sortes. Afin de ne pas perdre de temps à déblayer les pentes recouvertes d'éboulis de tous âges, nous avons entrepris des fouilles de quelque importance sur des points déjà attaqués par les habitants. Durant ma première campagne, en 1893, j'avais eu grand' peine à me procurer au village plus d'une quinzaine d'ouyriers armés de pelles en bois et de mauvaises pioches ; aussi nos travaux ne nous permirent-ils pas autre chose que de constater la nature du tell par quelques tranchées. Nous avons pu recueillir à différents niveaux une assez grande quantité d'objets antiques pour acquérir la certitude de l'importance de cette découverte, et de l'ancienneté probable de la cité, ou plutôt des cités qui ont été élevées sur ce point. Mais l'insuffisance du matériel des gens du pays ne nous permit pas de pratiquer des excavations profondes. Je résolus donc de revenir l'année suivante pourvu d'un outillage européen. J'apportai en juin 1894, de Constantinople, 20 pioches, 40 pelles et 20 brouettes, puis je réquisitionnai, en arrivant, tout ce que le village renfermait d'hommes valides, soit à peine vingt individus. J'ai réussi plus tard à réunir une soixantaine d'hommes musul- mans venus des villages voisins et qu'un gain inespéré avait faci- lement attirés. D'ailleurs les gens de Kara-Euyuk, ne voulant à aucun prix que je leur donne des Arméniens qu'ils exècrent pour compagnons, s'étaient arrangés pour attirer leurs coreligionnaires. Test encore là un des gros ennuis que présentent les fouilles dans des pays fanatiques, où les habitants ne veulent ni faire eux- mêmes, ni laisser faire les travaux par des chrétiens. Il faut parle- menter longtemps et perdre quelquefois un temps précieux. Mon premier soin fut de rafraîchir les coupes verticales qui avaient été faites par les gens du pays, spécialement dans les par- ties est et sud du tell. De véritables chambres de 50 à 60 mètres de largeur avaient été ouvertes sur plusieurs points jusqu'à 40 mètres dans l'intérieur de la colline artificielle, et donnaient un 108 SOCIÉTÉ O* ANTHROPOLOGIE DE LYON front de carrière de 25 à 30 mètres d'épaisseur. Ces travaux, auxquels j'employai deux escouades d'ouvriers, alors que deux autres étaient occupées à ouvrir des tranchées sur d'autres points avaient pour but de rechercher l'ordre de la superposition des dépôts qui avaient dû concourir successivement à la formation du tell. Ces coupes opérées cependant en dehors des parties remaniées par les éboulis de divers âges, n'ont offert que des superposi- tions de décombres dans le désordre le plus indescriptible. Six tranchées de 12 à 15 mètres de longueur sur 4 et 5 mètres de largeur, ouvertes au centre et à l'ouest jusqu'à 17 mètres de profondeur, n'ont donné que des pans de murs informes, des débris de toutes natures dans le môme désordre que celui que m'avaient montré les coupes pratiquées dans la partie externe sud. Dans quelques parties du tell, surtout au sud, on rencontre sous d'épaisses couches de cendres, mêlées à des poteries innombrables, des pièces de bois peupliers et sapins?, restes de charpentes com- plètement carbonisées. Ces amas de charbons de bois sont si con - sidérables que les habitants des villages voisins viennent depuis longtemps s'en appovisionner comme combustible. A côté de ces amas plus ou moins meubles, on trouve des blocs énormes de scories qui paraissent surgir de la profondeur du sol et remonter dans l'intérieur du tell. Celles -ci empâtent des décombres de toute nature et sur quelques points des roches sont môme fon- dues ou vitrifiées. Sur presque toute la surface du tertre on constate la présence de débris de murailles dont quelques-unes semblent avoir constitué des soubassements de maisons. Dans toutes ces ruines les grosses pierres sont fort rares, tous les matériaux ayant été apportés des collines les plus voisines, et de l'autre côté du marais, c'est-à-dire d'une distance d'un kilomètre environ. Certains amas de terre noire assez compacte et dépourvus d'ob- jets antiques paraissent être formés par des restes de murs en briques crues qui devaient s'élever sur les soubassements en pierre. Les nombreux fragments de charpente qui s'y trouvent mêlés mon- trent enfin que ce tell est bien formé par des ruines de con- struction plus ou moins importantes, mais dont le caractère nous SÉANCE DU 4 JUIN 1898 109 échappe encore. Les diverses tranchées qui ont été ouvertes sur le pourtour du tell ont montré des pans de murailles beaucoup plus considérables que celles de l'intérieur. C'étaient sans doute des remparts dans le genre de ceux de Mycènes et de Tyrinthe, Dans les parties que mes fouilles ont pu atteindre, je n'ai pas rencontré de pierres de taille, et ces murailles ne présentent, dans leur état de délabrement, aucun caractère précis. Là, où elles ont été le plus profondément dégagées, c'est-à-dire au sud-est, elles ont une épaisseur moyenne de 5 mètres. Du côté sud, là où le tell est le plus élevé, subsistent des pans de murs formant une saillie en dehors et rappelant un bastion. A l'extrémité sud ainsi qu'au sud- ouest, d'autres éminences renferment également des pans de murailles que l'on peut rattacher aux remparts. Ceux du sud- est, plus importants, semblent former bastion comme du côté est. Les gens du pays appellent ces deux points les portes de la ville », et c'est, du reste, par là que l'on devait pénétrer dans l'en- ceinte de Kara-Euyuk, et que l'on traverse actuellement le tell sur un véritable chemin, plutôt que de le contourner. Il est pro- bable que, plus heureux que moi, ceux qui reprendront un jour mes fouilles découvriront les portes des remparts, les remparts eux-mêmes et tous les édifices que devait posséder une cité de cette importance. Des restes de murailles fort épaisses se rencontrent encore sur plusieurs autres points du tell. Les masses les plus importantes se trouvent dans sa partie centrale et forment une sorte d'émi- nence qui fait songer aux ruines d'un édifice qui devait dominer toute la ville. C'est, au dire des gens de Kara-Euyuk, l'emplacement du palais et c'est là que l'on doit découvrir des trésors ! Mes fouilles, qui ont entamé cette éminence par son côté nord -ouest jusqu'à une profondeur de neuf mètres, n'ont montré qu'une accumulation de décombres jusqu'à quatre mètres. À ce niveau, on a commencé à trouver des pans de muraille de deux mètres d'épaisseur en moyenne que l'on peut attribuer à des constructions sans qu'on puisse, toutefois, soupçonner la forme de l'édifice auquel elles ont appartenu. Ces excavations ne m'ont donné qu'un très petit nom- 110 SOCIÉTÉ d'àNTHBOPOLOGIE DE LYON bre d'objets antiques, tout au plus quelques débris de poteries empâtés dans des scories; puis d'immenses quantités de bois carbonisé inclus dans des amas de pierres calcinées ou môme vitrifiées. C'est là que l'action du feu semble s'être fait sentir avec la plus grande intensité, et les traces de cette intensité augmentent à mesure que Ton descend dans le sol. Aussi, à partir de buit mètres les pierres des murailles, de plus en plus calcinées, se désagrègent sous l'action de la piocbe, lorsqu'elles ne sont pas empâtées par des scories et des laves dont on Rencontre alors de grosses masses informes. C'est à peu près ce que j'avais constaté à la base des murailles de la partie sud -est du tell. Cet état de cboses que le peu de temps et de ressources dont je disposais ne m'ont pas permis de vérifier sur tous les points du tell, tendrait à prouver que la ville antique qui s'y éleva, Dieu sait à quelle époque? fut détruite par une éruption volcanique dont l'action se serait produite de bas en haut. L'absence dans ces ruines de tout objet précieux, la rareté des produits industriels ou artistiques de quelque valeur, font supposer que les habitants de Kara-Euyuk ont pu, en fuyant devant l'incendie, emporter tout ce qui avait pour eux quelque prix. Enfin, l'état de bouleversement du sol ne répond pas à ce que laissent des incendies, même les plus violents, et ne peut être expliqué que par une éruption vol- canique. Le mont Àrgée, qui n'est éloigné de Kara-Euyuk que de 20 kilo- mètres à peine, est, comme on le sait, uc ancien volcan, et, au premier siècle de notre ère, il donnait encore naissance à des feux souterrains. Strabon signale dans la plaine de Césarée des gouffres ignés qui étaient une conséquence de la nature vo lcanique de cette montagne. Il est donc permis de supposer que du moment que l'activité de l' Argée se manifestait encore avec une certaine intensité, à l'époque relativement récente de Strabon, elle avait pu produire, quelques siècles plutôt, des catastrophes, et détruire la cité de Kara-Euyuk. Reste à identifier ce site antérieur à la fondation de Mazaca, et dont l'origine se perd certainement dans la nuit des temps. SÉANCE DU 4 JUIN 1898 111 Industrie et Arts. — Les objets recueillis dans le tell de Kara- Euyuk appartiennent à trois grandes catégories 1° les ustensiles, les armes et les bijoux en pierre, en bronze et en fer; 2° la cérami- que; 3° les inscriptions. Les uns et les autres doivent donner un aperçu des mœurs, des usages et des croyances des peuples qui ont élevé ce tell dont nous venons d'étudier la structure. Ustensiles en pierre et en bronze. — Dans la première catégorie, on remarque d'abord des lames d'obsidienne taillées en forme de couteaux, de grattoirs, de scies, de flèches, etc., ainsi que des nucléus et des quantités d'éclats divers. Ces obsidiennes taillées qui sont, du reste, accompagnées de quel- ques éclats de silex sont identiques à celles dont j'ai recueilli un nombre considérable sur les bords du Zamenti-tchaï à Frakten. Gomme dans cette localité, à ces ustensiles primitifs étaient associés des débris informes de poteries très grossières et des haches en pierre polie de natures diverses parmi lesquelles domi- nent la chloromélanite et la jadéite. M. Gonnard, l'un de nos minéralogistes les plus éminents, a bien voulu se charger de déter- miner la composition des roches qui ont servi à la fabrication de ces haches. Par la forme elles diffèrent complètement de celles de l'Europe elles rappellent celles que j'ai recueillies en Syrie et en Arménie. Les objets en bronze consistent surtout en trois haches plates, dont l'une a 150 millimètres de longueur et les deux autres 210 millimètres avec une épaisseur moyenne de 18 millimètres. Le métal qui est certainement du bronze est recouvert d'une superbe patine vert malachite. Ces haches, du type le plus simple et le plus primitif, rappellent celles qui ont été trouvées à Hissarlik. Toutefois, elles diffèrent de celles de la Troade en ce que, dans la partie médiane supérieure, on a réservé une sorte de renflement. Cette disposition fait songer à la forme archaïque de certaines idoles en terre de Chypre. Des haches plates d'un type analogue ont été également trouvées dans d'autres parties de l'Asie Mineure, notamment en Galatie, à Angora. En outre de ces haches, j'ai trouvé à Kara-Euyuk un hameçon, 112 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON trois fragments d'épingles et divers débris de lames d'épée dans un très mauvais état de conservation, plus divers débris de brace- lets filiformes et quelques morceaux de bronze informes. Sur un grand nombre de points, les fouilles ont donné fréquem- ment des traces de fer, mais aucun débris n'avait conservé des restes appréciables de la forme des objets auxquels ils avaient pu appartenir. Le feu d'abord, puis les sels que renferment les décombres du tell ont eu une action destructive considérable sur les métaux. Ce fait seul peut expliquer la rareté si grande que Ton constate dans ces ruines d'objets en bronze ou en fer, alors que les débris de céramique sont si considérables. Fusaïoles et objets divers. — À Kara-Euyuk comme à His- sarlik et dans la plupart des sites pélagiques explorés jusqu'à ce jour, c'est par centaines que se trouvent ces petits disques lenticu- laires en terre cuite ou en pierre appelés fusaioles, et dont la destination a donné lieu à tant de dissertations. Leur décoration est ici peu variée. Elle consiste en cercles concentriques simples ou accouplés par deux ou quatre; en chevrons simples ou doubles; parfois ce sont des pointillés qui font tous les frais de notre orne- mentation exécutée du reste toujours à la pointe. On ne trouve nulle trace de ces motifs si variés et si curieux dont sont couver- tes les fusaïoles d'Hissarlik fleurs, croix gammées et autres ou inscriptions problématiques. La terre n'a pas seule été employée pour la fabrication de ces petits objets ; un certain nombre ont été faites d'une pierre tendre stéachisteuse d'un vert plus ou moins foncé. À côté des fusaïoles, il faut placer certains disques de pierre percés au centre, puis des polissoires, quelquefois aussi percés d'un trou de suspension ; enfin des brunissoires en calcédoine affectant la forme d'une olive allongée. Deux pièces faites en terre cuite et représentant, l'une un fragment d'andouiller de cerf, l'autre, tournée en spirale, l'extrémité d'une corne de capridé, resteront jusqu'à plus ample information dans la catégorie des objets dont la destination m'échappe encore. Il faut rapprocher de cette caté- gorie des pains de terre cuite de dimensions et de formes diver- 8ÉANCE DU 4 JUIN 1898 113 ses, percés d'un trou de suspension. Ils ont quelque rapport avec certains poids usités à une époque plus récente que la plupart des pièces que nous étudions ici. On doit classer encore dans ce groupe d'objets indéterminés des cachets en terre cuite du genre de ceux que Schliemann a trouvés en grand nombre à Hissarlik. L'un d'eux porte des points en relief réunis deux à deux par un ovale en creux. Le tout est entouré d'un cercle. Son manche est percé d'un trou de suspension. L'autre plus petit a la forme d'unpanier et porte sur sa face plane, gravées en creux, quatre petites fleurettes. La Céramique. — Les produits céramiques sont, de beaucoup, les vestiges les plus nombreux et aussi les plus intéressants qu'ont laissés les habitants de Kara-Euyuk. Mais par suite de circon- stances diverses, les vases entiers sont extrêmement rares; ce n'est môme que dans des conditions exceptionnelles qu'on les trouve, comme, par exemple, dans des sortes de niches que des pièces de bois et des décombres ont formées dans leur effondrement. Partout ailleurs ce ne sont que des fragments permettant rarement de reconnaître la forme primitive des pièces auxquelles ils ont appar- tenu. C'est le sort, du reste, de la plupart des vestiges céramiques qui ont été retirés des ruines des cités célèbres de l'Argolide, des Cyclades et surtout de la Troade. Ces débris présentent pourtant un très grand intérêt par les renseignements qu'ils peuvent four- nir pour l'étude de la civilisation qui nous occupe. Les types des produits céramiques sont des plus nombreux à Kara-Euyuk. On y trouve, en effet, les jarres ou pithion, les œnoch» ou cruches ovoïdes avec des becs simples ou ornés de sujets; les jattes, plats, coupes, écuelles, puis des vases divers stamos et rithon$, etc., enfin des idoles ou figurines. La plupart de ces figurines sont faites en terre et presque toutes en terre assez fine, recouverte d'un enduit lustré sur lequel sont exécutés des ornements soit au moyen de motifs incisés assez sou- vent curvilignes, soit au moyen de modelages en relief, ou encore au moyen de peintures polychromes. L'intérieur des vases est généralement uni et poli, mais jamais verni ou enduit. Les pièces de grande contenance sont enfin fort rares, à en juger au moins par les débris que l'on a pu en recueillir jusqu'à ce jour. 114 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DB LYON Dans une première catégorie, nous placerons d'abord les craches ovoïàesfœnochœ à anses et à becs recourbés. La terre en est rouge et recouver te d'un enduit. Le fond à peineindiqué permet cependant à la pièce de se tenir debout. L'anse cordiforme est solidement atta- chée à la panse et le bec, qui n'est qu'un prolongement du col, est légèrement recourbé. Cette forme a des analogues parmi celles d'His- sarlik, spécialement dans le niveau que Schliemann attribue à la seconde ville ; elle se rapproche aussi de celle d'une cruche que j'ai recueillie en 1881 dans les ruines assyriennes de Topra-Kaleh, près de Van; mais je n'en connais aucune d'absolument identique. Nous remarquerons, enfin, que la forme du bec de cette cruche s'est conservée en Gappadoce dans les vases à eau en bois. C'est par centaines que les cruches de ce tjpe devaient être employées i Kara-Euyuk, car dans toutes les parties du tell les débris d'anses, de becs et de panses pouvant s'y rapporter se rencontrent à chaque pas. Les jarres ou pithos à large ouverture devaient être moins nombreuses. La panse, d'un galbe assez gracieux, est pourvue vers le haut et près du col de quatre anses légères; le col, malheureuse- ment brisé en partie, est orné d'un double cordon circulaire en relief. Le fond est très étroit et n'a pas de base comme la plupart des amphores d'Hissarlik et de Mycènes. D'autres vases à fond plus large et à anses, également faits en une terre rougeâtre, sont généralement dépourvus d'ornements. Parfois, pourtant, ils sont décorés de bandes noires traversant transversalement la panse, laquelle est séparée du col par une bande circulaire; des dents de loup retenues entre deux bandes ornent le col qui est ouvert largement. Un autre type, fort commun, si l'on en juge parla masse énor- me de débris que Ton en trouve, était à fond plus étroit. La panse, légèrement conique, a son maximum de largeur au niveau de l'anse et du bec qui est très prononcé; elle se rétrécit en haut sous forme de col. L'une d'elles est en terre rouge brun et n'est pas lustrée dans sa partie inférieure. Si nous voulions chercher l'em- ploi de ce vase, nous le qualifierons de théière. La panse est grillée au niveau du bec, et si les gens de Kara-Euyuk ne buvaient pas SÉANCE DU 4 JUIN 1898 115 de thé, ils se préparaient dans tous les cas une boisson par l'infu- sion d'une substance quelconque. Une pièce en terre grise paraît être une passoire. Viennent ensuite les jattes, les plats et les coupes kyltœ souvent sans pieds, et plus ou moins profondes avec ou sans anses. Elles sont pour Ja plupart faites en terre fine et rougeâtre. Les anses dont on trouve des quantités énormes sont, les unes à peine visibles, les autres, au contraire, très accentuées et dépas- sent de beaucoup le niveau du bord de la pièce. La tige des anses est en général ronde et souvent méplate. Le bord, quelquefois renforcé d'un bourrelet, est tantôt droit, tantôt évasé, et orné de motifs peints en noir, tels que des dents de loups, des croix de Saint-André, ou des bandes entrecoupées de traits. Quelquefois les jattes étaient creusées dans de la pierre et étaient pourvues d'oreilles. A la catégorie des vases divers dont la variété est fort grande Amphores y Stamos, Rithons, appartiennent sans doute la plupart de ces tessons décorés de dessins géométriques et quelquefois cur- vilignes en peinture polychrome, et de ces innombrables becs et anses ornés de motifs plastiques dont on peut recueillir des mètres cubes à tous les niveaux du tell. Parlons d'abord des poteries peintes. Elles sont pour la plupart en terre âne, et choisie, recouverte d'un enduit lustré, générale- ment jaunâtre ocreux, ou rougeâtre. Les couleurs employées pour la décoration sont le noir, le jaune foncé et le rouge sanguin. Les décors comprennent tantôt des motifs géométriques fort simples quadrillés, damiers simples ou réunis, bandes et losanges poin- tillés, lignes d'anses superposées, puis des cercles, des enroulements des ondulations; enfin, parmi les représentations animales, on remarque des quadrupèdes, des tentacules, des écailles de poisson. Quelques rares feuilles d'arbres complètent cette série de peintures. Par contre, aucune fleur ni aucune figure humaine ne se rencontre dans ces vestiges, ce qui est le contraire dans les milieux franche- ment mycéniens. Nos poteries nous reportent plutôt vers les formes primitives de Théra à Santorin, d'Idrias en Carie, ainsi qu'à celles de Chypre et de Rhodes. Ces rapports sont surtout frappants en ce qui concerne les décorations plastiques, c'est- à- 116 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE L70N dire ces curieux modelages dont nous nous occuperons plus loin. Parmi les types les plus intéressants de cette catégorie, nous remarquerons d'abord quelques fragments de grands pithos ana- logues par leur décoration à ceux de Ialyssos, dont le décor est essentiellement géométrique. Les couleurs noire, jaune ocreux et rouge brique ont été appliquées avec un certain art sur un fond jaune clair. Les fragments représentant l'association de motifs géométriques et d'une représentation animale assez grossièrement exécutée, sont peints dans le môme style. Les imbrications d'écaillés de poissons et les feuillages propres à Ialyssos se rencon- trent aussi, mais plus rarement. La série la plus considérable et la plus curieuse des poteries de Kara-Euyuk appartient à la catégorie de celles qui sont décorées de motifs plastiques, c'est-à-dire à ces types de vases dont les goulots, les becs et les anses se terminent ou sont formés par des têtes d'animaux divers. Parfois ces sujets se voient sur la panse des vases, parfois môme la pièce entière prend la forme de l'un de ces animaux, mais ces spécimens, si fréquents à Chypre et à Rhodes, sont encore jusqu'ici assez rares à Kara- Euyuk. Les tôtes de béliers et de chiens plus ou moins grossières abon- dent tout d'abord. La plupart ont servi de bec à verser. Quelques tôtes de capridés ont manifestement concouru à la décoration des anses de grands vases comme à Mycènes et Curium. D'autres tôtes de mammifères que l'on peut qualifier sans hésitation de cerf, de bœuf, de cheval, de chien, enfin des oiseaux, et d'autres formes moins déterminables ont servi d'anses à des vases de types variés. Le faire de ces reproductions laisse généralement beaucoup à dési- rer. Quelques pièces cependant ne sont pas inférieures aux meil- leurs produits de Curium et de Ialyssos. Certaines tôtes de chevaux qui ont fait partie sans doute d'un vase en terre rouge sont d'un art déjà élevé. Mais à côté de ces tôtes isolées, qui ne sont que des débris de vases, il en est qui semblent avoir été modelées à part et destinées sans doute à un autre usage. Puis viennent des essais de plastique plus complets dans lesquels le potier a cherché à imiter le corps entier de tel ou tel animal pour exécuter soit des lampes, soit des rithons, soit enfin d'innombrables SÉANCE DU 4 JUIN 1893 117 petites figurines de chiens, de moutons, d'oiseaux. Ces petits sujets qui peuvent être rapprochés de ceux que l'on trouve en si grand nombre dans tous les milieux mycéniens ou pré-phéniciens Tyrin- the, Curium, Hissarlik, doivent-ils élre considérés comme des idoles, au môme titre que les débris de figurines humaines trou- vés dans les localités ci-dessus nommées ? Je ne le pense pas, car, à supposer môme que ces petits animaux ne représentent que les sym- boles ou attributs de telle ou telle divinité, leur variété laisserait croire que ces divinités avaient des symboles multiples ou qu'elles variaient suivant les localités. C'est ainsi que, tandis qu'à Mycènes c'est la vache qui domine, car Schliemann dit en avoir trouvé dans l'acropole environ sept cents figures, à Kara-Euyuk, comme à Koban, c'est le bélier qui est, de beaucoup, l'animal dont on a le plus souvent retrouvé les formes. Il est possible que, dans chaque région, l'animal le plus commun ait été offert à la divinité princi- pale et que, lorsque le sacrifice de l'animal vivant était trop coû- teux, sa reproduction en terre cuite fût simplement déposée aux pieds de la divinité. Ou bien encore, faut-il voir dans ces figurines des images d'animaux révérés et passés à l'état de dieux lares. Parmi les figurines humaines les plus primitives se voit la statuette d'un personnage féminin dont le nez, les oreilles et les seins sont marqués par un léger relief. Les yeux sont indiqués par deux trous. Les jambes manquent, mais on aperçoit une partie de l'avant-bras gauche. Elle est en terre rouge brique claire. Citons une autre pièce tout aussi barbare, mais dont le corps cependant semble avoir été modelé. La tôte, de forme conique, est à peine marquée ; les yeux sont indiqués par deux trous ; le corps, dont la partie inférieure manque, est cylindrique et ne porte aucun attribut sexuel. Munie de ses deux bras, cette figure relève légè- rement le droit vers la poitrine et laisse tomber l'autre sur la hanche. Une autre pièce du même genre représente un torse sans jambes et sans tôte, sur lequel les seins sont indiqués par deux pastilles. Le bas du torse est vêtu d'une tunique courte à plis. D'autres figu- rations humaines enfin, moins nettement accusées, se rencontrent sur plusieurs tessons de vases grossiers. Ces sortes d'ébauches, qui SOC. ANTBR., T. XVII. 9 118 société d'anthropologie de lton semblent pour la plupart modelées par des mains d'enfant, présen- tent souvent un certain intérêt, car, dès qu'elles cessent d'être informes, elles peuvent donner, comme à Chypre, des indications sur le costume et l'ornement des gens qui les ont produites. Tel n'est pas, malheureusement, le cas de toutes nos figurines humaines dont le nombre est rare et qui sont ou trop mutilées, ou trop rudi- mentaires. Il n'est pas douteux que des fouilles ultérieures feront découvrir à Kara-Euyuk des pièces plus complètes et dès lors plus instructives. Quoi qu'il en soit, du peu que nous possédons, il semble ressortir qu'ici, comme à Hissarlik, le plus grand nombre de ces ex-voto ou idoles appartenaient au sexe féminin. Ne seraient- ce pas de grossières copies de l'Aphrodite babylonienne dont on a recueilli de si remarquables images à Chypre et à Rhodes? C'est, au contraire, au sexe masculin qu'appartiennent la plupart des figurines en bronze que j'ai trouvées en Cappadoce sur des points très divers. L'exécution des produits de nos Cappadociens de Kara-Euyuk offre cette naïveté, cette gaucherie que l'on constate dans la plupart des produits des Mycéniens ou Phéniciens. Le potier ou le décora- teur a été toujours préoccupé d'imiter plutôt que de créer, et encore son art est-il bien rudimentaire quand il interprète des formes animales, même avec le modèle sous les yeux. Mais souvent aussi l'ornemaniste cappadocien a créé des types composites, des types en quelque sorte factices, comme cela s'est produit en Ghal- dée, ainsi que le rappelle M. Perrot. Ces types, d'abord créés pour traduire certaines conceptions religieuses, ont fini par devenir de purs motifs d'ornement. Telles sont certaines figures assez embarrassantes pour le zoologiste. On connaît le passage souvent cité de Bérose, dans lequel il décrit les formes hybrides par lesquelles, selon la tradition de son peuple, la vie avait commencé à la surface de la terre. Il parle de chevaux à tête de chien et d'au- tres bétesqui avaient la tête d'un cheval et la queue d'un poisson... Toutes ces étranges combinaisons, l'historien ne les avait pas inventées ou prises seulement dans les vieux traités qu'il résu- mait ; on les voyait, dit-il, réalisées dans le temple de Bel à Baby- sont justement ces types bizarres de poteries que le R. P. SÉANCB DU 4 JUIN 1898 119 Scheil a, en 1894, découverts dans ses fouilles de l'ancienne Sippara à Abou-Habba, près de Bagdad. On voit quels rapports ces pièces singulières offrent avec certains de nos débris de Kara Eujuk, et combien est grande l'importance de cette nou- velle série de preuves en faveur des relations entre les gens de Cyprès, de Kara-Euyuk et les Babyloniens. Il nous reste à parler de deux pièces en céramique dont la pré- sence à Kara Euyuk est des plus intéressantes. 11 s'agit de deux vases, ayant la forme d'une sorte de hutte, dont l'ouverture est latérale au lieu d'être ai sommet. Ces vases ont été trouvés au milieu des décombres de la fouille la plus septentrionale du tell, là où je suppose avoir existé la nécropole. Ils contenaient de la terre noire et fine, sans aucun débris d'ossement ; néanmoins j'incline à les considérer comme des urnes cinéraires analogues aux urnes à cabanes du Latium. L'un de ces vases, en terre jaunâtre, est orné — sur le haut de son ouverture — d'une bête à quatre pattes, peut-être un crapaud, et porte sur la droite de ladite ouverture une cupule. L'autre vase, en terre rouge, est plus petit, plus grossier. Le dessus est plat et ses côtés sont pourvus de deux anses. L'un et l'autre sont une des premières et des plus naïves expressions d'une croyance très ancienne, qui persista dans tout le monde antique que tout ne finit pas pour l'homme avec la mort ; que le corps, même réduit en cendres, continue sous la terre une ombre d'existence ; que la tombe est une demeure et qu'il faut lui donner l'aspect d'une mai- son. Si des fouilles ultérieures mettaient au jour — dans la même partie du tell ou ailleurs — de nouvelles pièces du même genre, l'absence de nécropole apparente s'expliquerait et l'hypothèse que j'ai émise de l'existence de l'incinération chez les Cappadociens de Kara-Euyuk serait j ustiûée. C'est également dans la partie nord du tell que j'ai trouvé la plupart des petites jarres ayaU pu servir d'urnes cinéraires. Mal- heureusement, aucune n'était entière et ne contenait des débris d'ossements humains plus ou moins carbonisés, comme cela se voit dans les nécropoles à incinération. Je n'ai constaté nulle part, à Kara Euyuk, la présence de sépultures anciennes, et comme la 120 SOCIÉTÉS D'ANTHROPOLOGIE DE LYON cité ne pouvait manquer d'avoir sa nécropole, il n'y a pas de raison pour ne pas admettre que celle-ci occupait le nord du tell. L'inci- nération devait être le mode de sépulture usité par la population de cette cité. On remarquera que cette partie est celle qui a été le plus profon- dément exploitée par les habitants modernes comme matériaux d'amendement pour leurs terres. Il y a à c£ia deux raisons la première, c'est qu'elle est à proximité du village; la seconde, c'est qu'elle renferme un amoncellement énorme de décombres et de cendres noires les plus riches en matières organiques fertilisantes. Fait singulier encore à noter, c'est dans cette région que les Turcs de Kara-Euyuk ont installé leur cimetière actuel. Si le nord du tell était consacré aux mort?, c'est dans la partie est que devait régner la plus grande activité, car c'était là proba- blement que se trouvaient les magasins, les dépôts de marchan- dises, le bazar, en un mot. C'est, en effet, dans ce quartier que se trouvent en plus grande partie que partout ailleurs des os d'animaux domestiques bœufs, moutons, etc.; c'est là que se rencontrent le plus fréquemment des débris de grandes jarres ayant contenu des substances alimentaires. C'est là encore que devait se trouver le dépôt de blé, car on constate çà et là des amas de ce grain dans un état de carbonisation qui lui a permis de résister à la décomposition jusqu'à nos jours. Inscriptions. — Depuis longtemps, les voyageurs qui ont visité Kaysarieh ont rapporté en Europe des tablettes de formes diverses et portant des textes cunéiformes de plusieurs types. La plupart de ces monuments avaient été achetés au bazar et leur provenance était dès lors, douteuse pour ne pas dire inconnue. Durant nos deux voyages, nous avons séjourné à Kaysarieh, et, comme nos prédécesseurs, nous avons acheté quelques tablettes dans les mêmes conditions, mais c'est à Kara-Euyuk que nous avons acquis, à des prix ne dépassant pas un medjidié 4 fr. 20, soit en 1893, soit^en 1894, la majeure partie de celles que nous possédons. Nous ne les avons donc pas trouvées nous mêmes, comme celles de Boghaz-Keui ; pourtant, comme c'est durant no» SÉANCE DU 4 JUIN 1893 121 fouilles qu'elles nous ont été présentées par les habitants mêmes du village, nous ne saurions douter de leur authenticité. Malgré tous nos efforts et la promesse d'un fort bakchich si l'on nous en faisait découvrir en place, nous n'avons pu réussir à obtenir le moindre renseignement sur le gisement de ces tablettes, si toute- fois elles ont été déposées primitivement en un lieu spécial. Au reste, ce dépôt a pu être détruit par les incendies qui ont ruiné la ville dont les décombres ont été dispersés plus tard par les occu- pants successifs, et en dernier lieu par les habitants du village mo- derne qui continuent de transporter les cendres du tell dans leurs champs des alentours pour les amender. C'est probablement lors de ce transport qu'ils trouvèrent les tablettes dont ils ne peuvent pas, en effet, préciser la provenance. Depuis notre retour, nos correspondants de Gésarée nous ont envoyé une série de tablettes qui paraissent venir aussi de Kara- Euyuk. Quoi qu'il en soit, nos textes appartiennent à deux catégories. La première se rattache au type dit cappadocien, sur lequel M. Golenischef a déjà attiré l'attention. Les textes de cette caté- gorie sont de la môme famille que ceux de Boghaz-Keui où ils se trouvent au contact des poteries de même style qu'à Kara-Euyuk. Toutefois, le type d'écriture, à Boghaz-Keui, sans cesser d'être babylonien, est plus moderne que celui des contrats dits cappado- ciens. Ils présentent par ce seul fait, indépendamment de leur im- portance au point de vue philologique, un intérêt considérable. Les trois premiers numéros ont été lus par M. Boissier ; ils ont été remis à l'étude par le P. Scheil, qui en a donné son déchiffrement avec celui de douze autres pièces inédites. La seconde catégorie a été publiée par M. Menant ; elle se compose de petites tablettes qui différent complètement des autres, et même leur physionomie, particulière et nouvelle pour les spécialistes, a éveillé chez eux des doutes sur leur authenticité. A l'étude qui a été faite des textes cunéiformes découverts à Kara-Euyuk, il me parait utile d'ajouter quelques considérations qui complètent celles de mes savants collaborateurs. Tout d'abord, en ce qui concerne les tablettes écrites en caractères 122 SOCIÉTÉ D* ANTHROPOLOGIE DE LYON dits cappadociens^e tiens à rappeler qu'elles augmentent notable- ment la série encore peu nombreuse dece genre de documents. Il me semble indispensable de rappeler aussi que la première connais- sance que l'on possède de cette catégorie nouvelle de textes ne date que de quinze ans, et que c'est à M. Pincbes qu'on la doit. Dans plusieurs mémoires, ce savant assyriologue signalait, en effet, des 1882, l'existence au British Muséum et au Louvre de tablettes portant des textes cunéiformes qui, du premier coup d'œil, se laissaient classer au nombre des tablettes à contrats, mais dont le texte rédigé dans une langue inconnue résistait à toute tentative de traduction. L'écriture de ces tablettes, quoique nette, présentait aussi, très souvent, à cCté de caractères qui les rapprochaient de l'écriture babylonienne, des caractères d'une forme inusitée dans l'écriture assyro-babylonienne. Sans essayer d'entreprendre une traduction suivie de ces deux tablettes, M. Pinches se contenta de les reproduire aussi fidèlement que possible sur deux planches annexées à son article, et il donna des textes une transcription en signes assyriens. Il s'attacha, en outre, à démontrer que la pre- mière tablette avait trait à la vente d'un certain nombre de che- vaux ou de mulets, et que la deuxième, celle de Paris, pouvait bien être un acte de donation d'une certaine quantité d'argent au profit d'un temple du dieu Soleil. Partant de la ressemblance de certains mots cappadociens avec des mots assyriens, M. Pinches croit pouvoir tirer des conclusions sur la provenance des tablettes que l'on ignorait et arrive, dans ses recherches, à admettre que celles ci devaient venir du môme pays d'où on amenait en Assyrie des chevaux et des mulets, c'est- à-dire Kus-àa, pays qu'il identifie avec la Gappadoce. Depuis les publications de M. Pinches, au dire de M. Sayce, une série de tablettes du même style et relatives à des achats de chevaux aurait été acquise en 1881 par M. Ramsay, à Kaysarieh, et viendrait soit de Tyana, soit des environs de Gésarée. Plus récemment, en 1801, M. Golenischeff faisait connaître une nouvelle collection, la plus considérable que Ton ait jamais vue de ce genre de tablettes. Dans un opuscule peu répandu, ce savant orientaliste déciivait SÉANCE BU 4 JUIN 1898 123 les vingt-quatre tablettes les plus importantes de sa collection qui, à l'époque, se montait à une trentaine. Le R. P. Scheil a signalé enfin tout récemment l'existence à Gonstantinople de quatre tablettes de cette catégorie qui viennent probablement, ainsi que celle de la collection De Ciercq, de la région de Gésarée. Le R. P. Scheil a reproduit l'une des tablettes de Gonstantinople dans le recueil de M. Maspéro, et publié celle de M. De Glercq dans le nouveau fascicule paru chez Leroux Textes de la collection De Ciercq. De la discussion philologique qu'il présente, des textes de sa col- lection, dont il a donné du reste la transcription, M. Golenischeff arrive à des conclusions du plus haut intérêt dans l'étude que je poursuis ici. Je résumerai ainsi ses conclusions 1° Les signes de l'écriture cappadocienne, tout en ressemblant beaucoup aux caractères assyro babyloniens, offrent des signes qui les éloignent sensiblement de leurs prototypes; 2° Tous les textes se rapportent à des contrats et renferment comme tels un très grand nombre de noms propres, ce qui est naturel puisque, le plus souvent, ils traitent d'affaires d'argent. des noms propres sont ceux des personnes qui font l'arrangement, les noms de leurs pères et ceux des témoins. Toutefois, parmi les noms propres, il croit pouvoir retrouver ceux de deux divinités cappadociennes Zu-in ou Zu-in ma et Ki-du-tu. M. Golenischeff constate, de plus, dans ses textes, la présence de chiffres, puis celle de mots directement empruntés à un idiome inconnu. Malgré l'étude minutieuse qu'il a faite des signes qui constituent ces textes et qui doit contribuer sûrement à trouver les origines et les formes de la langue cappadocienne, il s'abstient encore de tout essai de traduction. A côté des textes cunéiformes que présentent ses tablettes, M. Golenischeff à découvert sur l'une d'elles l'empreinte d'un cachet représentant deux personnages l'un est debout et porte un long vêtement et des chaussures à bouts recourbés ; l'autre, qui parait être une divinité, est assis sur un trône. L'auteur trouve une grande ressemblance entre cette scène et celle que montre un 124 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON cylindre provenant d'Aïdin. Cette constatation tendrait à démon- trer une parenté réelle entre la langue cappadocienne et celle des Hétéens. En ce qui concerne la provenance de ses tablettes, M. Goleni- sebeff déclare accepter la dénomination que leur a donnée M. Pin- ches sur le fait qu'elles sont identiques à celles que M. Sayce a fait connaître comme venant de Kaysarieh. Du reste, ajoute -t-il, les personnes qui me vendaient mes tablettes, m'indiquèrent aussi la Gappadoce comme endroit d'où elles avaient été rap- portées. Ce qui précède explique pourquoi je me suis si longuement étendu sur l'historique des découvertes des tablettes dites cappa- dociennes, faites antérieurement aux miennes. Ces renseignements peu connus montrent, en effet, combien est grande l'importance que présentent ces dernières, en dehors du côté purement philolo- gique, au point de vue de la provenance de l'ensemble de ce genre de monuments. Nos nouvelles tablettes cappadociennes viennent confirmer les présomptions que l'on avait sur les origines de leurs aînées, signa- lées par MM. Pinches, Sayce et Golenischeff. Puisque tout le monde est d'accord pour les dire cappadociennes, pourquoi ne vien- draient-elles pas les unes et les autres du tell de Kara-Euyuk qui n'est éloigné de Gésarée que de dix-huit kilomètres. Reste à savoir si dans le pays de Kus-âa, que M. Pinches pense ôtre la Gappadoce, il n'existe pas une localité pouvant être identifiée avec le lieu qui a reçu le nom moderne de Kara-Euyuk, et où a pu prendre naissance l'antique et célèbre Mazaca. Parmi les innom- brables antiquités que l'on découvre à chaque pas dans le périmètre de Y Eski-Kaysarieh qui domine la Gésarée moderne, aucun objet ne paraît démontrer que cette localité a été habitée antérieurement à l'époque gréco- romaine. Les tentatives qui ont été faites à l'égard de l'identification de Kus-âa ne nous satisfont pas encore, mais, en présence d'un plus grand nombre de documents, on peut espérer que les philologues obtiendront des résultats conformes à nos espé- rances. SÉANCE DU 4 JUIN 1898 125 Il nous reste actuellement à rechercher à quelle époque remon- tent les antiquités du tell de Kara-Euyuk et puis à quel peuple on doit les attribuer. Les nombreuses comparaisons que nous avons faites des vestiges archéologiques de notre tell avec ceux des centres préhelléniques devenus classiques, nous aideront sans doute à élucider la première question. Quant à la seconde, nous serions réduits encore ici, comme à Boghaz-Keui, à des conjectures si nous n'avions pas entre les mains deux pièces qui paraissent démonstratives. Il s'agit du mor- ceau de terre cuite portant une empreinte en relief représentant une scène de chasse, puis du fragment d'enveloppe d'une tablette revêtu d'une empreinte de cylindre représentant une scène d'a- doration et de libation. Ces deux scènes rappellent d'une façon trop indiscutable les sujets hétéens d'Euyuk d'Aladja, de Yasili-Kaya et de Fraktin pour qu'il nous reste un doute sur leur origine. Il résulte de cela que si ces deux petits monuments sont contemporains des antiquités découvertes à Kara-Euyuk ce que je crois certain, on doit con- sidérer ce tell comme hétéen. Un autre résultat non moins important et inattendu est celui qui ressort de la présence d'une scène hétéenne côte à côte avec un texte cappadocien. Ce fait vient à l'appui de la conjecture de M. Golenischeff, à savoir que la langue dite cappadocienne était celle des Hétéens. L'empreinte d'une scène hétéenne sur l'une des tablettes que ce savant à fait connaître permettait déjà cette pré- somption fort vraisemblable que je crois pouvoir confirmer ici. Relativement à l'ancienneté du tell de Kara-Euyuk, nos obser- vations peuvent se résumer ainsi Rien dans son aspect extérieur ne permet de reconnaître la superposition de plusieurs cités ou de plusieurs civilisations, et nos fouilles ne m'ont rien offert de précis à cet égard. Kara-Euyuk a été occupé pourtant depuis la haute antiquité par des peuples dif- férents et à des époques diverses, cela ne fait aucun doute. Les vestiges industriels et artistiques que nous y avons recueillis du- SOC. ANTHR., T. XVII. 10 126 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON rant nos deux campagnes le démontrent d'une façon certaine. Les produits céramiques, en particulier, nous fournissent ici, comme partout ailleurs, du reste, des indications précieuses. De leur com- paraison, en effet, avec ceux des localités classiques préhelléniques, il semble ressortir qu'à Kara Eu juk la civilisation cappadocienne primitive se serait développée au moins en deux étapes. A cette civilisation aurait succédé celle des Grecs, des Romains et des Perses dont on trouve ici, comme à Boghaz-Keui, à Dédik et ailleurs en Gappadoce, assez de traces pour pouvoir affirmer sinon leur séjour prolongé, au moins leur passage. A l'époque la plus ancienne ou à la première étape que l'on pour- rait appeler l'époque préhistorique, dont il reste à découvrir le niveau exact, appartiendraient les ustensiles en pierre et en bronze, les fusaïoles, les poteries décorées au moyen de la plastique, ces vases en forme d'animaux comme on en trouve dans les dépôts les plus anciens de Cypre et d'Hissarlik. La seconde époque correspondait à celle de Mycènes, car un nombre considérable de pièces montrent ici, comme dans cette lo- calité célèbre, ainsi qu'à Ialyssos, les débuts delà peinture, puis la prédominance des décors géométriques simples ou curvilignes associés parfois à des représentations animales ou végétales. De ce que les motifs décoratifs rapprochent nos stations cappa- dociennes des localités typiques de la région égéenne, faut-il con- clure qu'ils sont originaires de ces localités? Je ne le pense pas, car bon nombre de produits céramiques me paraissent de fabrication locale, notamment ceux de la première époque. Telles sont ces innombrables représentations animales qui constituent soit des becs, soit des anses de vases ou des vases même. La ressemblance de ces décors plastiques avec leurs congénères d'Hissarlik et de Cypre est parfois très grande, mais si on les exa- mine d'un peu près, on reconnaît bien vite qu'ils ne présentent entre eux qu'un air de famille et rien de plus, car chaque région a gardé une indépendance artistique marquée. Si l'idée générale est •la môme à Kara-Euyuk et à Boghaz-Keui qu'à Hissarlik et à Cypre, la faune reproduite est tout autre, les sujets diffèrent aussi pour la plupart. Et, en effet, alors qu'en Troade on avait une prédilec- SÉANCE DU 4 JUIN 1898 127 tion marquée pour la vache, à Kara Euyuk c'étaient le mouton, le eheval et le chien qui étaient plus volontiers reproduits. Toutefois, c'est avec les produits des couches les plus profondes de Cypre que ceux de notre grand tell ont le plus de rapports. Certaines pièces semblent même en venir directement. Ces pièces, dues en apparence à l'exportation, sont rares à Kara- Euyuk et pourtant les sentiments artistiques développés dans cette cité et à Cypre sont bien voisins! A moins que Ton admette ce qui serait fort difficile que cette civilisation spéciale a pris nais- sance spontanément, et vers la même époque en Cappadoce, en Troade et à Cypre, il faut nécessairement avoir recours à l'an- cienne idée des influences étrangères et des importations pour expliquer son apparition simultanée de l'est à l'ouest chez des peuples différents et encore aux âges industriels les plus primitifs. Pendant longtemps Cypre et Hissarlik avaient seuls offert quelques preuves en faveur de l'origine mésopotamienne d'une partie de la civilisation qui,, plus tard, fut transformée peut-être sous l'influence de la région égéenne. On admettait bien que les gens des lies et des côtes eussent été en rapport avec les Assyriens dès l'époque de Sargon d'Agade, mais c'était là, disait-on, des faits isolés, tout au plus des traces d'incursions militaires. Cette manière de voir ne peut plus être soutenue depuis que nos découvertes à Boghaz-Keui et à Kara-Euyuk sont venues montrer que les relations des Cappadociens avec les Babyloniens avaient eu une importance plus grande qu'on ne l'avait supposé jusqu'alors. Je pense donc que si l'on peut croire à une influence manifeste de Babylone sur l'art cypriote primitif, elle doit être admise a fortiori pour Boghaz-Keui et Kara-Euyuk, où, en outre de toutes les preuves du passage des Assyriens dans ces localités, nombre de motifs décoratifs nous reportent vers l'Orient bien plutôt que vers l'Occident. Au reste, les documents historiques sont formels en ce qui con- cerne la marche de Sargon de Test à l'ouest, et il est inutile de faire intervenir un mouvement ethnique de l'ouest à l'e^t, auquel aucun texte ne fait d'ailleurs allusion. Cypre, Hissarlik, Kara-Euyuk ont reçu d'une manière indé- 128 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON pendante l'influence de la civilisation déjà si avancée de la Baby- lonie, et c'est ce qui explique aussi l'indépendance des caractères artistiques que Ton observe dans ces diverses localités. Il en est de même pour les poteries de style mycénien ou rhodien. Les motifs de cette catégorie découverts à Kara-Euyuk présentent un air de famille avec leurs congénères de la région égéenne, mais il est impossible de ne voir en eux que des produits de l'importation. Les Gappadociens ont pu recevoir de l'ouest des idées nouvelles qui leur ont permis de modifier celles qu'ils tenaient des Assyro- Baby Ioniens et, s'ils n'ont pas fabriqué eux-mêmes toutes leurs céramiques, ils n'ont reçu du dehors qu'un bien petit nombre de modèles. Si nous étendons à l'ensemble des éléments industriels de Kara- Euyuk la comparaison que nous avons cherché à établir entre la céramique de cette cité et celle des autres localités préhelléniques, telles qu'Hissarlik, nous arriverons aux mômes constatations. En Gappadoce, comme dans toute l'Asie Mineure, les haches et autres ustensiles en pierre présentent à peu près les mômes formes et ressemblent davantage à ceux de l'Arménie qu'à ceux de la Grèce. Il en est de même des haches en bronze et des fusaïoles. A Kara-Euyuk comme à Hissarlik, on ne trouve pas de sépul- ture à inhumation et l'incinération semble avoir été le seul mode de sépulture adopté. Les points sur lesquels on rencontre le plus de différence, c'est dans l'absence du swastika, ce motif décoratif si usité à Hissarlik, ainsi que dans celle de la fibule, qui n'est rare ni dans cette localité, ni à Cypre. La séance est levée. L'un des Secrétaires D r Royet. SÉANCE DU 2 JUILLET 1898 129 Cih SÉANCE. — 2 Juillet 1S9S. Préeldenoe de M. DOR, Président. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté après ies observations suivantes de M. Lesbre M. Lesbre fait remarquer que Vicq d'Azyr a simplement émis le vœu qu'une classification rationnelle fût adoptée, sans donner suite à cette idée. OUTRAGES OFFERTS Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, 19* année, n™ 14, 15, 16 et 17. Tableaux mensuels de statistique municipale de la ville de Paris, 13 e année, octobre 1897. Association française pour ^avancement des sciences. Intermédiaire, t. III, ri" 24 et 25. Société de géographie. — Compte rendu des séances, n° 2, 1898. Bulletin de la Société des Sciences naturelles de Tarare, 3 e année, n» 3, 1898. Bulletin de la Société de géographie de Toulouse, 16 e année, 1898, n° 1 . Société de géographie commerciale de Bordeaux, 21 e année, n°» 6, 7, 8 et 9. Bulletin de la Société des Sciences naturelles de l'Ouest de la France, 8 année, n 1, 1898. D r Tixier, Du Shock abdominal. Ed. Piette et J. de la Porterie, Etudes d'ethnographie préhistorique. Le Bulletin de la Presse, n° 54 et 56, 1898. Atti délia reale Accademia dei Lincei classe, di sciense fisiche, mate- matiche e naturale, vol. VII, fascicule 7, 1898. Ymer, Journal d'anthropologie et de géographie, fascicule 1, 1898. Foreningen for Norsk Folkemuseum. Verhandlungen der Berliner Gesellschaft fur Anthropologie, Ethno- logie und Urgeschichte, novembre et décembre, 1897. MittheUungen der Anthropologischen Gesellschaft in Wien, Band XXVIII, Heft I. SOC. ANTH. T. XVII. H 130 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Bulletin of the Muséum of comparative Zoology, vol. XXXI, n° 6. Thirty-first report of the Peabody Muséum of American Archaeo logy and Ethnology, 96-97. Scienze of man and Australasian anthropological Journal, n° 6, vol. I. The Transactions of the royal Irish Academy, novembre 1899, février, août, octobre 1897, janvier, février 1898. COMMUNICATION LE SOMMEIL DE LA MORPHINE Par M. L. Guinàrd Opium facit dormire, quia est in eo virtus dormitiva. Cette phrase satirique de Molière, à l'adresse de ceux qui, dans leurs explications, ne se paient que de mots, renferme en elle un fond de vérité qui, depuis, a été largement justifié par les efforts, sans nombre et sans résultat, de tous les thérapeutes qui ont cherché la cause du sommeil de l'opium en dehors de in eo est virtus dor- mitiva. Nous nous garderons bien d'entrer dans l'exposé des travaux qui, de la narcose morphinique, ont cherché à faire une consé- quence de l'anémie ou de la congestion du cerveau. En arrivant à ces conclusions, on a eu le tort d'unir la question du sommeil artificiel à celle, beaucoup plus délicate, du méca- nisme du sommeil normal, car, sans éclairer beaucoup celui-ci, on a compliqué singulièrement celle-là. Oh ! nous admettons très bien qu'on ne les sépare pas complète- ment ; mais nous considérons comme une faute de leur faire un sort commun, surtout en ce qui se rapporte aux modifications cir- culatoires qui peuvent les accompagner. En effet, dans ces condi- tions, et pour ce qui a trait aux causes mêmes de l'hypnose opiacée, on en serait réduit, actuellement, à ne plus savoir que conclure, car, pbysiologiquement, il est démontrJ qu'il j a sommeil, tantô SEANCE DU 2 JUILLET 1898 131 avec anémie, tantôt avec congestion cérébrale; de même qu'il pent y avoir anémie ou congestion du cerveau sans sommeil. Par conséquent, bien convaincu qu'il n'y a pas de relation di- recte, de cause à effet, entre les modifications circulatoires de la morphine sur l'encéphale et son action hypnagogue habituelle, nous nous serions abstenu de revenir sur cette question, si cer- taines de nos expériences ne nous y avaient pas conduit et si quelques recherches, relativement récentes, ne nous avaient pas engagé à reprendre la discussion. Dans le travail, déjà cité, de J. de Boeck et Verhoogen, nous relevons textuellement la conclusion suivante L'action hypnotique de la morphine a été l'objet de discussions innombrables ; les avis sont encore partagés. Pour les uns, la mor- phine congestionne l'encéphale ; pour d'autres, elle l'anémie. Quelques-uns enfin trouvent la raison de ses effets dans une action directe sur les cellules cérébrales. Rappelons ici que déjà Purkinje attribue son action à la con- gestion des ganglions de la base; abondamment remplis de sang pendant le sommeil, ils compriment les filets de la couronne rayon- nante et empêchent l'influx nerveux, élaboré par le cerveau, d'être transmis à la moelle. Heger considère comme condition nécessaire à l'établissement du sommeil, l'abaissement du tonus vasculaire. Pendant le som- meil, la pression sanguine est abaissée, les vaisseaux dilatés et, pendant que la circulation est encore active dans le mésocéphalé, il arrive au contraire peu de sang par les artères longues et dé- liées qui se rendent à l'écorce. Si l'on admet cette théorie vaso-motrice du sommeil naturel, on explique bien facilement l'action hypnotique de la morphine, par l'identité du sommeil naturel et du sommeil artificiel. Les modifications apportées par cet agent à la répartition du sang dans le cerveau sont précisément celles qui président au sommeil. De même la dilatation vasculaire généralisée produite par la morphine correspond aux phénomènes observés par Mosso au début du sommeil naturel. » 132 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON En somme, pour de Boeck et Verhoogen, sous l'influence de la morphine, il y aurait ischémie corticale, avec congestion relative delà base, et ce serait cette répartition différente du sang dans le système vasculaire encéphalique qui serait la cause du sommeil. Gomme, d'autre part, les expériences kymographiques des mêmes auteurs font de la morphine un vaso-dilatateur et un dépresseur général puissant, il nous parait difficile de concevoir et de com- prendre l'exception faite en faveur des artérioles du cerveau, dans lesquelles la circulation serait peu modifiée ou même diminuée, tandis que partout ailleurs, il y aurait vaso-dilatation active et congestion. Gomme toutes les autres du même genre, la théorie vaso-motrice admise par de Boeck et Verhoogen pour expliquer le sommeil naturel et artificiel n'explique rien du tout, car elle nous laisse encore en présence du pourquoi de la modification vasculaire cé- rébrale qu'ils invoquent dans les deux cas. Gette modification ne peut être qu'une conséquence, dont nous sommes toujours en droit de chercher la cause. Ce n'est pas du côté des modifications circulatoires qu'on trou- vera jamais, entre le sommeil naturel et le sommeil artificiel, un point de comparaison quelconque, permettant de conclure à leur identité; de même que le sommeil naturel, normal, est la cause, plutôt que la conséquence, de la modification de circulation céré- brale qui l'accompagne, de même le sommeil, artificiellement provoqué par un médicament, peut s'accompagner de modifications vaso-motrices qui rappellent celles du sommeil normal ou sont absolument opposées. Dans ce dernier cas, en effet, il n'y a pas seulement à tenir compte des conséquences immédiates du sommeil provoqué, mais des actions propres du médicament qui, bien qu'hypnagogue, peut être un vaso constricteur ou un vaso-dilatateur. C'est ce que déjà M. Arloing a indiqué, à propos des anesthési- ques qui apportent, eux aussi, une heureuse démonstration en fa- veur de l'indépendance des modifications circulatoires et des causes immédiates du sommeil. En effet, d'après les expériences de notre excellent maître, le SEANCE DU 2 JUILLET 1898 133 sommeil anesthésique produit Y anémie cérébrale sons l'influence du chloroforme, Yhyperémie sous l'influence de l'éther et du chloral. Par conséquent, puisque la circulation cérébrale ne présente pas toujours des modifications identiques pendant le sommeil artificiel, les modifications circulatoires ne sont certainement pas essentielles et, partant, ne peuvent pas être regardées comme la cause du sommeil. D'ailleurs, pour ce qui est de l'état probable de la circulation cérébrale pendant la narcose morphinique, nous avons eu déjà l'oc- casion de faire remarquer que les auteurs sont loin de s'entendre, les uns faisant de la morphine un anémiant du cerveau, les autres un congestif. Nos expériences personnelles, faites dans des condi- tions aussi complètes que possible, puisque nous pouvons comparer les variations de la pression avec celles de la vitesse du sang, nous permettent d'exprimer une opinion que nous croyons abso- lument exacte, car elle repose sur des faits positifs. Or, chez les chiens endormis par la morphine, en môme temps qu'une baisse modérée de la pression , nous avons enregistré une diminution de la vitesse du courant sanguin, diminution plus importante dans la veine Stcherbak que dans l'artère. C'est ce qui nous autorise à admettre un ralentissement de la circulation dan 8 les artérioles, avec stase sanguine périphérique dans les capillaires relâchés et inertes. On ne saurait donc conclure à l'anémie du cerveau pendant le sommeil de la morphine. Déplus, comme nous l'avons déjà dit, les vaisseaux du cerveau ne peuvent pas être rétrécis et ne le sont pas, car le phénomène actif de vaso-constriction est suspendu par le narcotique ; celui-ci n'excite pas plus les vaso-moteurs qu'il ne réveille directement l'activité des fibres musculaires lisses pendant la phase de calme et de sommeil. Pour compléter ces données, nous avons cherché à savoir ce qui se passe du côté du pouls, de la pression et de la vitesse du sang lorsque, un chien, dormant profondément après une injection de morphine, on interrompt son repos et son sommeil par des appels, des bruits ou des excitations quelconques. 134 SOCIÉTÉ D'ANTHROLOi-OGtB DE LYON Le tracé 1 se rapporte à un animal, endormi par une injection de 1 centigramme par kilogramme de morphine ; le sommeil était très calme lorsque, au point F, on frappe an petit coup sur la table. Le chien a nn brusque saubresaut et une inspiration forte, qni se voit très bien sur la figure ; il sort de sa torpeur, regarde autour de lui et se plaint. Deux secondes après ce réveil brusque, Fto. 1. — Tracé pris pendant le sommeil morphinique d'un chien, au moment, F, où on excite ranimât pour le réveiller, — P, pouls. — H, respiration. — S, secondes. on voit le niveau sphygmographique s'élever et le pouls passer du rythme de 75 pulsations à la minute au rythme de 105. Un autre chien, endormi depuis une heure par une injection de 1 centigramme de chlorhydrate de morphine par kilogramme, présentait les modifications indiquées par la première partie du tracé 2, lorsque, en F, sans toucher la table, on le réveille par un aeul mais bruyant claquement des mains. Comme le précédent, il répond par un brusque soubresaut, avec mouvements de défense, indiqués sur le tracé pneumographique. L'animal effaré regarde tout autour de lui et cherche à fuir; il l'eût fait comme tous les autres, dans les mêmes conditions, s'il n'avait été solidement main- tenu. BÉAHGB DU 2 JUILLET 1898 135 Eq même temps, sur le tracé àa pouls, on voit, comme précé- demment, que les contractions cardiaques s'accélèrent et se régu- larisent, passant ilu rythme de 60 au rythme de 90. Sur le tracé manométrique, on constate que les grandes oscilla- tions de la pression disparaissent et que le niveau moyen se main- tient plus élevé, 137 millimètres au lieu de 132, sans que les maxima dépassent ceux de la phase de calme. Fia. 2. — Influence d'une excitation, troublant le calme du sommeil de la morphine, chez un chien. — M, pression arWrielle. — P, pouls. — R, res- piration. — 3, al s ci ase -seconde n. — F, on réveille le sujet. La respiration, très régulière pendant le sommeil, est plaintive pendant le réveil ; mais, peu à peu, l'animal se rendort, la pression et le pouls reprennent les caractères du morphinisme ; seule la respiration reste plaintive et entrecoupée durant un temps plus long ; mais bientôt tout rentre dans l'ordre. Le tracé 3 a été fourni par un chien profondément endormi,, par une injection hypodermique de chlorhydrate de morphine, à raison de 2 centigrammes par kilogramme. En P, on l'a excité en le frappant légèrement. Gomme les autres, il est sorti de sa torpeur, dans un brusque sursaut; il a eu des mouvements de défense violents avec accélé- 136 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DB LYON ration de la respiration ; mais cela n'a pas duré ; la courbe respi- ratoire qui termine le tracé était le prélude d'une série de mouve- ments aussi réguliers que ceux que l'on voit avant ta provocation du réveil; tout s'est terminé la. L'accélération cardiaque n'a pas été très apparente ; du rvtbme de 80 environ, le pouls a passé au rythme de 72 par minute, en conservant la plupart de ses caractères primitifs. Seule la pression Fia. 3. — Tracé analogue au précédent. s'est élevée assez progressivement de 140 millimètres à 156, pour retomber, aussi progressivement, au moment où le calme est revenu. La figure 4 reproduit un tracé œanométrographiqne double, ce tracé nous renseigne sur les modifications de la vitesse du courant sanguin pendan t le sommeil. Le chien qui l'a fourni dor- mait depuis une heure, à la suite d'une injection hypodermique de chlorhydrate de morphine, à raison de 15 milligramme 8 par kilogramme. A différentes reprises, en a provoqué le réveil en frappant sur la table ou en faisant du bruit auprès du sujet. Nous avons reproduit une de ces phases. SÉANCE DU 2 JUILLET 1898 137 Conformément a ce que nous avons dit ailleurs, à l'écarté ment régulier des deux courbes, nous constatons que la vitesse du sang est ralentie. En R, un claquement bruyant des mains provoque un 138 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON soubresaut du sujet, qui sort immédiatement de sa torpeur, ouvre les jeux, s'agite un peu et se plaint. On voit aussitôt la pression s'élever, dans chaque branche, et les deux plumes se rapprocher ; mais il semble que, dès le début, l'élévation de pression soit un peu plus brusque dans le tube d'aval que dans le tube d'amont; ce qui traduirait, comme on Ta déjà vu, la gène circulatoire périphé- rique. Mais ce n'est pas le fait le plus important. Pendant toute la durée de la courte phase d'hypertension qui a accompagné le réveil provoqué, on peut constater que l'ëcartement moyen des deux plumes est plus considérable; par conséquent, que la vitesse du sang a encore diminué. Ge fait nous parait intéressant, car il nous démontre que, si à la gêne circulatoire périphérique, par stase, de la période d'hypnose, vient s'ajouter l'augmentation de pression, par vaso-constriction probable et accélération cardiaque, qui accompagne l'excitation qui a troublé le sommeil, l'écoulement du sang devient encore plus difficile. En résumé, quand un animal, profondément endormi par une injection hypodermique de chlorhydrate de morphine, est soumis à des excitations qui le sortent momentanément, de la torpeur et du calme du sommeil hypnotique, on le voit présenter, en plus de l'hyperexcitabilité et des manifestations extérieures du réveil irritable de la phase de narcose, des modifications circulatoires importantes. Le cœur s'accélère, le pouls devient habituellement plus régulier, la pression artérielle s'élève, tandis que la vitesse du oourant sanguin diminue légèrement. Pendant que ces modifications se produisent, l'animal ne cesse pas d'être sous l'influence immédiate du médicament; son réveil, en réalité, n'en est pas un, car pendant qu'il obéit automatique- ment, et plus violemment môme qu'à l'état normal, à l'impulsion de l'excitation portée, il conserve son faciès hébété, l'attitude géné- rale déprimée, et l'ensemble des autres caractères essentiels de la narcose opiacée. Troublé dans le calme de son sommeil forcé, il cède à rhyperexoitabilité réflexe qui l'accompagne, et, s'il pré- sente momentanément d'autres symptômes du morphinisme, il est toujours, son cerveau surtout, sous l'influence directe de la mor- phine. 8BANCR DU 2 JUILLET 1898 139 Les modifications circulatoires qui se produisent alors, et qui ne sont pas toujours également importantes, marohent de pair avec l'ensemble des autres manifestations excitantes, que traduit le sujet par ses mouvements déréglés. Mais ces modifications circulatoires elles-mêmes confirment nos précédentes conclusions, puisqu'elles nous montrent, sous une autre forme, l'indépendance qu'il y a entre l'imprégnation m or phi nique du cerveau, la suppression des fonctions de cet organe, et certaines variations possibles dans l'état de la circulation. La respiration, le cœur, Tes vaso-moteurs qui, durant le calme hypnotique, sont modérés ou en repos, subissent les conséquences de l'état d'excitation générale provoqué par la cause qui a momen- tanément troublé le sommeil ; mais nous avons vu que l'accéléra- tion cardiaque et le léger mouvement de vaso-constriction, qui accompagne le réveil apparent, ne font qu'exagérer la gêne circu- latoire périphérique et diminuent la vitesse du courant sanguin. Gomme le personnage de Molière, nous disons donc que la mor- phine fait dormir parce qu'elle a des propriétés hypnotiques, et nous nous rattachons à l'opinion des physiologistes qui ont admis que ces propriétés résultent de l'actioi immédiate de l'alcaloïde sur l'activité et la substance même de la cellule nerveuse. On pourra peut-être trouver que cette explication est insuffi- sante, mais il n'y manque cependant que l'indication de la nature exacte de la modification cellulaire, produite par le médicament, et nous ne voyons pas pourquoi, pour la morphine, on se montre- rait plus exigeant que pour la plupart des autres substances médi- camenteuses ou toxiques, dont les actions, sur les éléments qu'elles impressionnent, ne sont pas mieux connues. Gequi n'est pas douteux, c'est que la morphine a des électivités pour les éléments nerveux ; elle se fixe sur eux. les imprègne, plus ou moins profondément, et les modifie, soit chimiquement, soit physiologiquement. On a critiqué beaucoup les expériences de Binz, disant qu'elles ne prouvent rien du tout; cependant, il nous semble que, dans les conditions de comparaison où elles ont été faites, elles ont quelque signification. 140 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Binz a examiné, au microscope, trois fragments de substance grise du cerveau qui avaient plongé, l'un dans une solution de chlorure de sodium, l'autre dans une solution d'atropine, le troi- sième dans une solution de sulfate de morphine. Or les prépara- tions, faites avec ce dernier, ont montré que le protoplasma des cellules était trouble, à contours très marqués, avec obscurcisse- ment de la substance intercellulaire; altérations que ne présentaient pas les préparations faites avec les fragments immergés dans l'eau salée et dans la solution d'atropine. — Kochs a observé des faits analogues. De plus, on a recherché la morphine dans les centres où elle dépense son activité, et on Ta non seulement retrouvée, mais on a vu la trace de son action dans les lésions produites, à la suite de son administration plus ou moins prolongée. Dans ses études expérimentales sur le morphinisme aigu et chro- nique, Galvet a retrouvé la morphine dans le cerveau et dans le foie, mais il dit qu'à l'examen histologique les centres nerveux lui ont paru sains. Plus tard, vonTschisch et Tiggs ont signalé des myélites, à la suite de l'empoisonnement par la morphine, myélites qui prouvent que cet alcaloïde peut produire des altérations apparentes des élé- ments nerveux. En 1887, Bail rapporte l'autopsie d'un morphinomane, qui, depuis treize jours avant sa mort, n'avait pas pris de morphine ; malgré cela, cet alcaloïde a été décelé chimiquement dans les centres nerveux, dans la rate, dans le rein, mais surtout dans le foie. Une observation analogue a été faite, tout récemment, par Antheaume et Mouneyrat. Elle est relative à un homme de qua- rante-deux ans, qui était arrivé à absorber jusqu'à 4 grammes de morphine par jour. Dans les derniers temps, il n'en prenait plus que 2 grammes et on lui avait supprimé totalement le médicament, depuis quatorze jours, quand il mourut. L'analyse chimique des organes permit de retrouver la morphine, dans le foie surtout, puis, en moindre proportion, dans le cerveau et dans le rein. SBANGB DU 2 JUILLET 1898 141 La rétention du poison dans le foie et son accumulation par èlectivitè de cantonnement, dans cet organe, est donc évidente, mais, même après la cessation de l'administration, on retrouve aussi de la morphine, dans le cerveau, où elle s'accumule par suite de ses affinités électives fonctionnelles. Les observations de Pilliet sont plus complètes. Après avoir donné de la morphine, en injection hypodermique, à deux chiens, pendant trois semaines, en augmentant de 1 centigramme tous les deux jours, cet auteur a sacrifié les animaux. À l'autopsie, il a noté l'abondance relative du tissu adipeux d'épargne, l'état très légèrement chagriné du foie, qui était d'un rouge assez clair, l'état gras de la substance corticale des reins. Les lésions trouvées par Pilliet, à l'examen microscopique, por- taient sur le cerveau et le foie. Le cerveau, examiné en différents points, montrait des corps granuleux, qui se prolongeaient en amas dans la couronne rayonnante. Dans la substance grise, la couche névroglique externe et la couche des petites cellules pa- raissaient normales ; mais la couche des grandes cellules montrait une diminution considérable de ces éléments, diminution surtout frappante, à la comparaison avec les coupes d'un cerveau de chien normal. Le cervelet ne présentait que quelques corps granuleux, dans la substance blanche. Il n'y avait pas de prolifération con- jonctive. Les nerfs, les muscles et tous les autres tissus parais- saient sains. À notre point de vue, les observations de Sarytchoff ont un intérêt particulier, car, en recherchant les altérations du système nerveux central dans l'empoisonnement par la morphine, cet auteur a constaté que les lésions ont pour sièges les cellules ner- veuses et les vaisseaux, tandis que les tubes nerveux et la névro- glie restent indemnes, ce qui concorde avec les observations de Pilliet. Déplus, Sarytchoff a remarqué à l'examen histologique du cer- veau, que les cellules rondes et ovalaires de la région motrice paraissent normales, mais que les cellules pyramidales sont tumé- fiées et à contours effacés ; dans quelques cellules, la substance disparaît, le protoplasma prend un aspect gélatineux ; le noyau se i42 société d'anthropologie db lton colore mal, le nucléole est brillant et il y a une vacuolisation très apparente. Les vaisseaux du cerveau, surtout les veines, sont gorgés de sang; quelquefois les parois veineuses présentent des dilatations anévrismatiques. Dans le bulbe, les lésions siègent surtout dans les cellules gan- glionnaires. Dansia moelle, les cornes antérieures des renflements cervical et lombaire sont les plus atteintes. Dans l'intoxication aiguë, les lésions se traduisent surtout par la tuméfaction des cellules, par l'altération des prolongements et la formation de vacuoles; dans l'intoxication chronique, c'est la dégénérescence granuleuse et granulo-graisseuse qui l'emporte. Ces constatations de Sarytchoff sont fort intéressantes à tous égards ; non seulement elles démontrent les électivités immédiates de la morphine, pour les éléments cellulaires nerveux, mais elles concordent parfaitement avec quelques-unes des manifestations syniptomatiques que nous avons décrites, et avec les conclusions qui ressortent de nos expériences manométrographiques et hémo- dromographiques, relativement à l'état de la circulation pendant la narcose opiacée. A l'aide de moyens d'étude plus délicats, J. Demoor a plus ré- cemment observé les modifications que présentent les cellules de la couche corticale du cerveau des animaux soumis à l'action de la morphine et il a constaté que, sous l'influence de cet alcaloïde, le corps de la cellule des neurones paraît diminuer de volume et les prolongements deviennent granuleux. Les prolongements den- dritiques prendraient un aspect monoliforme et montreraient de petites granulations régulièrement disposées. Les électivités cellulaires nerveuses de la morphine sont donc certaines ; il reste à savoir comment, du contact médicamenteux ou de l'imprégnation des éléments, peut naître le sommeil. Ici, nous allons nous permettre d'entrer dans le domaine des hypothèses et, nous appuyant sur l'autorité des savants qui ont émis ou soutenu la théorie histologique du sommeil, nous cher- cherons à l'appliquer au cas particulier de la narcose morphinique. Les récentes études sur la fine histologie des centres nerveux ont permis de découvrir et de comprendre l'indépendance relative SÉANCE DU 2 JUILLET 1898 143 des cellules nerveuses, qui communiquent, avec les cellules voi- sines, non par continuité, mais par contiguïté des arborisations terminales du prolongement cylindraxile des unes avec les prolon- gements protoplasmiques des autres. De plus, des faits d'observation dus à Wiedersbeim Anat. Anxg., 1890, cité par Duval justifient l'hypothèse de la mobilité de ces cellules ou de leurs ramifications terminales qui, par ami- boïsme, pourraient s'allonger ou se rétracter. Par suite de ces mouvements, les rapports de contiguïté, qui établissent des relations entre les neurones, peuvent varier d'un moment à l'autre. D'une part, ces rapports peuvent devenir plus intimes, par l'allongement des ramifications et leur rapprochement, favorisant ainsi les communications et l'activité nerveuse ; d'autre part, les neurones peuvent s'isoler, diminuer ou intercepter les contacts, par rétraction de leurs prolongements, aboutissant à un état favorable au repos. Or, Mathias Duval, R. Lépine, Pupin admettent que, pendant le sommeil naturel, les ramifications cérébrales du neurone sen- sitif sont rétractées et que, par suite, les communications, entre l'écorce grise et les centres inférieurs, sont interceptées, ne lais- sant persister que les réflexes. Dans l'exposé magistral qu'il a donné de cette théorie, le professeur M. Duval ajoute que le réveil s'accompagnerait de l'allongement des ramifications et du rétablis- sement des contacts. 11 dit encore que certaines substances thé, café, alcool peuvent être considérées comme des excitants de l'amiboïsme des extrémités nerveuses en contiguïté, provoquant le rapprochement des ramifications et facilitant ainsi les communi- cations de neurone à neurone et l'activité. Puisqu'on accorde à certains agents ou médicaments, connus comme stimulants de l'activité nerveuse, le pouvoir de provoquer leurs effets en facilitant les communications entre neurones, il n'y a pas de raison pour refuser aux hypnagogues, et à la morphine en particulier, qui ont des actions contraires, le pouvoir de pro- voquer, un mouvement inverse et de modérer ou supprimer les activités nerveuses, par rétraction des ramifications cellulaires et interception des contacts. 144 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON On a d'ailleurs un excellent exemple de la suppression de l'ami- boïsme des cellules mobiles, dans l'action anesthésiante, bien connue et directement observée, de l'anhydride carbonique sur les éléments de la lymphe. Sous l'influence de cet agent, les leucocytes cessent momentané- ment de lancer des pseudopodes ; ils se rétractent et deviennent globuleux. L'hypothèse d'un effet analogue de la morphine et des hypna- gogues, sur les cellules nerveuses, est donc parfaitement logique. Chez les animaux qu'elle narcotise, la morphine déterminerait, d'abord, une stimulation de l'amiboïsme et l'allongement des rami- fications terminales, produisant la suractivité fonctionnelle du dé- but; puis, par imprégnation plus profonde, la rétraction de ces prolongements, l'isolement des neurones et l'état de repos qui caractérise l'hypnose. Au moment des excitations intercurrentes, qui viennent trou- bler le sommeil, les contacts pourraient se rétablir soudainement et passagèrement, mais la persistance de la modification médica- menteuse laisserait, aux manifestations du réveil apparent, les caractères que nous leur connaissons. Quant aux espèces non narcotisées, pourquoi, chez elles, n'ad- mettrait-on pas que la morphine, au lieu de produire la rétrac- tion des prolongements, indispensable à la suspension des activités se limiterait à des troubles du fonctionnement cellulaire, par im- prégnation protoplasmique médicamenteuse. Ces troubles pouvant aussi s'accompagner de l'exagération des rapports de contiguïté, nous expliqueraient les manifestations excitantes, avec désordres cérébraux, ivresse agitante, hallucination, incoordination, etc., qui caractérisent le morphinisme dans ces espèces. Il y a dans ces faits une simple question d'impressionnabilité différente, dont les exemples abondent en pharmacodynamie. Ce ne sont assurément là que des hypothèses, mais, dans l'état actuel de nos connaissances, et arrivé à cette limite extrême de l'interprétation des effets d'un médicament, il est bien difficile d'apporter autre chose Parmi celles qu'on pourrait admettre, l'hypothèse, à laquelle SÉANCE DU 2 JUILLET 1808 145 nous nous arrêtons, a, au moins, le grand avantage d'être en har- monie parfaite avec les données récentes de l'histologie et de la physiologie et de nous montrer, de plus, où pourraient se trouver les points de comparaison possible, entre le sommeil naturel et le sommeil artificiel. Ce n'est assurément pas du côté des modifications circulatoires, car, si, d'après les études de pharmacodynamie comparée, dont nous avons exposé les résultats f , on trouve, d'une part, des sujets narcotisés avec vaso-dilatation, hypotension vasculaire et stase sanguine, d'autre part, des animaux non endormis, avec vaso- constriction et hypertension artérielle, il est facile d'arriver, par l'expérience et par le raisonnement, à conclure en faveur du prin- cipe de l'indépendance qui existe entre les modifications de la circulation cérébrale et l'hypnose. Si les vaso-moteurs sont excités dans certaines espèces et dé- primés chez les autres, c'est par une action corrélative et analo- gue à celle qui agit sur les centres encéphaliques et qui fait que les animaux sont excités ou narcotisés. Il est possible que, dans certaines circonstances, les modifications circulatoires ajoutent leur influence à l'action directe du médicament sur les centres nerveux, mais il n'y a certainement pas de rapport immédiat, de cause à effet, entre les deux modifications. L'une n'est pas la cause première et exclusive de l'autre. DISCUSSION M. Mayet. — Certains auteurs donnent un rôle prépondérant aux cellules de la névroglie dans l'établissement ou dans la sup- pression des rapports de contiguïté entre les neurones. Semble-t-il que dans le sommeil de la morphine, il faille plutôt faire intervenir les mouvements des prolongements névrogliques 1 L. Guinard, Etude expérimentale de Pharmaco-dynamie comparée sur la morphine et Vapomorphine, 1 v. gr. in-8° de 728 pages avec 198 figures Paris, Asselin et Houzeau, 1898. Soc. antu. — t. XVII, 12 146 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON ou ceux des prolongements protoplasmiques de la cellule nerveuse? Telle est la question sur laquelle M. Guinard pourrait nous répondre avec haute compétence. M. Quinard. — M. Mayet tait allusion à la théorie de Raraon y Gajal. Toutes ces théories ne sont que des hypothèses invoquées pour donner l'explication des phénomènes observés. Ainsi une autre théorie admet que l'intercalation des prolongements névro- gliques correspond à la non-activité des éléments nerveux. M. Mathis. — M. Guinard a parlé de l'apparition dans les cellules nerveuses de granulations. On peut comparer ce fait à ce qui se produit dans diverses intoxications d'origine microbienne qui déterminent de la chromatolyse dans les cellules nerveuses. M. Lesbre, à propos de la théorie des neurones de Mathias Duval, rappelle celle d'Herbert Spencer qui expliquait la perfecti- bilité, l'éducation par un phénomène devégétation des extrémités des cellules nerveuses. La séance est levée à 6 h. i/2. L'un des secrétaires D r Royet. SÉANCE DU 23 JUILLET 1898 147 CLU SEANCE. — 2S JiOlet 189S. Présidence de M le D' DOR, Préaident A l'ouverture de la séance, M. le D r Dor, président, fait part à la Société de l'accident dont vient d'être victime M. le Secrétaire général. Il propose d'envoyer à M. Chantre, au nom de la Société, des vœux pour son prompt rétablissement. Adopté. lie procès verbal de la dernière séance est lu et adopté. L'ordre du jour appelle une communication de M. Lesbre, sur Y Hérédité des caractères acquis. Cette communication, non remise par l'auteur, sera publiée ultérieurement. DISCUSSION M. Lavirotte. — Les traumatismes ne sont pas transmis, il faut faire entrer en jeu l'influence du système nerveux, témoin Tépilepsie héréditaire chez les cobayes dont la mère a subi un traumatisme du crâne. L'hérédo?yphiiis n'est pas un exemple d'hérédité des caractères acquis. M. Pélagaud. — Il y a quelques années, on a attiré l'attention sur un fait qui semble mettre en question le transformisme; il s'agit de la circoncision. Le traumatisme accidentel! toujours rebelle sur les descendants d'une même race, n'a rien produit. La nature résiste donc aux variations de l'individu. Pour ce qui est des callosités du chameau, on ne doit pas les 148 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON attribuer à la servitude. À l'état sauvage on en constate de sem- blables. De môme pour les bosses Le zébu qui n'est pas domestique a pourtant une bosse superbe; on ne peut pas, pour expliquer sa formation, mettre en cause des traumatismes provenant de fardeaux. La bosse est une réserve alimentaire ; l'inspection de la bosse fait reconnaître l'état de santé de l'animal. Les Malgaches prétendent que cette bosse sert à nourrir les bœufs pendant les six mois de sécheresse; il est à remarquer, en effet, qu'à ce moment la bosse devient flasque. De même pour ces moutons dont l'appendice caudale atteint par- fois un développement énorme. Les végétaux obéissent aux mômes lois; sans doute les carac- tères acquis se transmettent par bouture ou par greffe, mais la graine reproduit toujours le sauvageon. M. Lacassagne. — Les amputés ont des enfants bien consti- tués, de môme les circoncis. On sait que les monstruosités sont parfois héréditaires malgré leur peu d'importance ; d'autres monstruosités très complètes sont au contraire personnelles. Ce n'est pas l'accident qui donne le caractère acquis. 11 faut que ce caractère ait pris droit de cité ; il faut que, dans le système nerveux, il y ait une impression particulière. 11 y aura hérédité nerveuse donnant tantôt des troubles tro- phiques, tantôt de l'épilepsie. On est parent par le système nerveux et non par le sang. On peut considérer trois lois essentielles Loi de l'habitude Plus une chose est passée à l'état d'habitude, plus elle retentit sur le système nerveux et devient pour ainsi dire machinale ; Loi de modificabilité 11 y a des parties du système nerveux de l'homme qui sont plus modifiables que d'autres; Loi de perfectibilité SÉANCE DU 23 JUILLET 1898 149 Amélioration réelle du système nerveux ou plutôt adaptation au milieu. M. Dor. — Certains caractères se transmettent plus facilement que d'autres. Suivant un auteur anglais, les blonds tendraient à disparaître ; dans un temps plus ou moins éloigné, il n'y aura plus que des bruns. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance. La parole est donnée à M. Guinard pour la communication sui- vante COMMUNICATION TROIS FŒTUS HUMAINS MONSTRUEUX Par MM. L. Guinard it A. Pollosson Les trois fœtus que nous avons l'honneur de mettre sous les yeux des membres de la Société d'Anthropologie n'appartiennent pas à la même famille tératologique. Deux sont des anencéphaliens, dérencéphales ; le troisième est un pseudencéphalien, thlipsencéphale. Les deux anencéphaliens sont l'un du sexe masculin, l'autre du sexe féminin ; ils présentent une absence complète d'encéphale, mais leur canal rachidien est assez développé et n'est pas remplacé par une fissure presque totale avec absence de moelle, comme on l'observe chez les anen- céphaliens proprement dits. L'un et l'autre se ressemblent parfaitement ils ont le faciès type des anencéphaliens ; l'air de famille du genre, tenant surtout à la disposition des yeux, qui occupent l'extrémité supérieure, sont très proéminents et recouverts par des paupières volumineuses. Les oreilles sont saillantes et leurs pavillons, repliés en avant, portent l'empreinte d'une compression. 150 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Les deux fœtus sont recouverts d'un enduit sébacé et d'un léger duvet, on aperçoit quelques cheveux autour de l'ou- verture crânienne ; les ongles sont durs et dépassent la pulpe des doigts. Bien conformés, en dehors de la monstruosité essentielle dont ils sont porteurs, ils représentent deux miniatures de fœtus ayant six à sept mois de gestation et paraissant avoir tout ce qu'il faut pour vivre. Et de fait on cite de nombreuses observations d'anencéphaliens et de pseudencéphaliens qui ont vécu plusieurs heures et même quelques jours. Les physiologistes les ont mis à profit pour l'étude des réflexes ; Lallemand n'a pas manqué d'insister sur la possibilité de mouve- ments indépendamment du cerveau en se basant sur l'obser- vation des anencéphaliens. L'étude de la monstruosité donne l'histoire de sa formation. En effet que trouvons-nous ? Les os de la base du crâne, défor- més, avec, au pourtour, les vestiges des es de la voûte étalés ; le tout formant une sorte de plancher ou de large gouttière, recouverte par une membrane, vestige de la poche remplie de sérosité, qui, pendant la vie embryonnaire, remplace les organes nerveux. En effet, dans l'anencéphalie, comme dans l'exencéphalie, il y a arrêt de développement des lames vertébrales qui doivent former et clore la cavité crânienne, mais cet arrêt de développement du crâne est précédé de l'arrêt de développement des vésicules encé- phaliques. Nous nous permettrons de rappeler en passant que, chez l'em - bryon, le sillon médullaire aboutit à la formation du canal médul- laire par suite de son accroissement, de son incurvation et de la soudure des replis médullaires. Ce canal est, on le sait, tapissé par le feuillet séreux qui forme la lame médullaire, dontl'épais- sissement aboutit à la formation des éléments nerveux. En avant, le tuba neural forme les vésicules cérébrales , vestiges primitifs des masses encéphaliques ; or, chez les anencé- phales, ces vésicules remplies de sérosités, au début, s'arrêtent SÉANCE DU 23 JUILLET 1898 151 dans leur développement ; la substance nerveuse ne se forme pas ; leur diamètre transversal augmente sans modification de la structure de leur paroi. A la place des vésicules cérébrales persiste une poche remplie de sérosité qui d'ailleurs se déchire habituellement avant l'accou - chement. C'est donc un arrêt de développement qui est la cause de cette monstruosité ; arrêt de développement qui peut provenir de l'arrêt de développement de l'amnios. En effet une pression exercée par l'amnios, au niveau du capu- chon céphalique, peut arrêter le développement de la lame ecto- dermique qui forme le fond de la gouttière et doit donner naissance aux éléments nerveux. Péris, M. Dareste surtout ajoutent une grande importance à cet arrêt primitif du développement de l'amnios qui se trouve confirmé parfois par des dispositions anatomiques non douteuses. L'anencéphalie est beaucoup plus rare chez les animaux que chez l'homme; cependant on eu connaît quelques observations intéressantes. Le troisième fœtus, du sexe masculin, est un peu plus développé que les précédents ; il pèse 1 kg. 440, mesure 41 centimètres de long; il a l'aspect général du fœtus qui a macéré et n'appartient pas au même groupe tératologique. Il y a une ébauche de cavité crâ- nienne, surtout en avant ; l'arrêt de développement est postérieur. En arrière, dans la région pariéto-occipale, le crâne est réduit à une simple membrane, percée d'un trou, bordé par un prolonge- ment d'enveloppes rompues, paraissant représenter des adhéren- ces ; il est possible qu'à ce point il y ait eu une adhérence amnio- tique. Il nous est difficile de savoir s'il y avait de la substance ner- veuse ; s'il en était ainsi, il s'agirait d'un exencéphalien, iniencé- phale, quoique la fissure spinale soit absente. Nous croyons plutôt à un cas de pseudencéphalie du genre thlipencéphnle. io2 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON L'étude d'an monstre est toujours intéressante, même lorsqu'il s'agit de cas qui semblent fréquents, car il est rare qu'ils soient toujours semblables à eux-mêmes et, soit dans les circonstances qui ont précédé ou accompagné l'accouchement, soit dans l'obser- vation du fœtus, il y a toujours quelque chose d'utile à apprendre. La séance est levée à 6 heures. A. Verrière. SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1898 153 CLXII SÉANCE. — S Nrata ISIS. Prèai4nc !. — Ouvrages offerts, 57. — Présentai ions, 58. — A propos de la discussion sur l'alcoolisme, 59. — Communications Premiers aperçus sur les résultats de ses recherches anthropologiques dans la Haute-Egypte résumé, par M. Ernest Chantre, 71. Séance du t avril. — Ouvrages offerts, 73. — Candidatures, 74. — Pré- sentation*, 74. — Communications Note sur un nouveau cimetière gallo- helvéte découvert à Vevey Suisse, 75. — Vàge de la pierre dans la Haute-Egypte d'après les plus récentes découvertes, par M. Ernest Chantre, 77. — Discussion, 8f>. Séance du • mal. — Ouvrages offerts, 9t. — Elections, 92. — Présen- tation, 92. — Communication Quelques observations sur le shock abdo- minal, par M. le D r Tixibr, 92. — Discussion, 98. 204 TABLE DES MATIERES Séance du 4 nln. — Présentation, 100. — Communication le Tell de Kara-Euyuk près César ée t par M. Ernest Chantre, 101. Séance du * Juillet. — Ouvrages offerts, 129. — Communication le Sommeil de la morphine, par M. L. Guinard, 130. — Discussion, 145. Séance dn tS juillet. — Discussion, 147. — Communication Trots fœtus humains monstrueux, par MM. L. Guinard et A. Pollosson, 149. Séance du 5 novembre* — Ouvrages offerts. 153. — Présentation Recherches archéologiques dans VAsie occidentale. Mission en Cappa- doce, par M. Ernest Chantre, 155. — Notice biographique sur Gabriel de Mortillet, par M. Ernest Chantre, 167. Séance du S décembre* - Ouvrages offerts, 175. — Election, 176. — Présentation, 176. — Communication De la Docimasie hépatique, par MM. A. Lagassaqne et Étienue Martin, 176. — Discussion, 195. — Notice biographique sur le professeur Ch. Cornevin, par M. A. Porcherel, 197. Lyon. — Imprimerie A RBY, 4, rue Gentil. — 17759. BULLETIN SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE ls Sa" s pi M Lyon. — Imprimerie A. RKY, 4, rue Gentil. — 18431 BULLETIN DE LA / / SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Fondée le 10 Février 1881 TOME DIX-SEPTIEME II 1 898 LYON H. GEORG, LIBRAIRE PA88AOB db l'hotbl-dibu, 36-38 PARIS MASSON & G°, LIBRAIRES 120, BOULBTABU AlMT-GBKliAIN 1899 LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE Par M. Claudius SAVOYE Instituteur à Odenas Rhône. JAN 23 1900 AVANT-PROPOS L'ancienne contrée de France, connue sous le nom de Beaujolais a servi à former une partie des départements du Rhône et de la Loire. Les confins de cette petite province ont assez souvent varié. Au temps delà splendeur delà vieille maison seigneuriale de Beaujeu, ils allaient de la Saône jus- que et au delà de la Loire. Actuellement, on ne comprend sous le nom de Beaujolais que la partie nord du département du Rhône, formant la presque totalité de l'arrondissement de Villefranche. C'est cette région qui a été le champ de nos recherches. La position géographique du Beaujolais, sur la ligne de partage des eaux qui divise l'Europe en deux grands versants, puis surtout la présence, à l'est, de la large et fertile vallée de la Saône, le grand chemin des émigrations des peuples du nord vers les terres ensoleillées du midi, faisaient prévoir que les traces de l'homme préhistorique devaient s'y rencon- trer aussi nombreuses et aussi convaincantes que dans le reste de la France. Cependant, jusqu'à ces dernières années, alors que le Maçonnais, au nord, avait livré à ses habiles explorateurs de Ferry, Arcelin, Ducrcst, Chantre et bien d'autres, les Z SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DG LYON richesses de ses stations de Charbonnière, Vergisson et Solu- tré ; qu'au sud, le Mont-d'Or lyonnais fournissait des gisements néolithiques, le Beaujolais, leur voisin de terri- toire, avait pour ainsi dire échappé aux investigations des savants et passait pour ne rien receler de semblable. Attiré par l'aspect pittoresque de la roche de Solutré et par le bruit des découvertes qui s'y faisaient, nous avions, dans quelques excursions, appris à reconnaître l'éclat prismatique de silex taillé qui jonche le sol de cette localité. Bientôt les mêmes éclats frappèrent nos regards, à Odenas d'abord, puis dans un grand nombre d'autres localités. Au début, les trouvailles furent rares, l'éducation de l'œil n'était pas faite et peut-être le léger ridicule qui s'attache encore aux chercheurs de pierres » nous aurait -il décou- ragé, si nous n'avions eu le rare bonheur d'être encouragé par M. le professeur Ernest Chantre; qu'il nous permette de lui adresser ici l'expression de notre vive reconnaissance. Les stations préhistoriques du Beaujolais ne ressemblent en aucune façon aux gisements classiques de la Dordogne ou du Maçonnais, par exemple. En raison de sa constitution géo- logique, en majeure partie granitique ou porphyrique, le pays n'a pas de roches surplombantes, et ne possède quequel- ques petites grottes, en sorte que toutes les stations sont en plein air. De cefait,les recherches n'étaient pas sans difficulté. Le genre de culture présentait de plus un obstacle aux fouilles. On sait que le Beaujolais est couvert de vignobles qui donnent des vins fort estimés, et tous les gourmets connaissent, au moins de nom, les crus de Brouilly, Morgon, Fleurie, Chénas et Juliénas. Les terrains ont par suite une grande valeur, les parties en friche sont rares et cantonnées vers les crêtes des montagnes. Les recherches sérieuses n'allant pas sans l'arrachage de quelques ceps, les proprié- taires élèvent de telles prétentions, qu'on en est réduit — la LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 3 plupart du temps — à glaner seulement les instruments ramenés à la surface du sol par les travaux de culture. Nous avons pu cependant reconnaître et étudier un certain nombre de stations, allant de l'époque paléolithique à l'époque néolithique. Nos récoltes de silex taillés et d'instruments en pierre polie s'élèvent à plusieurs milliers de pièces. La matière première employée est, à de rares exceptions près, de mauvaise qualité. L'argile à silex de Saône-et- Loire ne s'étend pas au sud de Mâcon, et l'ouvrier primitif en était réduit, le plus souvent, k utiliser les charveyrons, rognons siliceux des terrains Bajocien ou Bathonien recueillis dans les alluvions. Avant d'aborder l'étude des stations préhistoriques, le lec- teur, peu familiarisé avec le pays, nous saura gré de donner sommairement quelques indications sur l'orographie, la géo- logie et l'hydrographie du Beaujolais. Nous décrirons ensuite les trouvailles que nous avons faites dans cette région, et, si notre travail est dépourvu d'autres mérites, il a du moins celui de la sincérité. Ce travail serait sans doute resté manuscrit, si l'Associa- tion Française pour l'Avancement des Sciences ne nous avait accordé, pour son impression, une généreuse subvention sur les arrérages du legs Girard. Cette faveur est pour nous un précieux encouragement. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE INTRODUCTION OROGRAPHIE Les monts du Beaujolais, subdivision des Gévennes, forment un des anneaux de la grande ligne de partage des eaux qui s'étend en forme d'S gigantesque du Jura aux Pyrénées et sépare les deux grands versants de l'Océan et de la Méditerranée. Ils se relient au nord par le mont Ajoux ou Saint-Rigaud, aux monts du Charo- lais, et au sud à la chaîne du Lyonnais par le massif de Tarare. Le Beaujolais, tu à vol d'oiseau, offre un chaos de montagnes qui s'abaissent graduellement de l'ouest à Test, où elles forment une partie du bord occidental de la grande cuvette bressane. Une étude plus attentive permet d'y reconnaître plusieurs chaînons pa- rallèles, orientés sensiblement du au et dont les deux principaux sont séparés par la profonde et pittoresque vallée de rAzergues. Le point culminant des monts du Beaujolais, situé à l'extrémité nord de la chaîne, à 8 kilomètres de la frontière du département, et à 20 kilomètres à vol d'oiseau de la Saône, est l' Ajoux, qui s'élève à 1012 mètres au-dessus du niveau de la mer. A son som- met, on trouve des traces de constructions romaines recouvertes Soc. anth. — Beaoj. préhist. 1 6 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON en partie par les ruines d'un prieuré bénédictin de l'ordre de Cluny. Cette montagne est plus connue sous le nom de Saint-Rigaud, qui lui Tient d'une fontaine aux eaux miraculeuses, située près de son sommet ; les femmes stériles vont lui demander la fécondité, et les malades, la guérison d'une foule de maux. Si, à ce point culminant 1012 m , on compare le lieu le plus bas, c'est-à-dire l'endroit où la Saône entre dans le Lyonnais, un peu en amont de Saint-Bernard et d'Anse 166 m , on constate que la pente totale du territoire est de 846 mètres. Les autres sommets les plus élevés de nos montagnes sont, en allant du nord au sud, le Monnet 1000 m , séparé du Saint-Rigaud par l'étroit col de la Groix-d'Amanzé ; la Roche-d'Ajoux 973 m , au pied de laquelle l' Azergues prend sa source ; le Tourvéon 953 m , montagne superbe, de forme conique, qui porte à son sommet des ruines romaines et le fossé profondément creusé dans ses flancs du château légendaire de Oanelon. A l'est, nous trouvons la mon- tagne d'Avenas 874 m , et ses pierres de Rochefort qui baignent leur pied dans la fontaine sacrée des Fées lavandières ; le mont des Eguillettes 847 m ; le Soubran 898 m , au sommet arrondi, rappelant les ballons vosgiens; l'Auguel ou crôt de Najoux 890 m , couronné par un camp préhistorique occupé postérieure- ment par les Romains. Le Saint-Bonnet 680 m et sa vieille cha- pelle où les cultivateurs se rendent en foule les lundis de Pâques et de Pentecôte pour demander la protection divine en faveur de leur bétail ; puis le Ghatoux 776 ra . Plus à l'ouest et formant la ligne de partage des eaux, nous citerons le crét de Molières 834 m et le crét de la Garde 851 m où se reconnaissent fort diffi- cilement les traces d'une enceinte en pierres sèches d'une haute antiquité. Puis, dans la région de Tarare, s'élèvent le mont Tarare 700 m et le mont Ghevrier 738 m . a Les vallées de ces montagnes, dit le Guide Joanne en parlant du massif de Saint-Rigaud. sont, pour la plupart, très pittoresques, très diverses, selon qu'elles s'ouvrent sur l'un ou l'autre versant. Parmi les plus belles, nous citerons, sur le versant ouest, les val- lées du Sornin ou plutôt des Sornins 54 km.. Sur le versant est. t LE BEAUJ0LAI8 PREHISTORIQUE 7 plusieurs vallées jouissent d'une réputation de beauté méritée ; nous citerons entre autres l'Àzergues, les vallées supérieures des Grosnes. Si les vallées sont pittoresques et souvent très belles, les vues que l'on découvre des sommets sont presque partout admi- rables et extrêmement variées. » Le panorama que Ton découvre du baut de ces montagnes est en effet superbe à l'ouest, se montre la ligne bleue des montagnes du Forez et de la Madeleine dominées par la masse importante de Pierre-sur-Haute 1640 m ; à l'est, les terrasses couvertes de vignes du Beaujolais, et, par delà la Saône, la vue s'étend sur la Bresse, les Dombes, le Jura et les Alpes. Les montagnes du Beaujolais, comme toutes celles où le granit et le porphyre dominent, ne sont pas coupées de profondes frac- tures, la roche est trop dure pour avoir permis des entailles de cette sorte. Les passages se trouvent à une grande hauteur, et les cols — contrairement aux cluses jurassiques — échancrent à peine la ligne de faite. Les principaux passages sont ceux de Crie et de Ghampjoint qui permettent de contourner le massif du Saint-Rigaud et font com- muniquer la vallée de l'Ardière avec celles des Grosnes et du Sornin. Une ancienne voie, tendant de Belleville à Beaujeu et à Àigueperse, signalée par M. G. Guigue, devait passer par ces deux col 8. Un terrier de Saint-Jean-d'Ardière, de 1463, la qua- lifie de Magnum iter. Les cols de Ghenelette et des Echarmeaux sont traversés par la grande route de la Saône à la Loire. Plus au sud, nous trouvons les hauts passages de la Casse-froide, de la Groix-de-\farchampt , de la Groix-Rozier, du Parassoir et du Saule-d'Oingt qui permet- tent de franchir la chaîne orientale du Beaujolais et donnent accès dans la vallée de l'Azergues. La chaîne centrale, couverte en majeure partie de bois de sapin ou de taillis, est traversée aux cols des Aillets, de Favardy, des Fourches, du Theil et du Pilon, et l'on se trouve sur le versant de l'océan Atlantique. Le massif de Tarare est franchi au col des Sauvages, d'aspect rébarbatif, et la fameuse route qui inspirait tant de terreur à 8 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON M ne de Sévigné, a été remplacée par une voie large, mais très sinueuse, dite de Paris à Rome. GÉOLOGIE L'ossature intérieure des monts du Beaujolais est principalement formée de roches primitives granits, orthophyres, tufs ortho- phyriques, porphyres et schistes divers. D'après M. Michel Lévy , qui a levé la carte géologique de la région feuille de Bourg, les terrains anciens constituent un grand pli syn- clinal parallèle aux plis similaires du Morvan et corres- pondant comme eux à la phase d'émersion contemporaine du Gulm. De grandes failles se sont ouvertes après le dépôt des bassins houillers et permiens. On peut en citer, toujours d'après M. Michel Lévy ... quatre faisceaux correspondant aux filons quartzeux, fluorés, et manganésifères de Romanèche ; puis celui des Ardillats, galénifère et cuprifère ; puis celui delà Groix-Rozier, principalement quartzeux et barytifère; enfin celui des environs de Sainte-Paule, surtout quartzeux et le long duquel est enfoui un lambeau houiller. » Les granités du type à grands cristaux du Plateau Central sont largement développés dans la partie orientale du Beaujolais aux alentours de Fleurie et d'Odenas. Une variété de granit, injecté de quartz de corrosion, s'étend aux alentours de Saint- Vérand près du confluent du Soannan et de l'Azergues. Aux environs de Tarare, on trouve un granité syénitique et une bande étroite de ce même granit s'étend de Vauxrenard à Eme- ringes, longeant les schistes et les diorites. De nombreux filons de granité sillonnent en outre les diverses variétés de porphyres, de telle sorte que cette roche entre pour une large part dans la constitution intime du relief montagneux du haut Beaujolais. Les tufs orthophyriques forment presque seuls le vaste plateau des Echarmeaux et de Ghenelette jusqu'au delà des Ardillats, de môme qu'ils constituent aussi le plateau d'Avenas- Vauxrenard. Des lambeaux triasiques de grès bigarrés sont restés à la surface de ce dernier plateau où ils composent notamment le sommet du mont des Eguillettes 847» . LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 9 Un paissant massif de tuf orthophyrique constitue également le groupe de montagnes situé au sud de Beaujeu et dont le Tournis- soux est le centre. Dans la vallée de l'Àzergues, cette roche est particulièrement développée autour de Chamelet et de Dième. Des coulées de microgranulite, qui vont de Dun-le-Roi Saône - et-Loire, au crét de Molière, se montrent aux environs de Saint - Appolinaire et de Saint-Just-d'Àvray , superposées aux tufs orthophyriques. Diverses variétés de schistes, granulitiques, micacés, feldspa- thisés, pyroxéniques et amphiboliques forment une bande, assez étroite d'abord, qui part des flancs de la montagne d'Avenas et va s'étaler au sud en formant deux faisceaux dont le principal compose une partie du massif de Tarare. Le quartz se présente surtout sous forme de filons associés parfois à la baryte ou à la galène. Le plus important de ces filons coupe le mont Roimont et forme sur les communes de Fleurie et de Chénas une arête d'une dizaine de mètres d'épaisseur moyenne qui peut se suivre sur une longueur de près de 5 kilomètres. De nombreux filons métalliques, orientés généralement v forment un réseau fort complexe sur les territoires des communes de Poule, Ghenelette, Propières, Monsols et les Ardillats. Ils sont composés principalement de plomb sous forme de galène argentifère ainsi qu'à l'état de carbonate, de phosphate, d'arsé- niate et de sulfate. Le filon des Ardillats a été exploité jusqu'à ces dernières années ; le peu de bénéfice réalisé par les concessionnaires l'a fait abandonner. L'étendue totale des concessions sur les communes ci-dessus est de 3428 hectares. D'autres filons de galène , jadis exploités , existent sur les communes de Joux-sur- Tarare, Valsonne, Ghasselay et Odenas. A Saint-Julien-sous-Montmelas, au lieu dit l'Espagne, se trouve un gîte de manganèse inexploité, de même nature que celui de Romanèche. L'oxyde de manganèse, mélangé parfois d'oxyde de fer, y est, d'après MM. Masson et Benoit *, irréguliè- rement disséminé dans une gangue de baryte et de chaux fluatée. 1 Masson et Benoît, Notice géologique sur le département du Rhône. 10 80CIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LTON L'oxyde de fer se rencontre en plusieurs points du Beanjolais, il forme des gisements trop pauvres pour être exploites. Les filons les plus intéressants sont eeux de Lantignié, Vauxrenard et Valtorte. A Chessy, le cuivre à l'état de pyrites, d'oxydes, de carbonates bleus ou azurites a été exploité par intermittences depuis l'époque romaine jusqu'à nos jours. Actuellement, le minerai est considéré comme épuisé. Une mine de cuivre où l'on travaillait encore au xvi 6 siècle existe sur le territoire de la commune de Jullié. Ces filons furent presque tous exploités pendant le moyen âge, et plusieurs appartinrent à Jacques Cœur comme on en trouve la preuve dans les pièces de son procès. Les sires de Beaujeu entretenaient des officiers spécialement chargés de la surveillance des mines, ce qui leur suppose une certaine importance. L'extrait suivant de l'un des meilleurs histo- riens du pays, Louvet, donnera des indications utiles à leur sujet. Le sieur Claude Paradin, chanoine de Beaujeu , ayant eu commission de M. de Mandelot 1 , lieutenant pour le roi au gouver- nement du Lyonnais, du Forest et du Beaujolais, de faire la carte du gouvernement, se transporta sur les lieux et fit tant, par ses recherches et diligences, qu'il a laissé par écrit qu'il y a des mines à Joux-sur-Tarare, Propières, Claveysolles, Saint-Cyr-le-Chatoux et Odonnas ; qu'en la paroisse de Joux et au lieu appelé la Vieille- Montagne, il y a des mines tenant argent, plomb, cuivre et peu d'or ; au chemin de Ressins, tenant trois marcs et demi d'argent pour cent. Quant à celle de Propières, qu'il appert d'un mémorial de Jean Magnin de Beaujeu, censier de ladite mine, sur la fin de Tannée 1458 et commencement de Tannée 1459, fait en l'espace de moins de seize mois, ez dites mines, scavoir argent, 7 marcs, 6 onces et demi, 3 deniers, plomb, 113 quintaux et 70 livres. Que celli de Claveysolles forme vitriol et tient aussi argent, plomb cuivre et soufre. Qu'en celle de Saint- Gyr-le-Chatoux, près le château d'Y oing, il y a mine de charbon bon à chauffer et faire chaux, * Vers 1575. LB BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 11 mais inutile à forger; qu'en celle d'Odonnas le plomb paye les frais sans l'argent, mais que l'eau empêche le travail 1 . » Les plus anciens terrains sédimentaires sont composés de schistes et quartzites précambriens, alternant parfois avec des calcaires gris ou noir bleuâtre contenant des coquilles marines. A Ternant et à Azolette, s'observent des calcaires blancs veinés de rose et de vert, intercalés au milieu de schistes gris silicifiés, qui pourraient être exploités comme marbre et qu'on rattache au précambrien. Les schistes pyriteux sont développés autour du Saint-Rigaud et à Morgon ; un filon de schistes granulitiques s'é- tend de Ri volet à Nerval, commune d'Odenas. Au- dessus de ces couches existe une sorte de conglomérat sur- monté par des grès, des poudingues et des quartzites ; cette forma- tion s'étend surtout à l'ouest du Beaujolais, entre Saint-Rigaud et Tarare. Des lambeaux houillers s'observent à Saint-Bonnet -le~Troncy , Saint-Nizier-d'Azergues et Sainte-Paule. A l'exception de ce dernier, qui fait l'objet d'une exploitation suivie, les couches ont en général trop peu de régularité et sont trop mélangées de schistes pour qu'on cherche à les utiliser. Le trias est faiblement représenté aux environs de Chessy, à la lisière du Beaujolais, par des grès formés de sable quartzeux blanchâtre, agglutiné par un ciment siliceux. Le Muschelkalk représenté par des calcaires dolomitiques, couleur lie de vin, se rencontre également près de Chessy. Les fossiles contenus dans cet étage sont des poissons ganoïdes, le Ceratites nodosus et VEncrinu* monoliformis. Les marnes irisées n'ont laissé qu'une couche peu appréciable à la base des terrains jurassiques. Ces derniers forment deux chaî- nons à peu près parallèles, l'un qui longe la vallée de l'Azergues, dans les environs du Bois-d'Oingt, l'autre qui s'étend de Ville- franche à Charnay et plonge à l'est et à l'ouest sous les alluvions anciennes, glaciaires et fiuviatiles. 1 Louvet, Histoire de Beaujolais manuscrit du château de Pierreux, fol. 57. 12 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Les onze étages qui composent le terrain jurassique sont pres- que tous représentés en Beaujolais. Ils sont déposés parallèlement à la Saône et relient le massif du Mont- d'Or aux formations syn- chroniques du Maçonnais et de la Bourgogne. L'infralias et le lias inférieur ou sinémurien se rencontrent dans le massif du Bois-d'Oingt ; ils sont largement représentés à l'ouest de Gogny ; on les retrouve à Blacé puis vers Anse où ils forment une bande continue de Villefranche à Lozanne. L'infralias contient des bancs calcaires jaunes ou gréseux ren- fermant beaucoup de fossiles Ammonites planorbis, Pecten va- loniensis, Cypricardia porrecta, etc. . Le lias inférieur, facile- ment reconnaissable à son calcaire pétri de gryphées arquées est exploité en un grand nombre de points, notamment à Ghâtillon d'Azergues et à Ville-sur- Jarnioux. Le liasien, constitué par des calcaires jaunâtres, marneux ou ferrugineux, dans ce dernier cas coloré en rouge, se trouve prin- cipalement à Saint-Julien, Frontenas et Theizé. Il contient comme fossiles des bélemnites, des Plicatula lœvigata, différentes varié- tés d'ammonites, etc. Le toarcien ou lias supérieur, peu important en Beaujolais, se rencontre surtout dans le massif du Bois-d'Oingt. Le bajocien, caractérisé surtout par le calcaire à entroques d'une puissance d'environ cinquante mètres, est activement ex- ploité à Jarnioux, Ville- sur- Jarnioux, Bagnols et Pommiers. Parmi les nombreux fossiles de cet étage, citons V Ammonites humfriesianuSy Y Ammonites g ar antianus, diverses variétés de lima et de pecten et principalement les nombreux fragments de la tige des crinotdes connus sous le nom â* entroques. L'étage bathonien ou grande colitbe est surtout développé dans les environs d'Anse, à Pommiers, Lucenay et Morancé. La belle pierre blanche, connue sous le nom de pierre de Lucenay , pro- vient de carrières ouvertes dans le bathonien. L'oxfordien s'observe au du Beaujolais entre Lancié et Corcelles ; il manque complètement dans le massif du Bois- d'Oingt. On y trouve la Pholadomya Murchisoni. Le kimméridgien affleure près de Charentay, dans les collines LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 13 de Monternot et de l'Héronde ; cm y rencontre, comme fossiles les plus caractéristiques, diverses variétés d'ammonites et YOstrea virgula • L'absence des terrains jurassiques supérieurs, le corallien et le portlandien, est attribuée par les géologues à des phénomènes de dénudation, dus à diverses causes, qui auraient modifié ces terrains postérieurement à leur formation. Durant le dépôt des terrains crétacés, les monts du Beaujolais et du Lyonnais formaient le rivage occidental d'une mer dont le rivage oriental était constitué par les Alpes. Puis, vers le tertiaire» des mouvements orographiques constatés dans toute l'Europe , se produisirent. Les vallées de la Saône et du Rhône, à peine dessi- nées, se creusèrent ; les monts du Beaujolais et du Lyonnais pri- rent peu à peu leur relief actuel. C'est alors qu'eurent lieu ces phénomènes de dénudation et d'ablation qui ne permettent pas de fixer dans nos régions les limites exactes des anciennes mers. Le terrain éocène de môme que le crétacé font défaut dans le Beaujolais. Un conglomérat calcaire ferrugineux rapporté autrefois à l'éo- cène, et classé par M. Delafond dans le miocène, forme deux dépôts, l'un à Gharentay et l'autre à la Ghassagne. M. Ebray au- rait trouvé dans ce dernier la Limnœa longiscata. Dans la partie inférieure de la vallée de la Saône, en Beaujolais et aux alentours de Lyon, les terrains tertiaires supérieurs et les terrains quaternaires se divisent en trois étages le préglaciaire, qui comprend le pliocène et peut-être une partie du quaternaire ancien ; le glaciaire ', qui comprend le quaternaire moyen, et enfin le post-glaciaire, constitué par le quaternaire supérieur et les formations modernes. MM. Faisan et Chantre, dans leur magnifique Monographie des anciens glaciers du bassin du Rhône, attribuent les alluvions préglaciaires des Dombes et du Lyonnais aux torrents qui s'échap- paient des glaciers des Alpes pendant leur période de progression. Ces alluvions formées en majeure partie de terrains alpins, cailloux et graviers, se sont élevées, près de Lyon, à la cote de 320 mètres environ et ont barré la Saône à l'issue de la vallée. 14 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON La faune du pliocène supérieur, connue par les dépôts interca lés dans les collines anciennes Villevert, Port Maçon, la grotte de Poleymieux, des fentes de rochers Chagny, Chaintré, mont de Narcel, est composée d'animaux exigeant un climat très tempéré. On y rencontre en effet, d'après MM. Faisan et Chantre 1 , les espèces suivantes Elephas meridionalis Elephas antiquus. Hippopotamus major. Rhinocéros megarhinus, Bos longifrons. Tapir us... Sus... Antilope... Machaïrodus. Testudo. F élis. Hysena antiqua. Ursus arvernensis* Equus. Lepus. Les terrains glaciaires proprement dits, k blocs erratiques et cailloux striés, recouvrirent les alluvions préglaciaires. Les grands glaciers des Alpes, à leur maximum de développement, poussèrent leur moraine frontale jusqu'au massif du Mont d'Or. Les savants auteurs de la Monographie des glaciers du Rhône ont reconnu, d'une façon indéniable, la présence dans le Beaujolais de petits glaciers qui ont contribué avec les soulève- ments et les érosions à donner à la région son relief actuel. Des dépôts erratiques plaqués sur les flancs des collines granitiques s'observent en beaucoup d'endroits. La plupart des vallées, à leur débouché dans la plaine, présen- tent des moraines terminales qui s'étalent en croissant et dont les cordes sont sensiblement perpendiculaires à la direction des cours d'eau qui occupent le fond de ces vallées. De sorte que, si l'on représentait sur une carte la limite de ces terrains erratiques, on aurait, dans la partie orientale du Beaujolais, une série de courbes dont la convexité serait tournée vers le thalweg de la Saône. 1 Faisan et Chantre, Monographie des anciens glaciers et du terrain erratique delà partie moyenne du bassin du Rhône, 2 e volume, p. 59 et suivantes. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 15 Noas n'étudierons pas les causes encore mal connues de cet immense phénomène frigorifique, ce serait sortir de notre cadre, bornons-nous à en constater les effets dans la région. Tous les caractères des terrains erratiques se retrouvent à peu près dans les dépôts glaciaires du Beaujolais. Il en manque cepen- dant un très important, c'est celui des galets striés. L'absence de ce caractère provient uniquement de la nature des roches locales qui se composent de grès, de métaphyres ou tufs orthophyriques, de granits friables et de schistes métamorphiques dont les surfaces souvent kaolinisées, peu dures par conséquent, n'ont pas conservé les traces des stries. On sait du reste que l'absence des stries s'observe encore dans les éléments des moraines actuelles, lorsque les glaciers cheminent au milieu de roches de cristallisations grossières. La théorie des glaciers quaternaires beaujolais n'a pas été accep- tée sans difficultés. M. Tardy, l'un de ceux qui niaient l'extension glaciaire dans notre pays, avait cependant constaté la présence d'une moraine dans la vallée de la Grosne 4 et le manque de stries ne l'embarrassait plus lorsqu'il s'agissait des prétendus glaciers pliocènes des environs de Belley. En allant du nord au sud, les traces glaciaires s'observent d'a- bord dans la vallée de la Mauvaise. Des blocs d'arkose, signalés par l'abbé Ducrost, sont échelonnés tout le long de la vallée, d'Emeringes à Saint- Amour. Le plateau de Vavre est recouvert d'une argile compacte qui renferme des blocs de grès triasiques, des mélaphyres, des porphyres et des quartz amenés des sommets qui entourent le cirque de Vauxrenard. Les traces de la moraine frontale, dans laquelle la Mauvaise s'est creusée son lit actuel, sont parfaitement reconnaissables le long de la route de Pontanevaux à Jullié, dans la propriété Sangoir et dans les talus de la nouvelle route qui aboutit au bourg de Juliénas. Dans la même commune de Juliénas, au bois de la Salle, à l'ait i- 1 Revue du Lyonnais 1879. 16 société d'anthropologie de lton tude de 250 mètres environ, se rencontre une couche de lehm renfermant des blocs d'arkose de 30 à 40 centimètres en tous sens et quelques blocs de quartzite blanc. Ces derniers proviennent sans doute du mont Roimont 543 m . De la Chapelle- de-Guinchay au bas des Thorins, le terrain composé de cailloux roulés a beaucoup de ressemblance avec les alluvions bressanes. Des blocs d'arkose sont également desséminés dans les communes de Chénas, Fleurie, Lancié, Gorcelles et Viliié qui s'étagent à mi-côte de la chaîne beaujolaise; mais nulle part les traces glaciaires ne présentent des caractères aussi indéniables que dans la vallée del'Ardière. Cette vallée a son origine dans un hémicycle de montagnes d'au moins 7 kilomètres de diamètre dont la partie la plus haute est formée par le versant oriental du massif du Saint-Rigaud. Gomme toutes les vallées beaujolaises, à l'exception de celle de l'Azergues, la vallée de l'Ardière est peu étendue et les moraines terminales devaient se trouver près des névés. Plusieurs dépôts transversaux à éléments erratiques parfaitement caractérisés barrent cette vallée, et c'est leur présence qui a servi à MM. Faisan et Chantre de point de départ à leur étude des phénomènes glaciaires dans le Lyonnais et le Beaujolais. La colline de Durette est recouverte d'une couche d f alluvions d'une grande puissance enfermant dans sa masse des granités, des porphyres et des grès bigarrés arrachés à la montagne d'Ave nas 850 m et qui mesurent quelquefois près de 2 mètres cubes. Le môme dépôt se retrouve au-dessous de Saint-Joseph jusque vers le château de Pizay ?36 m , il forme une grande terrasse inclinée vers le dominant la rive gauche de l'Ardière. Certains géologues, MM. Delafond et Depéret entre autres, ne voient dans les formations rapportées au terrain glaciaire que des alluvions déposées par des torrents descendant des montagnes. Les blocs volumineux proviendraient d'éboulements et auraient en outre subi un charriage l . Nous voilà ramenés aux phénomènes diluviens des anciens géologues... 1 Delafond et Depéret, les Terrains tertiaires de la Bresse, p. 211. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 17 Les auteurs de la Monographie des anciens glaciers du Rhône ont d'ailleurs combattu les théories de ce genre dans un passage qu'on nous permettra de citer en entier Si l'on n'admet pas la théorie du transport par les glaciers pour expliquer la formation et le dépôt avec gros blocs et sans triage de quelques terrains qui tapissent les pentes de plusieurs vallées du Beaujolais, entre autres celle de l'Ardière, on se trouve en face de difficultés insurmontables. Il faut alors avoir recours à de grands courants diluviens capa- bles de transporter sur la crête de la colline de Durette des blocs de grés deux fois métriques; mais puisque cette vallée vient aboutir au-dessus des Ardillats, au point de partage des vallées divergentes de l'Azergues et de la Grosne et de celle des affluents de la Loire, il devient impossible d'indiquer sur un sommet étroit et isolé, les sources de ces immenses nappes d'eaux courantes qui devaient se diffuser de toutes parts et néanmoins avoir la puissance de transporter de gros quartiers de roches à de grandes hauteurs. Au contraire, avec la théorie glaciaire, tout s'explique facilement par l'accumulation séculaire des névés et la progression lente de la glace. Les blocs de grès de la colline de Durette sont assez volumi- neux ; ils mesurent souvent 1 mètre de longueur sur 40-50 centi- mètres d'épaisseur, c'est à-dire que leurs dimensions sont en rapport avec la puissance des bancs de grès triasique qui recouvrent la mon- tagne d'Avenas et dont ils ont été forcément détachés. Or, du sommet de cette montagne jusqu'à la colline de Durette, il y a, en ligne directe, une sixaine de kilomètres et ces deux points sont séparés l'un de l'autre par de profondes vallées. Nous voulons bien admettre que ces vallées ont été creusées ou plutôt approfondies depuis le dépôt de ces blocs ce qui ne peut être vrai que dans cer- taines limites très restreintes; mais, tout en faisant cette conces- sion, nous ne pouvons supposer que cette accumulation de blocs ne soit que le résultat d'un simple éboulement, comme plusieurs géo- logues ont essayé de le dire. En effet, la montagne d'Avenas s'élève d'une manière assez abrupte au-dessus de Beau jeu, et la face de cette partie escarpée regarde le sud. Donc, si le couronnement 1S SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON de cette montagne qui s'élève approximativement à 600 mètres au-dessus de la vallée, s'était éboulé, les débris ne pouvaient faire autrement que rouler directement au pied de cette pente et s'arrêtera Beaujeu, au lieu dérouler jusqu'à 6 kilomètres plus à Test, pour se déposer en amas sur la colline de Durette. Dans ce cas, il y aurait des masses de blocs sur le trajet parcouru ; il y en aurait surtout au pied de la montagne d' Avenas et sur ses flancs. Précisément ils y sont très rares. L'hypothèse d'un transport par suite d'un éboulement considérable est donc inadmissible pour expliquer la disposition des blocs de grès de la colline de Durette, et comme la théorie diluvienne est tout aussi impuissante pour résoudre ce problème, comme nous venons de le dire, il faut donc recourir à l'intervention d'un ancien glacier qui aurait autrefois rempli tout le cirque ainsi que toute la vallée de Beaujeu, et qui aurait déposé pendant un temps d'arrêt les blocs de Durette pour en faire une vaste moraine frontale, transversale à la vallée. De cette manière, toute difficulté disparait et l'accumulation des blocs de Durette n'est plus qu'une simple moraine, comme nous en avons tant vu en étudiant les glaciers alpins. Les galets de cette moraine sont-ils striés ou ne le sont-ils pas ? Peu importe â . » Nos conclusions sont les mômes, mais nous n'aurions su aussi bien dire. Les traces d'un glacier secondaire qui avait son origine au Soubran 898 m et venait se rejoindre à celui de l'Ardière, vers les Samsons, se reconnaît dans la vallée de Marcbampt. Le terrain erratique amené par ce glacier ne contient pas de gros blocs, on y trouve des fragments de schistes et des quartiers de quartz prove- nant des filons qui découpent le granit ; il est surtout visible au- dessous du bourg de Quincié, aux alentours du vieux château de la Palud. La partie haute de la vallée de la Yauxonne est formée par le magnifique cirque de Vaux entouré par les montagnes delà Sablière 732^ ; le télégraphe de Marchampt 700 m ; la Pyramide 883» ; l'Auguel 890* et le crêt des Fées 734 m . 1 Faisan et Chantre, loc. cit., p. 387. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 19 Ce glacier, dont le développement ne devait guère excéder une douzaine de kilomètres, n'a pas laissa de traces aussi bien caracté- risées que celui de l'Ardière. Cependant, l'exploitation d'une gra- viere au sud de Blacé, près de l'endroit où s'élevait jadis l'ancien prieuré de Qrammont, a donné une excellente coupe qui a permis de constater le mélange d'allnvions locales et d'alluvions des Alpes. Ce mélange a été constaté non seulement dans tes couches paral- lèles, inclinées de 45 degrés qui paraissent s'enfoncer sous les monts du Beaujolais, mais encore dans les couches horizontales qui Fio. 1. — Coupe de fa sablière de Grammont Blacé, Elirait de la Monographie des anciens rtlaeiers,etc.,du bassin du Rhône, par Faisan et Chantre. les surmontent fig\ 1. Par suite, la terrasse élevée de 270 mètres en moyenne, qui s'éleveà l'ouest de Villefranche et qui correspond comme altitude au rebord du plateau bressan, situé en face, de l'autre côté de la Saône, parait avoir été constituée par des allu- vions qui se seraient déposées dans les eaux d'un grand lac. Une moraine â éléments discontinus s'étend cependant en arc de cercle de Chsrentay à Marsangues. Des blocs de grès ayant parfois plus de i m ô0 de longueur sont échelonnés sur la colline de G a ranch es, notamment le long du chemin de Chênes et dans le voisinage de l'antique chapelle de Saint- Pierre, construite en partie avec leurs débris. Les traces de cette moraine se reconnaissent encore autour du château de Longsard, où l'on peut voir, dans la cour d'une 20 société d'anthropologie de ferme, un magnifique bloc erratique de grès triasique de 1 m. e, 600 environ fig. 2. Ces blocs étaient jadis fort nombreux anr les territoires des ommunes d'Odenas, Gbarenlaj et Saint-Etienne-des-Oullières ; mais comme ils sont dans une région où les vignobles ont une grande valeur, les vignerons en débarrassent le sol, soit en les brisant, Fia. 2. — Bloc erratique de Longeant Amas. Extrait de la Monographie des anciens glaciers,etc, du bassin du Rhâm par Faisan et Chantre. soit — le cas le plus habituel — en les enterrant. Ils deviennent doncplusrares de jour en jour; ceux qui sont utilisés comme chasse- roues ou comme bornes sont senls assurés d'une plus longue durée La vallée de l'Azergues, la plus longue du Beaujolais, possédait aussi le glacier le plus long. Sa plus grande dimension, au moment de son maximum d'extension, ne devait pas être inférieure à 30 kilomètres, alors que le plus allongé de la chaîne des Alpes, celui d'Aletsch n'en mesure que 25. On peut juger de l'ampleur qu'ont atteint les phénomènes glaciaires dans le Beaujolais par cette simple comparaison. Dana la partie supérieure de la vallée, de hautes montagnes, comme le Monet iOOO-, la Roche-d'Ajoux 973 m , le Tourvéon 953 m , formaient par les névés de leurs flancs le plus important contingent du glacier de l'Azergues. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 21 La plus grande moraine de ce glacier se reconnaît au-dessous du Bois-d'Oingt à la hauteur de Bagnols. Les dépôts erratiques forment en cet endroit, entre les deux massifs jurassiques du Bois- d'Oingt et de Gharnay, un plateau incliné vers le sud et qui ren- ferme en abondance des roches de cristallisation et métamorphiques du Beaujolais, des charveyrons, des calcaires jaunes et quelques grès triasiques descendus des hauteurs situées au nord d'Oingt. A Bagnols, les dépôts morainiques atteignent près de la chapelle de Saint-Roch la cote de 310 mètres, sensiblement la môme que celle des alluvions de Vancia, de Sainte-Foy et Ghaponost près Lyon. Il est donc plausible de supposer que, primitivement, les allu- vions de l'Azergues et de ses affluents, la Brevenne et la Turdine, correspondaient à peu près au niveau du plateau des Dombes et des environs de Lyon. Plus tard, la Saône et l'Azergues ont creusé leurs lits et déblayé l'espace compris entre le Mont-d'Or et la chaîne de Gharnay. On retrouve les traces de ces alluvions autou r des hauteurs qui dominent Anse à l'ouest, principalement à Ghar- nay, Morancé et Lucenay. M. E. Pélagaud qui a étudié le terrain erratique du bassin de l'Azergues, signale un glacier dans la vallée de la Turdine, mais comme ce dernier est en grande partie dans le Lyonnais, mention- nons seulement son existence. Si, du bassin du Rhône, nous passons au bassin de la Loire, nous trouvons, ici comme là, les mômes preuves de l'extension glaciaire. Le terrain erratique du Roannais étudié par divers géo- logues, notamment parle D r Noélas â , est facilement reconnaissable dans les coupes des chemins creux qui vont de village en village, traversent les moraines et font voir des amas de fragments de toutes les roches de la montagne granits, roches métamorphiques, schistes, quartz, etc. Le lehm est la formation qui succède au terrain erratique des environs de Lyon. Il est formé, vraisemblablement de la lévigation des moraines par les eaux pluviales ou des torrents de fonte des anciens glaciers. 1 D r Noélas, Etudes sur les âges préhistoriques dans le Roannais. Soc. anth. — Beauj. préhist. 2 22 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON La fauoe du lehm, assez riche, comprend d'après MM. Lortet et Chantre â les espèces suivantes Homo. Canis lupus. Ursus spel&us. — arctos. Elephas primigenius. — antiquus. — inter médius. Rhinocéros tichorhinus. — JourdanL Equus caballus. Sus scrofa. Bos primigenius. Bison pris eus. Megaceros hibernicus. Cervus elaphus. — tarandus. — capraleolus. Arctomys primigenia. Soreœ... Le lehm s'est principalement déposé dans la vallée de la Saône où il est facile à étudier dans les berges de la rivière ; il est sur- monté par les alluvions modernes peu importantes eu égard k l'immense laps de temps qui s'est écoulé depuis la disparition des glaciers. HYDROGRAPHIE Le Beaujolais est bordé à l'est, sur une longueur de 35 kilo- mètres, par la Saône qui le sépare delà Bresse et des Dombes. Le nom de cette rivière a singulièrement exercé la sagacité des étymologistes. Dans le Livre des Fleuves, faussement attribué à Plutarque, il est dit que l'ancien nom du cours d'eau est Brigulus, et que la rivière aurait perdu son nom primitif pour rappeler un trait héroïque de l'amour fraternel. Arar, dit l'auteur, étant allé chasser dans une forêt des bords de la Saône, y fit la rencontre cruelle de son frère Geltiber dévoré par les botes sauvages ; ne pouvant supporter un si douloureux spectacle, il se frappa à mort sur les bords du fleuve et tomba précipité dans ses eaux qui, de ce moment, portent le nom d'Arar. » 1 Archives du Muséum de Lyon, t. I, p. 76, 4 I LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 23 Cette explication ingénieuse ne s'appuie d'aucune preuve et dénote seulement une imagination fertile chez son inventeur. Les anciens donnaient effectivement à cette rivière le nom d'Arar, dérivé du mot celtique arat, d'où est venu le latin ara- trum, charrue; la Saône va, en effet, lentement comme une charrue. Au moyen âge, elle porta les noms de Saucona ou de Sagona qui, d'après certains auteurs, voudrait dire la Sanglante », ses eaux, d'après une tradition, ayant été teintes du sang des chré- tiens massacrés en l'an 202, sous Septime Sévère. Il est plus pro- bable que le nom Saône dérive de la racine sanscrite suna, qui signifie rivière. Cette large et belle rivière, née d'une fontaine des monts Fau- cilles, dans le département des Vosges, à la faible altitude de 396 mètres, se dirige vers le traverse les départements de la Haute- Saône, de la Gôte-d'Or, de Saône-et-Loire, sépare ensuite sur une longueur de 42 kilomètres les départements de l'Ain et du Rhône, entre dans celui-ci en amont de Neuville et va se jeter dans le Rhône, à Lyon, après un parcours de 455 kilo- mètres. Lorsqu'elle touche le département du Rhône, la Saône a déjà toute sa grandeur, sa largeur est alors de 150 à 250 mètres environ. Elle roule 60 mètres cubes d'eau par seconde à l'étiage, 4000 en grandes crues et 250 en eaux moyennes, soit un peu plus du tiers du volume moyen du Rhône, qu'on estime à 950 mètres cubes par seconde. Son cours est proverbialement lent née à une altitude de 396 mètres, son confluent est à 159™,50, d'où une pente totale de 236 m ,50 seulement, ce qui équivaut à 519 millimètres en moyenne par kilomètre. Mais, comme tous les cours d'eau, la Saône est loin de présenter cette régularité. Assez rapide près de sa source, sa pente moyenne, de Port-sur-Saône à Gray, n'est déjà plus que de 26 centimètres par kilomètre; de Gray à Verdun, elle est de 14 centimètres seulement; à partir de ce point jusqu'à Saint-Ber- nard, la Saône a son minimum de vitesse, 4 centimètres par kilo- mètre; de Trévoux à Lyon, le courant s'accélère et acquiert une vitesse de 21 centimètres par kilomètre. 24 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON Les matériaux charriés provenant des Vosges sont surtout sili- ceux, les éléments calcaires font seulement leur apparition à partir du confluent du Doubs. Lorsqu'elle touche le Beaujolais, en amont de Dracé, la Saône arrose une vallée large, riche et très peuplée, de Villefranche à Anse, c'est la plus belle lieue de France », dit un proverbe du pays. Les villes et les villages n'ont pas été élevés immédiatement sur ses bords afin de les préserver des inondations. Belle ville est à 1 kilomètre, Saint-Georges à 1800 mètres, Villefranche à 2 kilo- mètres, Anse à 1 kilomètre. Puis la vallée se resserre, les vil- lages, les usines, les châteaux, les villas se multiplient et forment, à partir de Saint-Germain-au-Mont-d'Or, une succession de tableaux dont rien n'égale l'aspect riant et enchanteur. En raison de sa situation sur la ligne de partage des eaux, le Beaujolais appartient pour les trois quarts au versant de la Méditerranée et pour un quart seulement au versant de l'Océan Atlantique. En d'autres termes ses rivières vont se jeter soit dans la Saône, soit dans la Loire. Les cours d'eau qui prennent leur source dans les monts du Beaujolais sont nombreux mais peu importants. Le plus considé- rable est la Grande Grosne, qui n'a dans notre province qu'une partie du cours supérieur des deux principaux ruisseaux qui la forment la Grosne occidentale, née au pied du Saint-Rigaud, et la Grosne orientale , qui prend sa source dans le massif d'Avenas. Les deux Grosnes se réunissent à Pontcharas, dans le départe- ment de Saône-et-Loire; la rivière qu'elles forment se dirige vers le dans une direction parallèle à la Saône, mais en sens inverse, oblique à l'est à la hauteur de Saint-Gengoux-le-National et va se jeter dans cette rivière à Port-sur-Grosne, entre Ghalon et Tournus, après un parcours de 90 kilomètres. La Grande Grosne arrose la ville de Gluny, célèbre par son antique abbaye de bénédictins. La Petite Grosne 30 km., comme la Grande Grosne, n'a dans le Beaujolais qu'une partie de son cours. Elle descend des mon- tagnes de Genves, entre en Maçonnais au village de Serrières, LK BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 25 contourne le célèbre promontoire de Solutré et gagne la Saône en aval de Mâcon. La Mauvaise, née dans le cirque de Vauxrenard, a la moitié supérieure de son cours de 18 kilomètres dans le Beaujolais et la moitié inférieure dans le Maçonnais. Elle longe au-dessous d'Eme- ringes le plateau d'origine glaciaire de Vavre, ravine les alluvions morainiques, puis fluyiatiles, passe au sud de Juliénas et se jette dans la Saône en amont de Saint -Romain-des -Iles. Elle reçoit sur sa rive gauche le ruisseau de Ghangis, issu de la Font-Martin, et le ruisseau de Jullié, qui naît de la fontaine de Roland. L'Ouby 18 km. prend sa source sur le territoire de la com- mune de Ghiroubles, passe près de Lancié et de Dracé et va se jeter dans la Saône en face de Thoissey, non loin des limites du Rhône et de Saône-et Loire. L'Ardière, dont la longueur est de 30 kilomètres, natt sur le versant méridional du massif de Saint- Rigaud. Elle arrose le val- lon étroit où la ville de Beaujeu a construit sa longue rue de 2 ki- lomètres sous la protection du vieux château baronnial de Pierre- Aigué, puis longe la colline de Durette couverte d'alluvions erra- tiques, passe à Gercié, à Saint-Jean- d'Ardière et rejoint la Saône entre Belleville et Taponas. La Vauxonne 20 km. se forme sur les flancs de l'Auguel 890 m passe au-dessous de Vaux, du Perréon et de Saint- Etienne-des- Oullières, arrose Saint-Georges-de-Reneins et confond son em- bouchure avec le Sancillon qui vient des bois de la Chaise, com- mune d'Odenas, coule au pied de Brouilly et passe à Gharentay. Le Marverand 17 km., issu du mont Saint-Bonnet, passe à Saint-Julien, Amas, à l'Ave-Maria où elle traverse le théâtre du combat livré le 8 avril 1814 par les troupes d'Augereau à l'armée autrichienne et va se jeter dans la Saône en aval de Boitrait. Le Nizerand 18 km. se forme dans le massif du Ghatoux, passe à Ri volet, Denicé, Ouilly, et rejoint la Saône en face de Fareins. Le Morgon, qui descend des hauteurs de Ville-sur-Jarnioux, n'a guère qu'une quinzaine de kilomètres de cours ; il arrose Jarnioux, Lier gués, Ghervinges, traverse Villefranche sous des 26 SOCIÉTÉ D* ANTHROPOLOGIE DE LYON voûtes, prête ses eaux à de nombreuses usines et se jette dans la Saône au port de Frans. L'Azergues, la principale rivière du Beaujolais 65 km., prend sa source sur le fleuve méridional de la Roche d* A joui, arrose une longue, étroite et pittoresque vallée, passe à Lamure, Al li ères, Chamelet, Ternant, le Breuil, Chessy, Ghâtillon-d'Azergues, reçoit sur sa rive droite, au Pont-Tarret, le Soannan, issu des montagnes sauvages de Saint-Appolinaire, puis au pont de Do- rieux, la Brevenne, rivière du Lyonnais, grossie elle-même à PArbresle de la Turdine qui vient du massif de Tarare. A partir de Lozanne, l'Azergues, dont le cours avait été sensiblement du au décrit une courbe vers le en contournant la chaîne jurassique de Charnay- Vil lefr anche et se jette dans la Saône en face de Saint-Bernard après avoir arrosé la ville d'Anse, cité et camp sous les Romains. La ville portait alors le nom à 9 A sa Paulini et le camp celui d'Antium. Les deux principaux cours d'eau issus des monts du Beaujolais et qui vont se jeter dans la Loire sont le Reins et le Sornin. Le Reins 55 km. jaillit des flancs du mont Pinay 796 m sur les limites des départements du Rhône et de la Loire, coule d'abord du nord au sud, arrose Saint- Vincent- de-Rein s, Gublize, passe près d'Amplepuis, puis tourne à l'ouest, reçoit sur sa rive droite la Trambouze dont la source est voisine de la sienne, entre dans le Roannais et s'unit à la Loire en aval de Roanne, non loin de Perreux. Le Sornin, qui sort d'une fontaine située sur le versant septen- trional de la Roche d'Ajoux, n'a qu'une faible partie de son cours en Beaujolais. Après avoir parcouru les territoires de Propières, Saint-Igny-de-Vers et Aigueperse, il entre dans le Gharolais, passe à la Clayette et pénètre dans le Roannais pour aller se jeter dans la Loire près de Pouilly-sur-Charlieu, après un parcours d'environ 54 kilomètres. Ses principaux affluents sont sur la rive droite, le Rû de Bezo et, sur sa rive gauche, le Botoret qui prend sa source en Beaujolais, au mont Corcelette 702 m . CHAPITRE PREMIER PÉRIODE PALÉOLITHIQUE I ÉPOQUE CHELLÉENNE Quatre localités nous ont fourni des instruments amygdaloîdes taillés sur les deux faces, du type dit de Ghelles, instruments qua- lifiés du nom de coup de poing par M. de Mortillet. Ces localités sont Néty, communes de Saint-Etienne-des-Oullières et Charentay, Co réelles, Odenas et Anse. 1° Station de Néty. — La colline de Néty fait partie de cette longue suite d'ondulations parallèles à la Saône qui portent les riches vignobles du Maçonnais et du Beaujolais. L'ossature de la colline est formée de schistes granulitiques recouverts en partie d'alluvions erratiques amenées par le glacier de la Vauxonne. Le bourg primitif de Saint-Etienne-la- Varenne occupait jadis le sommet de la colline de Néty, lorsque vers le xvi e siècle ses habi- tants allèrent s'établir sur la montagne de Ghambost plus abrupte et par conséquent plus facile à défendre. Ils y avaient été précédés par les Romains dont on a retrouvé quelques tombes il y a une cinquantaine d'années sous la place publique. Divers indices nous permettent môme de supposer que la montagne de Ghambost était primitivement occupée par un camp retranché remontant à l'époque de la pierre polie. io SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LTON Néty possédait jadis un prieuré qui dépendait des chanoines réguliers de Saint-Irénée de Lyon, et appartenait par conséquent a l'ordre des Génovéfains. Brûlé eu 1793, le prieuré a été remplacé FlO 3. — Néty Saint-EtienDe-doi-Oulliéreii 2/3 Or. ont. par nu château moderne d'où l'on jouit d'une vue admirable sur la vallée de la Saône. AU base orientale de cette colline, sur le front, mais en dehors des dépols glaciaires, à 200 mètres environ de la rive droite du ruisseau de Nerval, nous avons reconnu une station paléolithique Beaujolais phéhistobique >. Corcelles Rliôce. Grandeur nalurelle. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 29 renfermant les industries des époques dites de Ghelles et du Moustier, l'une chaude et l'antre froide. Le chelléen est représenté par les pièces suivantes en silex 1° Instrument amjgdaloïde taillé à grands et à petits éclats sur les deux faces et le pourtour. Une face est en dos d'âne, l'autre est relativement plate, excepté à partir du tiers inférieur qui ert renflé ; cet instrument est empâté, en partie, dans une gangue très dure de poudingue siliceux, il est patiné en jaune brun et légèrement arqué dans le sens du grand axe. Les dimensions sont les suivantes longueur 158 millimètres, largeur 90 millimètres, plus grande épaisseur 52 millimètres, poids 570 grammes fig. 3. 2° Hache amjgdaloïde de petite dimension, taillée sur les deux faces, silex de même nature et môme patine que la pièce précé- dente; instrument légèrement épointé. Longueur 88 millimètres, largeur 53 millimètres, épaisseur 16 millimètres, poids 115 gram- mes; 3° Instrument amjgdaloïde, base brute avec plan oblique et une partie de la croûte du rognon siliceux, cassure ancienne sur l'un des côtés, patine blanc grisâtre. Longueur 126 millimètres, largeur 90 millimètres, épaisseur 28 millimètres, poids 350 gram- mes; 4° Instrument chelléen allongé, à base globuleuse, légèrement légèrement épointé, longueur 101 millimètres, largeur â la base 56 millimètres, épaisseur 22 millimètres. 5° La pointe d'une hache amjgdaloïde brisée anciennement, la cassure ajant à peu près la même patine que les faces taillées. Divers silex grossièrement dégrossis avec plan de frappe et conchoïde nettement caractérisés, même patine et mêmes incrus- tations que la première hache décrite pourraient être sjnchroni- ques. 2° Station de Cor celles. — Cette station est située sur une terrasse formée par des alluvions anciennes, à 2 kilomètres au du bourg de Corcelies et à pareille distance du hameau de Pizaj. 30 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Cette station est des plus complexes. Nous y avons rencontré à la fois du paléolithique et du néolithique, des instruments du type de Chelles, d'autres du type du Moustier, puis des pointes de flèches à barbelures, des haches polies, des quantités considérables de poteries de l'âge du fer, enfin des restes de l'époque romaine tuiles à rebords, débris d'amphores et de vases samiens, meules en grès et en lave, etc. Le tout côte à côte, ramené pôle-môle à la surface du sol par les travaux de culture. Il y a quelque vingt ans les détracteurs du préhistorique auraient été fort heureux de constater ces mélanges d'époques diverses; les silex auraient été romains et les coups de poing fabriqués par les même* mains qui façonnaient les poteries à vernis rouge dites de Samoa, C'est la théorie que nous exposait jadis un géologue de nos voisins, lequel n'ayant jamais rencontré d'instrument préhis- torique dans le Beaujolais prétendait que nos racloirs du type de Moustier étaient l'œuvre des Gaulois et que les poteries à dessins caractéristiques de l'époque du bronze, recueillies dans les berges delà Saône, se fabriquaient encore dans le département delà Loire. Les pièces du type de Chelles trouvées à Corcelles sont au nom- bre de quatre. Deux haches amygdaloîdes en silex, l'une de 105 millimètres patinée en gris bleu ; l'autre, plus grande, mesurant 152 millimè- tres de long, patinée en blanc. Cette dernière, de forme ovalaire, se rapproche du type dit de Saint-Acheul. Deux autres haches préparées pour la taille ont été également trouvées dans ce gisement. La pointe de l'une est très finement retouchée tandis que la base est restée brute. Dans cette station, comme dans celle de Néty, nous n'avons pas encore recueilli la faune correspondant à la technique industrielle. Hache chellèenne d'Odenas. — Le premier instrument amyg- daloïde trouvé en Beaujolais a été recueilli à la Grange- aux-Lions, commune d'Odenas. Cette pièce en silex, taillée des deux côtés, a Tune de ses faces plus bombée que l'autre. La base est presque rectiligne, la forme générale rappelle celle des haches de la station de la Micoque LE BBAUJ0LA1S PRRH16T0R1QCE 31 Charente décrites par M. G. Chauvet'. Ses dimensions sont longueur 74 millimètres, largeur 51 millimètres, poids 64 gram- mes. L'altitude de la Grange-aui Lions eBt de 3 30 mètres ; c'es jusqu'à ce jour, la plus grande hauteur à laquelle nous ayons trouvé le coup de poing cbelléen flg. 4 et 4 bis. Fia. i. — La Grange-sui-Lions Fin. !. Profil de la pièce Odepae.2/3 0r. tint. précédente. 2/3 Or. nul. Sache chelléenne d'Anse. — A peu de distance de la gare qui dessert la petite ville d'Anse, bien déchue de sou antique splen- deur, nouB avens recueilli un superbe instrument du type de Ghelles. L'intérêt de cette trouvaille réside principalement dans ce fait que tout près de là, lors des travaux de construction du chemin de fer de Paris à Lyon, les ouvriers ont exhumé un squelette A'Ele- phas. Or, comme chacun sait, il y a synchronisme entre l'époque où l'homme primitif taillait l'amande de Ghelles et celle où l'élé- phant vivait dans les vallées de nos cours d'eau. 1 G. Chauvet, Stations humaines quaternaires de la Charente. 32 SOCIBTB D'ANTHROPOLOGIE DB LYON La hache d'Anse mesure 52 millimètres sur 42 millimètres et pèse seulement 39 grammes. C'est donc un des plus petits échan- tillons qui existent. M. de Mortillet cite comme pièce remarqua- blement exiguë une hache des environs d'Àbbeville appartenant au musée de Saint-Germain qui mesure 64 millimètres de lon- gueur et pèse absolument le même poids que celle d'Anse, soit 30 grammes. Une vingtaine de silex taillés, sans formes bien typiques, ont été trouvés dans l'area de la pièce chelléenne. II ÉPOQUE HOTJSTÉRIENNE Les instruments dits mous té ri en a se sont rencontrés dans une vingtaine de localités. Cinq de ces gisements, par leur abondance A eu > ^•' ri ^' v, -*"^-""^' ,,, . , ^; s. Fia. 5. — Coupe dea graviêree de Villefranche. A. Terre végétale fortement sableuse avec humus ; B. Lehm renfermant quelque! rare* débris de mammifères et ses mollusques habituels ; C. Sable fin jaunâtre; I. Sable coloré en noir par des sels de manganèse ; E. Sable jaunitre conservant la trace des remous du cours d'eau; F. Sable noirâtre identique à la couche D. ; 0. Sable fin ; H. Gravier fossilifère. sur an espace restreint, méritent seuls le nom de station. Ce sont celles de Villefranche, Odenas, Corcelles, 01111; et Alix. 34 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Le gisement paléontologique et archéologique de Viliefranche- sur-Saône a été mis à découvert par l'exploitation de sablières ou- vertes dans les premières ondulations parallèles à la Saône, à 800 mètres environ de la rive droite de ce cours d'eau, en face le village de Beauregard, au lieu dit le Garret. Ces ondulations font partie d'une terrasse dont on retrouve les traces discontinues depuis Gray jusqu'à Anse. Dans le Rhône, ce relief apparaît principalement autour de la chapelle de Saint-Pan- crace, commune de Dracé ; à Belleville, vers la ferme de l'Abbaye;, à Boitrait, commune de Saint-Georges-de-Reneins ; à Villefranche, lieu des Garrets, et à Bourdelan, près d'Anse. Cette terrasse s'élève en moyenne à 20 mètres au-dessus du thalweg de la Saône avec des écarts maxima de 2 à 3 mètres au plus. Le sable de Villefranche est utilisé pour les constructions et par les viticulteurs pour chausser le pied des boutures dans les pépi- nières de plants greffés. Les graviers de la base du gisement ont peu de valeur commerciale, on s'en sert cependant comme maté- riaux d'empierrement ou pour la fabrication du béton. C'est à la base de la couche du sable fin, en contact avec les graviers, que gisent les fossiles et les silex taillés fig. 5. Nous y avons recueilli pour le Muséum de Lyon, depuis plu- sieurs années, environ quatre cents pièces fossiles appartenant aux espèces suivantes Elephas primiçenius Blum. — Nombreuses molaires. Cervus cadanensis Briss. — Fragments de mâchoires et divers os. Cervus elaphus L. — Dants, fragments de bois et os des membres. Cervus tarandus L. — Bois d'individus d'âge différent et os des membres.. Rhinocéros tichorhinus Fisch. — Une arrière-molaire supérieure droite. Bison priscus Boj. — Crâne, dents et os des membres nom- breux. Equus caballus L. — Mâchoires et nombreux os des membres. Castor fiber L, — Une molaire. Elephas meridionalis Nesti. — Une moitié de dent. Beaujolais rnÉitisTORiQUK Crâne do Bison prisais Hojanu&, Sablières de Ville franche Rhône. 1/11 grandeur naturelle. BRAl'JOLAIS PREHISTORIQUE Fia. 6. — Molaire d'Eléphas primigeniuë de Villefranche. 1/8 gr nal. ^e de Rhinoetrot tichorhin i Villefranche. 2/3 gr. mit. Rhinocéros Merehi Kaup. — Troisième arrière-molaire supérieure gauche. Vivipara Burgundina Tourn. — Plusieurs spécimens. Fia. 9. — Villefr»Dche. S/3 gr. n»t. Fio. 10. — Villefrauchs. 2/3 gr. ut. Fin. 11.— Villefranche. 8/3 gr. nat. Vivipara, espèce nouvelle. et le Rh. Merehi ont été déterminés par M. le professeur A. Oaudrr, les Paludinet par M. A. Locard. On volt que la faune n'est pas homogène; on y trouve des LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 37 espèces comme Y EL meridionalis et le Rh. Mercki qui caracté- risent le pliocène supérieur, et avaient besoin d'une température chaude, associés avec Y El. primigenius, le Cervus tarandus et le Rhinocéros tichorhinus qui ne craignaient pas le froid fig. Ô, 7 et 8. Les silex sont taillés sur une seule face et comprennent généra- lement des racloirs et des pointes du type du Moustier. Le Muséum de Lyon en possède une cinquantaine de spécimens non roulés, où tous les caractères de la taille intentionnelle sont nette- ment indiqués. Ces silex sont lustrés, preuve qu'ils appartiennent à une formation fluviatile ûg. 9, 10 et 11. Les silex taillés proviennent de la couche fossilifère, comme nous l'avons dit plus haut et nous en avons extrait nous-mêmes plusieurs spécimens en contact immédiat avec les ossements. Si, laissant de côté pour l'instant les données contradictoires de la faune, on se contente de la technique industrielle, on rapportera ce gisement au quaternaire moyen. Telle n'a pas été l'opinion de M. le professeur Depéret. Le 8 août 1892, il fit à l'Académie des Sciences une communication sur le gisement de Villefranche qu'il synchronisa avec celui de Chelles et classa comme interglaciaire *. Dans le bel ouvrage les Terrains tertiaires de la Bresse^ écrit en collaboration avec M. Delafond, M. Depéret a donné une liste des espèces composant la faune de Villefranche qui diffère sensiblement, comme on le verra ci-dessous, de celles que nous avons indiquées ; Hyxna crocuta Ercl., race splxa Gold. Rh. Mercki Haup. Sus scrofa L. Equus caballus. Elephas cf. antiquus Falc. Bison bonasus L. , race priscus Boj. Cervus megaceros ? Hart. Cervus elaphus L. Bithynia tentaculata L. Valvata obtusa Studer 2 . 1 Depéret, Sur la découverte de silex taillés dans les alluvions qua- ternaires Rh. Merchi Comptes rendus 1892. * Delafond et Depéret, les Terrains tertiaires de la Bresse, p. 281-282, Soc. Anth. Beauj. préhist. 3 38 SOCIÉTÉ D* ANTHROPOLOGIE DE LYON Les animaux qui caractérisent la période de refroidissement YEl. primigenius, le Rh. tichorhinus et le Cervus tarandus ne figurent pas sur cette liste dressée d'après les collections de la Faculté des sciences de Lyon. Les auteurs des Terrains tertiaires de la Bresse exposèrent les raisons qui motivaient leur classement du gisement de Ville- franche comme interglaciaire dans le passage suivant que nous donnons in extenso. L'association des huit espèces qui forment la faune de mammi- fères des sables de Ville franche s'accorde pour faire considérer cette faune comme une faune quaternaire de climat tempéré ou chaud, ainsi que l'indiquent l'abondance des herbivores cerfs, bisons et l'absence des espèces de climat froid ou glaciaire, comme le renne, le rhinocéros à toison épaisse Rh. tichorhinus et le mammouth sibérien à longs poils EL. primigenius. La présence du Rh. Merchi y espèce à affinités pliocènes et celle moins certaine d'un éléphant du type antiquus sont importantes à faire ressortir, parce que ces deux espèces caractérisent partout en Europe la faune quaternaire chaude, dite chelléenne, que les obser- vations des géologues d'Allemagne et d'Angleterre s'accordent pour considérer comme ayant vécu entre deux périodes de grande extension des glaciers quaternaires et qui mérite par conséquent le nom d' interglaciaire. ce La stratigraphie n'accorde, du reste, avec ces conclusions paléontologiques pour attester la position interglaciaire des graviers de Villefranche. Ceux ci sont incontestablement postérieurs, par leur faible altitude au-dessus de la Saône, à la grande extension glaciaire dont les moraines frontales ont poussé leurs cônes de déjection sous formes de hautes terrasses de graviers qui s'élèvent à plus de 40 mètres au-dessus du thalweg actuel, dans les environs de Lyon. Nous avons, plus haut, admis que la terrasse de Ville- franche était à peu près contemporaine des basses terrasses de graviers 15-20 mètres édifiées par le Rhône à l'époque du grand recul des glaciers. D'autre part, nous verrons qu'on trouve dans la vallée de la Saône et, par conséquent, à un niveau bien inférieur à celui LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 39 de la terrasse de Villefranche, de nombreuses molaires à'EL primigenius du type sibérien, indiquant un retour du froid dans la région, après le dépôt des sables de Villefranche. Il nous parait probable que ee retour du froid correspond à une nouvelle période d'avancement des glaciers alpins, mais nous devons dire que nous ignorons encore jusqu'à quel point exact se sont avancées les moraines de cette deuxième phase de progression des glaciers quaternaires; du moins, il ne semble pas que ces glaciers aient atteint alors les limites de la région bressane *. » Nous pouvons, à l'aide des données précédentes, établir ci -des- sous la liste complète des espèces actuellement connues, composant la faune de Villefranche Eyeena crocuta . . . r r. Rh. tichorhinus . . . r r. Elephas meridionalis . r r. Elephas antiquus. . . r r. EL primigenius . . . c. Equus caballus . . . c c. r r. Bison priscus. . . . c c. Cervus megaceros ?. . r r. Cervus cadanensis . . c. Cervits elaphus . ..ce* Cervus tarandus. . . r. Castor fiber r r, Bithinia tentaculata . r. Valvata obtus a . . . r. Vivipara Burgundtna. r. Vivipara, espèce nouv. r r. L'importance des questions soulevées par l'étude de ce gisement provoqua, le 22 août 1894, une visite de la Société géologique de France. Le compte rendu de cette visite ne renferme aucune appré- ciation. A diverses reprises, des savants français et étrangers vinrent étudier la terrasse avec dépôt fossilifère de Villefranche, notam- ment MM. Hervé et de Mortillet. Ce dernier, dont l'autorité est grande en cette matière, emporta la conviction que le gisement était contemporain de Y EL primigenius et du renne et corres- pondait bien avec les données de l'industrie lithique du quaternaire moyen. Delafond et Depéret, loc. cit., p. 283 et 284. 40 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Des discussions eurent lieu à ce sujet à la Société d'Anthropo- logie de Paris séances des 17 janvier 1895 et 25 janvier 1896 entre M. de Mortillet, d'une part, et MM. d'Ault du Mesnil, d'Acy et Tardy, d'autre part, favorables aux déterminations de M. Depéret. Nous allons essayer de résumer cette dernière discussion, inté- ressante à double titre, par le sujet qu'elle comportait d'abord et ensuite par la compétence spéciale des orateurs qui y ont pris part. Au sujet de dents de rhinocéros provenant du quaternaire d'Abbeville présentées à la Société d'Anthropologie par M. d'Ault du Mesnil, M. de Mortillet fait remarquer qu'elles sont intermé- diaires comme grosseur aux deux séries de dents de rhinocéros recueillies à G h elles. Les petites, de couleur claire et terne, sont nombreuses; les grosses, relativement rares, sont plus foncées et plus brillantes. Les dents d'Abbeville , comme couleur, sont identiques aux petites de Ghelles; au contraire, les dents de rhino- céros de la terrasse de Villefranche- sur-Saône ressemblent éton- namment au gros type de Ghelles. Après une protestation de M. d'Acy, affirmant qu'il trouvait à Ghelles plus de grosses dents de rhinocéros que de petites, M. de Mortillet ajoute que, comme palethnologue, il mettait en première ligne les données industrielles pour les gisements à la fois paléon- tologiques et archéologiques. Or, à Ghelles, on n'a trouvé qu'un seul instrument caractéris- tique, taillé sur les deux faces, tandis qu'à Villefranche, les retou- ches affectent seulement un des côtés des silex taillés, en sorte qu'ils représentent les types du Moustier. Le synchronisme n'existe donc pas pour l'industrie entre ces deux gisements. M. de Mortillet montre ensuite que les données fournies par la géologie confirment les conclusions précédentes. Ghelles, sous le rapport strati graphique, représente le quaternaire ancien et Ville- franche le quaternaire moyen. Arrivant aux renseignements fournis par la paléontologie, M. de Mortillet déclare laisser de c6té les animaux fossiles qui ne sont pas caractéristiques, chevaux, bœufs, etc. Il insiste spécialement sur la présence des éléphants qui peuvent fournir des données inté- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 41 ressant la question. Ghelles a fourni en abondance Y EL antiquus, espèce propre au quaternaire inférieur, qui se trouve bien à sa place avec le coup de poing chelléen. La basse terrasse de Ville - franche a donné, au contraire, Y EL primigenius, comme on peut le voir par la collection rassemblée par les soins de M. Chantre au Muséum de Lyon. Au point de vue des éléphants, il n'y a donc pas similitude entre Ghelles et Villefranche. A Ghelles, en outre, le Rh. Mercki abonde; les dents se rap- portent à deux tjpes comme on l'a vu plus haut, types qui ont plus d'analogie avec les formes du pliocène supérieur, qu'avec celles du Rh. tichorhinus , le compagnon de Y EL primigenius du quaternaire moyen. » Pour le rhinocéros de Villefranche, M. de Mortillet s'est demandé, du reste comme M. Ghantre, si les dents qu'on y rencontre ne proviendraient pas par remaniement des sables pliocènes de l'horizon de Trévoux. M. d'Acy réplique qu'il ne voit pas pourquoi les ossements de rhinocéros qu'on a trouvés dans les alluvions de Villefranche ne seraient pas en place et il ne croit pas que ce soit des débris du R. leptorhinus pliocène, venus, par remaniement, des sables de Trévoux ». M. d'Acy rappelle que M. Depéret a fait remarquer à la Société de géologie de France que les assises fluviales sont sur- montées par une couche de lehm avec Rh. tichorhinus et Cervut tarandus ; les assises fluviatiles plus anciennes que le lehm représentent donc une faune chaude, interglaciaire, le lehm une faune plus froide, glaciaire par conséquent. Considérant ensuite l'ensemble de la faune telle qu'elle est donnée par M. Depéret, M. d'Acy dit que dans beaucoup de cas les espèces chaudes caractérisant le quaternaire inférieur ont été trouvées associées à des espèces franchement froides et cite à l'appui de sa thèse les couches inférieures de Ghelles, de Mon- treuil-le-bas, d'Abbeville, etc., et s'appuyant en dernier lieu sur la présence du Rh. Mercki, il conclut que les alluvions de la terrasse de Villefranche sont interglaciaire?. M de Mortillet réplique que la présence d'une double faune caractérisant deux époques différentes n'est rien moins que démontrée et que M. Depéret cède à son amour du synchronisme 42 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON lorsqu'il prétend assimiler le lehm de Villefranche avec celui de Saint- Germain-au-Mont-d'Or. De tout ce qui précède, il conclut 1° Qu'il n'y a pas synchronisme entre les sables et graviers de la terrasse de Villefranche, d'une part, et les assises à EL antiquus de Chelles, d'autre part ; 2° Que les sables et graviers de la terrasse de Villefranche sont de l'époque moustérienne ou quaternaire moyen; • 3° Que pour les deux solutions énoncées, les objets d'industrie jouent un rôle des plus réguliers et des plus importants. » Cette discussion que nous avons écourtée, mais qu'il faudrait rapporter en entier, montre la difficulté qu'on éprouve à classer à son rang le dépôt fossilifère des graviers de Villefranche. On nous permettra maintenant, en raison de notre longue pra- tique du gisement, de donner notre avis à ce sujet. Tout d'abord, le terme d'interglaciaire employé par M. Depéret nous parait impropre, en ce sens que jusqu'à présent il n'a pas été prouvé du tout qu'il y ait eu deux extensions glaciaires dans le bassin du les fois qu'il en a été question, une étude approfondie a montré que les prétendus terrains interglaciaires étaient le résultat d'une fausse interprétation stratigraphique. Ces dépôts, la plupart du temps, n'ont pu être attribués qu'à des remaniements provenant des variations séculaires des glaciers, variations qui s'observent encore actuellement dans les Alpes avec une amplitude bien inférieure — cela se conçoit — aux oscillations des énormes amas de glaces quaternaires. On nous permettra de citer un fait analogue à celui de Ville- franche, qui divise les géologues glaciairistes, au sujet d'une pré- tendue faune interglaciaire recueillie par M. Tardy, aux portes de Lyon, dans une tranchée du chemin de fer de Sathonay à Trévoux. a Au-dessus des alluvions régulières, disait-il, on voit des bancs de poudingues. C'est au milieu de ces bancs, dans une poche occupée par des alluvions meubles que l'on a trouvé, sur un lit sableux, une brèche osseuse renfermant, d'après M. Gaudry, des débris de cheval, de bœuf, de hyène et de petits rongeurs, ainsi LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 43 qu'une mâchoire d'un grand bovidé resté indéterminé par M, Gaudry *. » A la suite d'un examen superficiel du gisement, MM. Fontanes et Depéret se rangèrent à l'opinion de M. Tardy. Mais après quelques fouilles méthodiques, M. Chantre n'eut pas de peine à démontrer que la faune de Sathonay était composée d'ossements transportés dans une espèce de grotte par des carnassiers, et non par les eaux, et qu'il s'agissait d'un repaire d'hyènes, certaine- ment post-glaciaire. M. Chantre résuma ses conclusions dans une note lue à la séance de la Société d'Anthropologie de Lyon du 6 juin 1885. MM. Depé- ret et Fontanes présents à la séance se rendirent de bonne grâce à l'évidence. M. Depéret base, d'autre part, en grande partie sa théorie sur l'absence dans la faune de Villefranche des espèces de climat froid ou glaciaire, comme Y EL primigenius , le Rh. tichorhinus et le Cervus tarandus. Or, nous avons vu précédemment que YEL primigenius est représenté dans les collections du Muséum de Lyon par plusieurs molaires déterminées par M. A. Gaudry, le Rh. tichorhinus par une arrière-molaire supérieure droite et le Cervus tarandus, ou renne, par des bois de trois individus de tailles différentes. Sur ce point, il nous semble que la question de la faune est jugée. M. Gaillard a fait ressortir les différences d'aspect que présen- tent les fossiles de Villefranche ; les uns, en effet, d'une couleur foncée brun noirâtre, sont lourds et résistants; les autres, gri- sâtres, légers et très faibles. Les premiers appartiennent aux espèces les plus anciennes et sont souvent roulés, les autres repré- sentent les formes fossiles les plus récentes. Il y a donc eu certai- nement des apports provenant du ravinement d'alluvions anciennes situées en amont et il ne serait pas impossible, comme l'a fait remarquer M. Chantre, qu'ils proviennent du promontoir à Mas- todon arvernensis de Montmerle, à 10 kilomètres en amont. Bull. Soc. géol, 3 série, t. XII, p. 720. SOCIETE lt ANTHROPOLOGIE I Ce qui donne une certaine probabilité à cette supposition, c'est la présence à Villefranche des paludines et de YEl. meridionalis. F». 12. — Cj rie géologique des environ dressée par M. Mari us En blanc ; Limon des Dumbes rive gauche. f Alluvions pori-gtaciaires Caïlloulis et limons anciens. [jH Alluvions modernes. SUî Marnes bleues de la Bresse. Jfi Alluvions anti-glaci aires. On nous objectera que les Mastodontes caractérisent le plio- cène moyen et Y El, meridionalis le pliocène supérieur; mais il y a des gisements d'âge intermédiaire où la coexistence de ces deux proboscidiens ne parait pas douteuse. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 45 Si donc on admet des érosions opérées par la grande Saône qua- ternaire sur le promontoire de Montmerle, soit sur quelque autre point contenant une faune pliocène, les ossements entraînés par les eaux, toujours plus légers que les matières d'origine minérale, ont dû se déposer sur la rive droite du cours d'eau, en raison de ce principe dérivé des expériences de Foucault sur le pendule, que ce Tout mobile qui se dirige d'un pôle vers l'équateur doit nécessairement rester en arrière du mouvement terrestre de plus en plus rapide qui l'emporte et, par conséquent, dévier vers l'occi- dent qui est à droite dans l'hémisphère nord, à gauche dans l'hémi- sphère sud. » En résumé, les données contradictoires fournies par la faune prouvent qu'il y a eu certainement des apports provenant de ravi- nements et d'érosions d'alluvions anciennes, mais que l'âge du gisement ne peut être plus ancien que les plus récentes formes fossiles — renne et mammouth — confirmé par les données de l'industrie lithique, dite du Moustier, qui se sont toujours trou- vées synchroniques dans les gisements non remaniés postérieu- rement à leur 'dépôt. Station d'Odenas. — Situé sur le versant oriental des Cévennes,Odenas est un de ces nombreux villages qui, de Màcon à Anse, étagent leurs blanches maisons respirant l'aisance au milieu des riches vignobles de la côte beaujolaise et contribuent à former de cette partie de la vallée de la Saône une des régions les plus pittoresques de France. A l'ouest, le territoire de la commune s'étend jusqu'aux sommets du Saburin 656 m et du crêt de Molière 636 m couverts en partie par les bois de la Chaise, composés de sapins, de pins et d'arbres non résineux d'essences diverses. Cette couronne de verdure, du plus pittoresque effet, attire pendant la belle saison les touristes dési- reux de respirer l'air balsamique des montagnes, tout en jouissant d'une vue splendide sur la vallée de la Saône, vue qui n'est limitée vers l'est et le sud- est, que par la ligne bleue des monts du Jura et la crête dentelée des Alpes. Au nord s'élève le mont Brouilly Bruailles, sorte de dyke de 46 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON porphyre dioritique, traversant le granit par une déchirure. Cette montagne s'impose de loin à l'attention par sa situation isolée et sa chapelle gothique surmontée d'une statue de la Vierge. Construite par souscription, vers 1857, elle est devenue le but d'un des pèlerinages les plus en vogue et les plus sélect du Beaujolais* Avant la construction de la chapelle, les pèlerins se rendaient en remiage autour de la source du Nôme Nemosus, dont les eaux rares, mais glaciales, possèdent, dit -on, la propriété de guérir les maux d'yeux. Cette antique font sacrée a été fréquentée dès la plus haute antiquité, puisque nous avons recueilli dans ses alen- tours immédiats de nombreux éclats de silex taillés. Le mont Brouilly est séparé du reste de la chaîne beaujolaise par le col de la Poyebade et du plateau de la Jardinière, par la dépression, au fond de laquelle le Sancillon a creusé son lit souvent à sec. Les vignobles de Brouilly produisent un des crus les plus esti- més du Beaujolais, et ce n'est pas d'hier que l'arbuste de Bacchus recouvre de ses pampres verts les flancs généreux de la montagne. Il serait, en effet, difficile de trouver dans toute la région, comme pour Brouilly, un document historique prouvant la présence de vignobles dès le xu* siècle. Paradin, Louvet et les autres historiens du Beaujolais rapportent qu'un sire de Beaujeu, Humbert III, ayant été condamné parle pape à faire une fondation pieuse en punition de la rupture de ses vœux de templier, ût con- struire à Belleville, sur l'emplacement de l'antique Lunna romaine, vers 1158, une abbaye et la magnifique église romane qu'on y voit encore. Il dota l'abbaye de plusieurs domaines, entre autres du clos de vignes de Brulliez Brouilly, Le sol de la commune d'Odenas est en majeure partie formé de granit du type à grands cristaux du Plateau Central. Au lieu dit de Pierreux, s'observent des schistes argileux métamorphiques, qui s'enfoncent à l'est sous le kimméridgien de la colline de Monternot. Le vallon de Nerval, appelé improprement Nervers, est rempli par les terrains erratiques amenés par le glacier de la Vauxonne. Celui-ci a recouvert en partie la colline de Néty et surtout celle LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 47 de Garanche, de blocs d'arkose et de grès triasique, arrachés aux crêtes du cirque de Vaux. Ces blocs, détruits pour la plupart, se voyaient jusqu'à la Jardinière; il est regrettable que ces témoins du grand phénomène frigorifique qui a contribué pour une si large part à donner au pays son relief actuel, n'aient pas été épar- gnés et mis de côté par une main intelligente. Près du château de Pierreux existe un filon de galène avec gangue de quartz et baryte sulfatée, carbonate de plomb noir, mouchetures de cuivre carbonate vert, dont la cassure tourne à l'état céroïde. Ce filon a été très anciennement exploité. La légende prétend que la mine et le château de Pierreux ont appartenu à Jacques Cœur. Nous n'avons pu, malgré nos recherches, trouver aucun document historique prouvant le fait. L'homme préhistorique avait-il apprécié l'heureuse situation de la région, ou toute autre raison a-t-elle motivé son choix; quoi qu'il en soit ses tracée se rencontrent sur tout le territoire d'Odenas. L'industrie lithique comprend des instruments des deux périodes paléolithique et néolithique, mais on n'y trouve pas de faune asso- ciée. La moisson a été particulièrement abondante au lieu dit de Pierreux et à son annexe la Cloche. Le château de Pierreux occupe le rebord oriental du plateau incliné de l'ouest à l'est, sur lequel se trouve une grande partie du territoire de la commune d'Odenas. Ce plateau domine un petit vallon perpendiculaire à la vallée de la Saône, d'où sourdent plusieurs sources, condition essentielle des stations préhistoriques durables. Les travaux de défoncement opérés de 1885 à 1893, dans ce vallon, pour la reconstitution des vignobles phylloxérés, ont ramené à la surface du sol une quantité considérable de silex taillés. Nous avons recueilli plusieurs milliers de pièces en majeure partie bri- sées et si bien drainé le sol, après chaque opération de culture, qu'il est actuellement rare d'en rencontrer un fragment. Nous avons signalé plus haut la trouvaille à Odenas d'une hache amygdaloïde, du type dit de Ghelles, nous n'y reviendrons pas. 45 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON Les ractoirs patines d'une façon fort différente sont en majorité ; assez petits, variant entre 38 et 52 millimètres de longueur, les retouches se développent sur la face opposée au plan naturel d'é- Fio. t3. — Pierreui Odenos. Ur. Fio. ». — Pierreui Menas. Or. nsl. étalement et généralement sur le coté le plus ouvert figures 13 t 14. Quelques racloirs ont l'un des bouts terminé en angle aigu et réunissent ainsi les caractères de la pointe et du racloir. Ce genre d'instruments a déjà été signait' dans plusieurs station», notamment par M. G. Chauvet, à la Quina Charente 1 . 1 Gustave Chauve!, Stations humaines quaternaires de la Charente- LE BEAUJOLAIS PRKK1ST0RIQUE 4J> Les pointée sont belles comme finesse de taille, mais non comme dimensions; la plus grande ne mesure, en effet, que 61 millimètres de longueur. De même que pour les racloirs, la patine est multi- colore et très superficielle 6g. 15 et 15 bit. Une seule pièce cacho- lonnée profondément rappelle la transformation partielle en silice pulvérulente de certains silex du Maçonnais fig. 16. Fio, 1&. — Pierreui Fig. 13 Mi, — Profil Fia. 18. — Pierreux Odenast. Or. nat. de la pièce précédente. Odeaaa. Or. nat. Des instruments du type du Moustier se sont, en outre, rencontrés au sud-est et près de Pierreux, sur les bords du ruisselet de ce nom au lieu dit la Cloche. Divers indices nous font supposer que ce nom provient d'un tumulus dont la forme typique rappelle assez celle d'une cloche. C'est ainsi que dans le département de la Cha- rente, un lumulus de l'âge du fer porte le nom caractéristique de Champignon*. Dans la partie la plus basse de ce lien dit, existait encore, au commencement du siècle, un étang alimenté par le ruisselet de Pierreux et portant le nom de la Carcasse. Cette dénomination bizarre provenait, dit-on, de ce qu'on y aurait trouvé sur ses bords ' G. Chauvet, loc. cit., p. 86. 50 société d'am des ossements d'hommes et de chevaux rappelant le souvenir d'un combat livré en ce lieu. Nous ne savons quelle créance accorder à cette légende et la relation qui peut exister entre ces c et notre gisement. Fia. 17. — Clocha Odenaa. Gr. i Fio. 16. — La Cloche Odenas. 2/3 er. nat, Les silex du type du Moustier récoltés à la Cloche sont identi- ques, comme nature, patine et caractères de la taille à ceux du gisement de Pierreux; ils sont sans doute l'œuvre de la même peuplade iîg. 17 et 18. En ne tenant pas compte des milliers de pièces entières ou bri- sées, couteaux, lames et pointes diverses, qui ne caractérisent pas une époque ni même une période, le nombre des instruments non LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 51 douteux du type de Moustier., racloirn et pointes, recueillis à Odenas, s'élève a 16?. La période néolithique est largement reprenantes à Odenas, nous en reparlerons plus loin en faisant la description des stations syn- chroniques. La vallée de la Saône, la grande voie des migrations des peuples du Nord, avides des belles terres ensoleillées du Midi, noua a Fia. 19. — Nétj 2/3 gr. ait. Fia. SO. — Kétj. Gr. nat. fourni plusieurs stations où, comme à Odenas, la superposition des industries, des périodes paléolithique et néolithiques été nette- ment constatée, notamment à Corcelles et à Néty. Station de Néty. — Cette station a fourni un certain nom- bre d'objets travaillés appartenant aux types dits dn Moustier. Ils sont récoltés pêle-mêle avec les pièces amvgdaloîdes décrites précédemment. Les instruments peuvent se ranger dans les genres 52 SOCIÉTÉ d'anthrofologir DE LYON racloirs, pointes, disques et lames. Quelques pièces sont patinées en blanc, mais la plupart le sont en jaune brun; plusieurs racloirs présentent, comme les coups de poing, des incrustations silice- calcaires fig. 19 et 20. Fio. 21. — Nty. 2/3 gr. nat. Fjo. 22. — Netj. 2/3 gr. nat. La série des racloirs renferme des pièces variant entre 67 et 52 millimètres de longueur; les pointes entières, au nombre de 7, sont comprises entre 82 et 55 millimètres. Les instruments, comme on le voit, sont petits ; c'est là d'ail- leurs le caractère particulier de l'outillage préhistorique du Beaujolais et en général de toutes les régions qui ne renferment pas de gisements de la matière première ordinairement employée, c'est-à-dire le silex. Cette station nous a fourni quelques pièces ovalaires ou en forme de disques appelées types de Levallois destinées sans do ute, comme le pense M. G. de Mortillet, à remplacer comme taillant les instru- ments dits chelléens fig. 21 et 22. Voici les proportions constatées pour chaque forme, sur quatre- vingt-huit objets trouvés a Nétv, les simples éclats non compris LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE Instruments dila de Cholles 5 Radoirs do Monstier 14 Pointes — 7 Disques 4 Lames 42 Formes diverses sans caractères précis .... 16 Total 88 Fia. 23. - Corcellea. Gr. nat. Station de Coroelles. — Dans les allumions quaternaires de diversité des industries primitives et leur mélange y ont été constatés comme dans les deux stations précédentes. Les silex du type du Moustier s'y sont rencontrés en moins grande abondance qu'à Odenas et i Néty, mais ils sont plus volumineux fig. 23 et 24. Nous avons recueilli dans cette station quarante- trois pièces qui paraissent syn chroniques, soit par les caractères de la taille, soit par leur similitude de patine et d'incrustation. Soc. a^th. — Beauj. préhist. 4 >4 SOCIÉTÉ D ANTHROPOLOGIE DE LYON Leur classement donne les résultats suivants ; Raeloirs 7 Pointes 6 Disques 2 Lames .16 Pièces sans caractères précis. ...... 9 Total 43 Fia. Et. — Corcellt*. 2/3 gr. al. Station de Milly. — Sur le territoire de la commune de Saint- Elienne-des-Oullières, à mi-cûte delà colline de Milly, qui longe la rive gauche de la rivière aux berges ombreuses de la Vauxonne, et dans un repli exposé au midi noua avons constaté l'existence d'une importante station paléolithique. Les silex taillés appartenant aux types du Moustier s'y sont rencontrés au nombre de plus de deux cents. Les pointes et les raeloirs sont très finement taillés ; le silex est ordinairement patiné en blanc sur une petite épaisseur fig. 25. Les pièces ouvrées sont particulièrement nombreuses sur un point situé le long du sentier qui contourne le parc du château de Milly à la cote 270 environ. Des défoncements opérés pour la reconstitution d'une parcelle de vigne phylloxérée, d'un demi-hec- are de superficie, ont ramené à la surface cent quarante-sept instrumente préhistoriques. BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 55 Ces travaux que nous avons suivis avec soin, descendaient à une profondeur de O^CO qui représente à peu près l'épaisseur de la couche de terre au- dessus du sous-sol rocheux et granitique. Les instruments devaient être en majeure partie fabriqués sur les lieux ainsi que le donne à penser la trouvaille de neuf nucleus et de trois percuteurs. Gomme dans les stations précédentes, à l'exception du gisement de Ville franche, nous n'avons pas trouvé a Miily de faune associée aux données industrielles. Autres gisements moustériens. —Aux alentours du gros hameau de Nuits, commune de Saint -Georges-de-Reneins, nous avons récolté une vingtaine de gros racloirs et autres outils identiques à ceux du Moustiers flg. 26. Nous n'avons pu déter- miner l'emplacement du gisement, c'est-à-dire l'endroit précis où la peuplade préhistorique avait sa résidence habituelle ou plutôt temporaire. Nous supposons qu'elle devait camper autour d'une source abondante qui fournit de l'eau à tous les habitants du hameau. Les maisons couvrant les alentours immédiats de la fon- taine, les recherches sont, de oe fait, rendues impossibles. 56 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Nous laissons, et pour cause, aux archéologues de l'avenir le soin de vérifier le bien fondé de notre hypothèse. La Font-Sala, fontaine située au du bourg de Theizé et qui alimente de ses eaux le ruisseau au nom euphonique de Ruis- sel, était le centre d'une petite station préhistorique. Les armes et outils taillés sur une seule face présentent tout le faciès des instru- ments caractéristiques de l'époque dite Moustérienne. Le mamelon du Moulin à-Vent, qui domine à l'ouest le bourg de Saint-Etienne-des-Oullières, a fourni quelques pointes taillées sur une seule face d'une belle facture. d'Alix. — Entre les communes d'Alix, Ghâtillon- d'Azergues, Bagnols, Frontenas, Theizé et la Ghassagne, s'étend un plateau d'origine glaciaire, légèrement incliné d'environ trois cents hectares de superficie, jonché de débris de roches de la haute Azergues. MM. Delafond et Depéret, qui nient l'existence de glaciers dans le Beaujolais à l'époque quaternaire, prétendent que ce plateau a été formé par un puissant cours d'eau pliocène qui se jetait dans la Saône, alors que cette dernière]coulait à une altitude plus élevée 1 . Nous avons donné plus haut les raisons qui ne nous permettent pas d'adopter cette théorie. Placé sur une dépression des collines qui séparent les vallées du Morgon et de l' Azergues, entre les massifs calcaires de Gharnay et du Bois-d'Oingt, ce plateau peu productif et partant peu cultivé fait tache au milieu des vignobles si bien soignés du Beaujolais. Le sol très argileux et trop plat conserve les eaux qui y restent stagnantes, ce sont les terres froides » comme on les nomme dans le pays. Le ruisseau de Ghalieu prend sa source vers la partie orientale de ce plateau, coule du N. au S., arrose le village d'Alix, fait mouvoir un moulin, fertilise les près et va se jeter dans l' Azergues au-dessous de Châtillon après un cours de 6 kilomètres. Non loin de la source de ce ruisseau, sur le versant d'un coteau 1 G. Ghauvet, loc. cit., p. 212. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 57 qui borde le plateau à l'est, et sur la lisière des terrains jurassi- ques, nous avons constaté l'existence d'un important atelier pour la taille du silex. Cet atelier est situé à l'angle des deux routes de la Ghassagne et d'Alix, au lieu dit c le Poteau » ; il occupe un rectangle de 450 mètres de long sur 120 mètres de large, soit approximative- ment une surface de 5 hectares et demi. L'ouvrier préhistorique a utilisé les blocs siliceux ou charvey- rons qui jonchent le plateau, c'est dire que la matière première est de mauvaise qualité. Les blocs taillés, de forme prismatique, ou nucleus, sont nombreux, nous en avons recueilli soixante et un. Les éclats provenant du premier dégrossissement de ces nucleus sont innombrables ; la plupart étaient inutilisables, soit par suite de la présence d'une partie de la croûte, soit en raison de leur forme qui ne convenait pas à la fabrication de l'outillage de l'époque. L'atelier présentait également une accumulation de pièces de rebut. Malgré l'habileté de l'ouvrier il lui arrivait forcément de manquer le but poursuivi. Un coup trop violent entamant le silex à une grande profondeur, un défaut du rognon siliceux amenaient des fractures indépendantes de la volonté du fabricant, la pièce était manquée et, par suite, abandonnée. C'est ce qui explique l'énorme quantité de déchets de silex eu égard au petit nombre de pièces entières recueillies dans l'atelier d'Alix. Il faut admettre aussi que les instruments terminés s'enlevaient au fur et à mesure de leur fabrication, et alors il ne restait en place que les pièces brisées, les déchets et le matériel d'exploitation nucleus et percuteurs. C'est, du reste, le caractère spécial que présentent tous les ateliers préhistoriques, qu'il s'agisse du Grand- Pressigny ou de Charbonnières, pour ne citer que les plus cé- lèbres. Il est facile de s'assurer que tous ces silex abandonnés ont été ouvrés. Les caractères indéniables de la taille intentionnelle plan de frappe, conchoïde de percussion, esquilles, etc., se reconnais- sent sur la majeure partie des pièces. Les silex taillés sont rosàtres et conservent leur couleur natu- relle malgré leur exposition à l'air. La face qui porte le bulbe est 58 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON toujours lisse, la face opposée seule présente des retouches. Ces caractères et la présence de quelques racloirs et pointes prouvent que l'atelier a commencé a fonctionner à l'époque dite du Mous- tier fig. 27 et 28. Mais la prédominance des pointes vives sans retouches, des lames minces et élancées fig. 29, 30 et 31, enfin la présence de quelques burins permettent de croire que l'atelier a eu son maximum d'activité vers la fin de la période paléolithique, à l'époque solutréo-magdalénienne. Malgré de minutieuses recherches, il n'a pas été trouvé trace de poterie dans cet atelier, et cependant l'argile ne fait pas défaut dans la région, plusieurs tuileries y prospèrent actuellement. La présence d'un grattoir robenhausien d'une patine différente n'est pas une preuve suffisante pour modifier nos conclusions. Les ateliers ont une grande importance pour l'étude des in- struments préhistoriques, ils nous initient au secret de leur fabri- cation en nous les présentant à tous les degrés de la taille inten- tionnelle. Ceux qui n'ont pas fait de ces recherches ne peuvent s'imaginer l'intérêt qui s'éveille au fur et à mesure que la pioche ramène au jour les nucleus, les percuteurs, les ébauches, les in- struments brisés en cours de fabrication, en un mot tout le matériel de ces ouvriers primitifs. Nous avons alors l'intuition de la somme d'intelligence qu'il leur fallait dépenser pour sauvegarder leur existence contre des animaux formidablement armés pour la défense comme pour l'attaque. Et cependant l'intelligence l'a emporté sur la force brutale, l'homme avec sa pierre pointue, qui nous paraît bien peu redoutable, a fini par triompher et ses terribles adversaires ne nous sont connus que par leurs ossements enfouis dans les couches géologiques. C'est au mois de décembre 1897 seulement, que nous avons obtenu l'autorisation de pratiquer quelques fouilles dans ce gisement. Une première tranchée orientée a été creusée sur une longueur de 15 mètres sur 1 mètre de largeur et 1 mètre 30 de profondeur. Elle a permis les constatations suivantes Beaujolais préhistoriuik Hache acbeuléenne, Alix Rhône. Grandeur naturelle. [.[ beaujolais préhistorique 59 Fio. 21. — 2/3 gr. rat. Feo. 28. - 2/3 gr. Fio. t. — Gr. nnt. Fio. 30. — Or. nat. — Gr nal. Sîki taillés d'Alix. 60 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON 1° Terre cultivée avec humus contenant des silex ouvrés m 35 2° Couche de même composition mais non remaniée, plus riche en silex taillés 12 3° Couche tei ntée de brun par des sels de fer ou de manganèse 05 4° Argile avec blocs anguleux ou roulés de roches primitives et de chailles jurassiques ne dépassant pas m. 15 en tous sens épaisseur inconnue . 78 Total l œ 30 Une deuxième tranchée ouverte plus à l'O, à 30 mètres en contre-bas de la première, a donné sensiblement les mômes résul- tats ; la couche teintée était cependant située à une plus grande profondeur. Dimensions de la tranchée longueur, 20 mètres ; largeur 1 m . 10 ; profondeur 1 m. 52. Elle a fourni la coupe suivante 1° Terre cultivée 0*35 2° Couche non remaniée 22 3° Couche teintée 05 4° Argile avec blocs anguleux 90 Total 1 UI 52 Enfin, en mars 1808, désireux de connaître l'épaisseur approxi- mative du terrain erratique nous urnes ouvrir une grande tranchée orientée dans la partie de l'atelier qui nous avait donné les plus belles pièces à la surface du sol. Malheureusement, à 1 m. 50 de profondeur, les eaux envahirent les travaux qui durent être abandonnés. Sans tenir compte des instruments recueillis à la surface, les fouilles ont fourni 154 pièces qui donnent pour chaque forme les proportions suivantes LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 61 Nucleus 13 Nucleus ayant servi de percuteur 3 Autres percuteurs en silex 2 Lames brisées ou entières 87 Pointes vives sans retouches 26 Autres formes peu précises 23 Total 154 La surface du gisement entamée par les travaux étant de 57 mètres carrés seulement, on voit quelle quantité de pièces renferme cet atelier. Sa superficie totale étant approximativement de cinq hectares et demi, si Ton suppose 150 pièces par are, on arrive au chiffre considérable de silex taillés. Ce gisement nous a donné jusqu'à ce jour plus de mille silex ouvrés, non compris soixante et un nucleus et une quinzaine de percuteurs. En résumé, le grand nombre de nucleus et la présence des éclats de toutes sortes provenant du dégrossissement des rognons siliceux , les pièces brisées, les ébauches sont des preuves irrécu- sables qu'on se trouve bien en face d'un atelier pour la taille du silex. D'après la technique industrielle, il aurait fonctionné de l'époque dite moustérienne jusqu'à la fin de la période paléolithique. Station de Bessay. — Le mont Bessay 491 m. appar- tient à la fois aux territoires des communes de Juliénas Rhône et de Saint- Vérand Saône-et-Loire; il est de ce fait en partie dans le Beaujolais et dans le Maçonnais. Des silex taillés se sont rencontrés disséminés sur tout le versant oriental, mais ils sont particulièrement abondants sur deux points. L'un est situé au sommet de la montagne, près d'une carrière ouverte dans l'étage oxfordien à Pholadomies; l'autre à 200 mètres autour de quelques fonts ou fontaines qui sourdent à la limite des alluvions anciennes. Les silex sont légers, profondément altérés à la surface et on 62 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON une patine blanchâtre comme ceux de Solutré. Ce qui fait supposer que la matière première provenait des riches gisements du Maçonnais. Par leurs formes les pièces ouvrées se rattachent à l'époque solu- treo- magdalénien ne. Nous avons cueilli en effet des lames minces et élancées, des grattoirs simples fabriqués avec ces lames, on grattoir double fig. 33, la moitié d'une pointe à cran, etc. Cette Flo. 32. — liessay Juliénas Gr. nat. dernière trouvaille montre une fois de plus que cette forme perfec- tionnement important pour faciliter l'attache de la pointe de flèche sur la hampe caractérise la fin de l'époque solutréenne de M. de Mortillet, puisqu'à Solutré, situé à 8 kilomètres — à vol d'oi- seau — de Bessaj, ces pointes à cran font complètement défaut. Il faut supposer que la population de cette station type avait momentanément disparu lorsque les chasseurs de rennes fréquen- taient le mont Bessaj. Les pointes a cran, abondantes dans le sud-ouest de la France, sont au contraire très rares dans l'est. Au cours de nos recherches en Beaujolais nous n'en avons vu que deux spécimens l'une incomplète, celle de Bessay, l'autre entière en silex calcédonieux trouvée dans le jardin de notre frère à Charentay. Toutes les deux avaient le cran à droite. Le nombre des pièces recueillies dans cette station est d'environ deux cent cinquante. Des sondages exécutés dans le gisement supérieur, près du BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 03 sommet de la montagne, ne nous ont donné que des fragments d'os informes trop incomplets pour dire déterminés avec sûreté. Autres gisements solutréo-magdaléniena. — Nous avons recueilli quelques burins à Odenaa, au col de la Poye- bade. Des lames minces et étroites récoltées au même endroit pourraient être synchroniqnes. Fia. 33. — Ijntignié Gr. nat. Nous verrons pins loin que ce passage était pratiqué dès la plus haute antiquité comme le prouvent les instruments de toutes les époques que l'on y trouve en assez grande abondance. Au sommet dn mont Buisante 357 mètres, qui domine Ville- franche au S., une petite fontaine jaillit des fentes du lias. Ses alentours nous ont donné un fragment de pointe en feuille de laurier taillée sur les deux faces et une dizaine de pièces en silex, paraissant aussi se rattacher à la période solutréo-magdslénienne. Le sol renfermait de très petits fragments de bois qui nous ont para appartenir an renne. 64 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON La commune de Lantignié a fourni une belle pointe solutréenne en feuille de laurier au milieu d'éclats de silex ayant môme patine. Gomme les pièces similaires de Solutré, le point de la plus grande largeur n'est pas au milieu mais à peu près vers le tiers inférieur. Elle présente cette particularité de n'être retouchée que d'un seul côté, l'autre restant lisse fig. 33. Des pointes de flèche solu- tréennes présentant la même anomalie ont été signalées par M. de Mortillet, dans la grotte du placard Charente 1 . Cette pointe mesure 72 millimètres de longueur sur une largeur de 32 millimètres. 1 Musée préhistorique, planche XXIX CHAPITRE II PÉRIODE NÉOLITHIQUE I STATIONS Les stations néolithiques sont, comme partout ailleurs, du reste, de beaucoup les plus nombreuses. Au lieu d'être localisées comme le chelléen, par exemple, en dehors des terrains bouleversés par les glaciers quaternaires, on les trouve à toutes les altitudes, aussi bien sur les bords des cours d'eau que sur le flanc des collines et au sommet des plus hautes montagnes. Station d'Odenas. — La période néolithique est large- ment représentée à Odenas et par des pièces très finement fabri- quées. Les pointes de flèche amygdaloïdes, taillées sur les deux faces, à base concave, convexe, rectiligne, avec pédoncule et bar- bel ur es, ne sont pas rares; nous en avons recueilli vingt-six sur le erritoire de la commune fig. 34, 35, 36, 37, 38, 39 et 40. Les grattoirs simples du type dit robenhausien, les grattoirs doubles discoïdaux, lames fig. 41, couteaux, scies, nucleus, percuteurs, haches polies se sont rencontrés en abondance. Le silex devait être une matière précieuse, difficile à se pro- curer, car les nucleus ont été utilisés jusqu'à refus, quelques-uns ne mesurent pas plus de 4 centimètres et le plus grand n'a que 9 centimètres de longueur fig. 42. Odenas se trouvait sur l'antique chemin partant du gué de Grelonges sur la Saône et qui, par les cols successifs de la Poye- SOCIETE V ANTHROPOLOGIE DE LYON Fio. 3*. — Gr. ut. F»». 35. — Gr. nat. Fia. 36. — Or. net. Fio. 40. — Or. nat. Silex [ailles d'Odenai. Fio. gr. an. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 67 bade, Oie et Ghampjoint, donnait accès dans les plaines du Cha- rolais et te bassin de la Loire. Ce chemin traversait la commune dn sud-est au nord-ouest; détruit en partie, il existait encore en 1810, puisqu'il figure sur le vieux plan cadastral de cette époque. Les instruments préhistoriques se sont rencontrés plus particu- lièrement dans les champs qui avoîsiuent ee chemin et, chose cu- rieuse, les grattoirs épais, larges et courts si communs à Gre- longes n'y étaient p88 rares. Nous en avons trouvé non seulement dans la traversée d'Odenas, mais à Quincié, aux Ardillats et a Monsols. On serait tenté de croire que la population sédentaire des palafittes de Grelonges faisait, dès cette époque reculée, avec les nomades, un échange de l'outillage lithique le plus indispensable, difficile à se procurer dans une région où la matière première fai- sait défaut, contre les produits de la chasse, et principalement, sans doute, les fourrures. La présence do cet antique chemin, analogue aux pistes suivies de toute antiquité en Orient par les peuplades nomades dans leurs déplacements périodiques, explique la superposition d'instruments d'époques différentes dans nombre de stations telles que Boitrait, Néty et Odenas, situées sur son parcours. Le col de la Poyebade, par où passait ce chemin, a fourni nue série d'objets allant de la période paléolithique au moyen âge fig. 43. 68 SOCIÉTÉ d'anthropologie DE LYON Dans les anciens titres, le nom de Poyebade s'écrit Pojpe-Badot. Or les tumalus, soit en Beaujolais, soit dans la Bresse et la Dombes, se sont toujours appelés de ce nom. Nous connaissons sur la rive gauche de la Saône, à la lisière par conséquent de notre pays, les poypes de Mi sériât et de Mérèges, à Saint -Didier- sur- Chalaronne ; celle de la Marche, à Thoissey, en face d'un ancien gué; deBuyat, à Montceauz; de Riottiers, à Jassans; de Vieux- Ghatel et de Herbevache, à Reyrieux, etc. Fia. 43. — Pûjebade Odeoss. Or. mit. Un ancien plan terrier représente un fossé circulaire à l'angle formé par le vieux chemin de Marchampt, connu sous le nom de chemin des Romains et celui des Lithes, dont nous parlerons plus loin. Nous avons trouvé en cet endroit des dents de chevaux et de boeufs en partie carbonisées. Ce que nous connaissons des rites funéraires des constructeurs de tumulus, appuyé par les indications du plan ci-dessus, nous porterait à croire que la poype dont on retrouve le nom défiguré dans celui de Poyebade, s'élevait à cet endroit. Une ancienne chapelle appelée de Rimaud, détruite avant la Révolution, occupait cet emplacement. Avait-elle remplacé le tu- mulus ou le surmontait-elle, n'est ce que nous ignorons. Une cha- LK BEAUJOLAIS PHKU1ST0BIQUE 69 pelle est construite sur le mont Saint-Michel, à Carnac. Plus près de nous, les ruines d'une église s'observent encore sur la poype d'IlHat à Thoissey Ain. Le lout a élé détruit depuis fort long- temps, soit par l'effet des siècles, soit, ce qui arrive le plus souvent, par le vandalisme des hommes. Le paysan est avant tout pratique, nulle considération ne peut l'arrêter s'il entrevoit un but utilitaire; en construisant sa maison, il tournera le dos au plus beau paysage du monde pour un prétexte futile et fera disparaître une ruine, uno roche à forme bizarre ou pittoresque, pour faire place à quelques mètres carrés de plus à culliver. L'ignorance et Yauri sacra famés feront toujours le Fia. M. — Pierreux Menas. 2/3 gr. na. désespoir des archéologues dans tous les pays et dans tons les siècles. 7 est ainsi que les blocs de porphyre dioritique, qui formaient sur les flancs du mont Brouilly des amas ruiniformes du plus pit- toresque effet, ont presque tous disparu, désagrégés par la dyna - mite et réduits en matériaux d'empierrement par la massette du L'époque de la pierre polie a fourni également un contingent assez respectable d'instruments en roches diverses. Cinq haches proviennent des vignes qui longent les prés situés Soc. au™. — Beauj. prébist. 5 70 SOCIÉTÉ D'ÀNTHROrOLOGIE DE LYON au-dessous du château de Pierreux. Quatre sont entières et me- surent respectivement 116, 80 fig. 44, 62 et 60 millimètres de longueur; les côtés sont légèrement deux ont leur section à peu près rectangulaire et les deux autres l'ont ovale. Une cin- quième hache, dont le tranchant a été brisé, a été utilisée comme percuteur. Trois de ces haches sont en diorite et deux en roche serpenti- neus. Une sixième hache en diorite, recueillie à la Grange-aux-Lions, a le tranchant rectiligne, une grande partie de la surface est pi- quée pour faciliter l'emmanchure. La coupe donne un ovale se rapprochant du cercle. Une septième et dernière hache en roche assez tendre trouvée à Nerval, près du château de M. Denoyel parait votive. Elle serait, dans ce cas, l'indice du voisinage de quelque sépulture. Parmi les objets de parure, citons deux fragments de bracelets en pierre schisteuse, d'une forme et d'un poli admirables. Très fragiles, ces bracelets avaient assez de prix pour être raccom- modés lorsqu'on les brisait. L'un d'eux a été à cet effet percé de deux trous un peu obliques autour desquels se reconnaissent les stries produites par l'instrument perforant. Ces bracelets sont d'une si belle facture que l'on est stupéfié de l'habileté qu'il fallait à l'ouvrier — avec les faibles moyens d'exécution dont il dispo- sait — pour fabriquer ces bijoux véritablement artistiques. Un fragment de bracelet du même genre a été récolté dans un petit gisement néolithique, signalé par notre ami Marius Golard, à Marcj-sur-Anse. En outre du coup de poing chelléen et de la hache en pierre polie citée plus haut, le lieu dit la Grange-aux-Lions a fourni deux fusaïoles unies, en terre cuite rougeâtre. Le sommet du mont Brou i 11 j a donné une trentaine de silex taillés sans grand caractère et la moitié d'un casse -tête en diorite. La partie existante de cette arme est longue de 75 millimètres sur 51 millimètres de plus grande largeur et 31 millimétrés d'épais- seur; le trou d'emmanchement très régulier a conservé le poli primitif; les deux faces horizontales sont entourées d'un léger re- LK BBÀUJ0LA1S PRÉHISTORIQUE 71 bord, le taillant peu tranchant, montre que l'instrument était utilisé comme assommoir c'est donc un véritable casse-tête Fia. *5. — Brouillj Udeoai. S/3 gr. n»t. Station de Boitrait. — Si, partant du gué de Grelocges, qui facilitait autrefois aux basses eaux la traversée de la Saône en aval de Port-Rivière, on se dirige vers le nord-ouest dans la direc- tion du col de la Poyebade, après un parcours d'environ quinze cents mètres on arrive a la petite colline sableuse de Boitrait. Le nom de colline est peut-être un peu ambitieux pour une émi- nence qui ne s'élève pas àplus de 25 mètres au-dessus du thalweg de la Saône; elle est formée d'un lambeau de la terrasse discon- tinue qui s'observe de Gray à Anse et de l'âge par conséquent du gisement paléontologique et archéologique de Villefranche. L'éminence de Boitrait mesure environ 800 mètres de long, sur 350 mètres au plus de large, soit a peu près 27 à 28 hectares de superficie. La partie méridionale est occupée par le château et la ferme de Boitrait. Cette colline renferme en abondance des instruments de la pé- riode néolithique. Les pointes de flèches à harbelures et à pédoncule n'y sont pas rares; très petites, elles varient entre 23 et 32 milli- mètres de longueur flg. 46 et 47. La plus grande est garnie de dentelures latérales, elle rappelle ainsi les pointes des dolmens des Causses explorés par le D r Pruniéres flg. 48. On y rencontre 72 société u' anthropologie dk lton aussi des pointes amygdakiï jes taillée* sur le* deux faces, a base arrondie, reetiligne on légèrement concave. Les lames et couteaux sont en majorité, c'est ce qui arrive en géntfraldans toutes les stations; les lames sont très petites, si petites qu'on se demande parfois à quoi elles ont pn servir; quelques -naes n'ont que 3 à 4 centimètres de long sur 5 à 6 millimètres de large. Lear fini et leur grand nombre excluent tonte idée de pièces de rebut; d'aillenrs elles correspondent bien anx anciens dont plu- sieurs n'ont aussi que 3 ou 4 centimètres de long. 11 se trouve là tous les genres de silex gris, noir, brun, ronge, etc. Cette variété Pio. M, Fia. 47. Fio. 48. Point*! de flécha de Boitrait Siint-Oeorget. Gr. ont. de couleur est une preuve de la provenance diverse de la matière première. Quoique la station de Boitrait corresponde pour la majorité des pièces à la période néolithique, nous n'y avons encore trouvé que deux haches polies, à tranchant légèrement arqué et à côtés eqaarris, Parmi les autres objets qui paraissent remontera la môme époque, nous pouvons citer une molette en grès en forme de calotte presque hémisphérique 19 centimètres sur 16,5, très régulière, la face inférieure bien polie et légèrement convexe pour correspon- dre à la concavité de la meule fixe, probablement quadrangu taire, comme le sont en général celles des moulins primitifs. Une antre molette, à faces planes, formée d'un caillou roulé siliceux est digne d'âtre citée. Signalons encore parmi les pièces curieuses de cette station un LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 73 fragment de disque en pierre schisteuse perce d'un trou au centre. L'emploi de ces disques est difficile à préciser, les uns en ont fait une arme, une sorte de casse-tête, mais alors il se serait brisé au premier choc un peu violent ; d'autres ont supposé, d'une façon plus rationnelle, que ces disques étaient des bracelets ou des sortes de pendeloques-amulettes. On a trouvé ces disques en grand nombre dans certaines parties de la France, notamment en Bretagne et en Bourgogne. Le D r Marchant a fait une étude spéciale de ces derniers 1 . Plus près de nous, l'abbé Béroud a recueilli un de ces disques sous l'une des urnes funéraires du cimetière gallo-romain de Tous* sieux, près Trévoux. La poterie est représentée, dans ce gisement, par des fragments de grands vases en terre brunâtre grossière, ornés d'une ligne de points en creux sur la panse, produits par l'impression des doigts et rappelant la céramique des dolmens. On rencontre également de la poterie plus fine, en terre brune très fragmentée, ce sont des débris de vases à fonds plats et bords bien formés. Voici les proportions constatées pour chaque forme sur trois cent soixante-dix objets de la station de Boitrait existant dans notre collection Pointes de flèches à barbelures et pédoncule. . . 5 Pointes de flèches sans barbelures à pédoncule. . 2 Pointes de flèches en amande, à base rectiligne ou convexe rappelant, en petit, les coups de poing chelléens 9 Lames et couteaux 112 Grattoirs 19 Nucleus en silex 11 Percuteurs 5 Hache en pierre polie 2 Molettes 2 A reporter. . . . 167 1 D r Marchant, Description de disques en pierre de diverses localités. 74 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Report. . . . 167 Eclats triangulaires ayant pu servir de pointes de ' flèches 17 Eclats portant des traces de taille intentionnelle mais sans utilité appréciable 186 Total "370 Un gisement romain fort important recouvre en partie, vers le station préhistorisque. A diverses reprises, on y a découvert des meules en lave, des fragments de marbre, une grande quantité de débris de vases, des monnaies et même des ustensiles en argent. Malheureusement ces derniers furent achetés pour leur valeur intrinsèque seulement, par des gens qui n'en apprécièrent pas le haut intérêt archéologique, et ces trouvailles furent perdues pour la science. Il s'agissait, sans doute, soit d'une de ces magnifiques villas dont Sidoine-Appolinaire nous a laissé la description, et qui s'élevèrent en foule sur le sol fertile de la Gaule, dès le début de l'occupation romaine, soit de la bourgade celtique nommée Ludna, la seule agglo- mération un peu importante de la région qui ait mérité, à l'époque de la conquête, d'être citée par les anciens auteurs. Steyert, dans sa Nouvelle histoire de Lyon, suppose que la Ludna gauloise s'élevait sur l'emplacement actuel du bourg de Saint- Georges-de Reneins. Le long des routes pavées, dit-il, des mansions échelonnées de distance en distance offraient au voyageur un abri, un lieu de repos, une garantie de sécurité et finirent par donner naissance à des villages et à des villes. La voie de l'Océan, dans son parcours sur le territoire des Ségusiaves, le long de la Saône, en offre un exemple intéressant. Tout d'abord la distance entre Lyon et Mftcon XXX lieues gauloises, plus de 60 kilomètres fut divisée en deux étapes l'une de XVI lieues 35 l'autre deXIV 31 km. 108 et séparées par une station appelée Ludna, d'un nom celtique de signification inconnue. Ces deux étapes furent, par la suite, jugées trop longues et on en forma trois autres de X lieues chacune 22 km. 222 en déplaçant Ludna ou Lunna plus au nord, et créant LB BBAUJ0LAI8 PRÉHI8T0RIQUE 75 une station nouvelle du côté de Lyon. Ces deux localités furent détruites par les Alamans, au ui e siècle,, avant d'avoir pu donner naissance à des villages ; c'est sur leurs ruines seulement que s'élevèrent aux v* et vi e siècles Saint-Georges-de-Reneins occupant remplacement de Ludna, et, bien plus tard, Belleville là où avait été Lunna 4 . » Pour nous qui avons étudié l'histoire sur le terrain, visité les champs, en toute saison, et vu arracher du sol, par chaque opéra- tion de culture, des débris de toute nature, nous serions disposé à placer Ludna à la hauteur de Boitrait et des Tournelles de Flandres. Si l'on réfléchit d'ailleurs que la Ludna celtique était à seize lieues gauloises de Lyon et la Lunna romaine à vingt lieues, comme l'in- diquent l'itinéraire d'Antonin et la carte de Peutinger, la différence entrecesdeux localités était donc de quatre lieues 8 km. 888. Par conséquent, si l'on considère la ville de Belleville comme occupant l'emplacement exact de la Lunna, ce point fixe confirme à la vieille cité celtique la place que nous lui avons assignée. Nous rappellerons à ce sujet que d'antiques su bstructions ont été mises à découvert à Boitrait, vers 1825, et que la construction du chemin de fer de Paris à Lyon a fait découvrir aux Tournelles de Flandres des fondations d'habitations gallo-romaines. Les nombreux instruments préhistoriques que nous avons recueillis, soit à Boitrait, soit aux Tournelles, au milieu d'objets évidemment gaulois ou gallo-romains, vieillissent terriblement la bourgade celtique et font remonter sa fondation à l'époque de la pierre polie. Il est plausible de supposer que la Ludna devait en partie la raison de son existence au voisinage du gué de G relonges, qui facilitait les relations avec les populations de la rive gauche de la Saône. Station de Roland. — Sur les confins des communes de Genves, Saint-Jacques-des- Arrêts et Jullié, la chaîne beaujolaise s'abaisse et forme deux cols successifs qui assurent les communi- 1 A Stejert, Nouvelle Histoire de Lyon, t. I, p. 148. 76 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON cations entre les vallées de la Mauvaise et de la Grosne-Orientale. Ces deux cols portent les noms de Petite-Diane et de Grande- Diane, remontant évidemment à l'occupation romaine. Du reste, les tuiles à rebords et les débris de vases romains ne sont pas rares sur ces sommets ; ils prouvent qu'à cette époque reculée, la popula- tion y était au moins aussi dense qu'aujourd'hui. Le val de Roland aboutit à ces cols et donne naissance au ruis- seau de Jullié, affluent de rive gauche de la Mauvaise. Plusieurs sources contribuent à former ce ruisseau. La plus élevée située près de l'arête des montagnes, à une altitude de 650 mètres envi- ron, était fréquentée par les chasseurs préhistoriques, comme le prouve le grand nombre d'éclats de silex taillés et même d'instru- ments entiers qu'on trouve dans les alentours. Ces silex sont de dimensions tout à fait exiguës, des lames en- tières n'ont pas plus de 3 centimètres de long sur 4 millimètres de large. Cette rareté des grandes pièces se conçoit dans une région où le silex faisant défaut, les instruments importants ont été récol- tés pendant de longs siècles pour servir de pierres à briquet. C'est ainsi qu'en demandant à des vieillards où ils s'approvisionnaient jadis de pierres à feu nous avons pu retrouver plusieurs stations préhistoriques dont personne ne soupçonnait l'existence. Cette station nous adonné près de deux cents silex ouvrés. Les lames sont en majorité et forment les cinq sixièmes des instru- ments; un certain nombre d'éclats triangulaires, dont la forma semble avoir été voulue, ont dû être utilisés comme pointes de flèches. Un fragment de bracelet en lignite a été recueilli dans ce gisement qui n'a cependant donné aucun instrument en pierre polie. Ces trouvailles et la présence de deux grattoirs du type dit de Robenhausen, permettent de classer cette station dans la période néolithique. L'écobuage pratiqué périodiquement noircit les silex et les frag- mente à l'inâni. De ce fait, les pièces intactes sont rares et pré- sentent presque toutes des fentes très nombreuses qui dessinent à la surface une foule de petits polygones irréguliers ; souvent celles-ci se sont partiellement désagrégées et creusées de petites cavités. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 77 Une tranchée ouverte, dans l'endroit où les instruments se sont trouvés en plus grand nombre, a donné des charbons et des frag- ments d'os indéterminables, une dent de sus faisait seule exception. Le sol est d'ailleurs sans profondeur, la roche s'y rencontre à 40 centimètres en moyenne. On cultive ce terrain tous les quatre ou cinq ans, il y croit une maigre récolte d'avoine ou de seigle, puis le reste du temps c'est une friche où poussent les genêts et les herbes folles. Le gisement occupe une surface de 500 à 600 mètres carrés. Il est bordé à l'ouest par un très ancien chemin dont on retrouve les traces discontinues de Fleurie à Tram ay es. Comme toutes les an- tiques voies de communication, ce chemin s'écarte peu de la ligne droite ; ses seules déviations ont pour but de le faire passer près des sources, il affectionne les sommets d'où l'on pouvait voir de loin et deviner le péril. Sa haute antiquité est prouvée par le roc profondément entaillé où les générations ont creusé des traces ineffaçables. Ge chemin est encore fréquenté par les vendangeurs qui viennent en foule du Gharolais pour gagner quelque argent, ou passer en Beaujolais une période de plaisirs. Station de Corcelles. — La période néolithique a laissé à Corcelle de nombreuses pièces disséminées sur une grande surface. Gomme nous l'avons dit plus haut, les époques sont juxtaposées dans cette station. Les ustensiles amygdaloïdes du type de Ghelles, les pointes et rac loirs moustériens se trouvent mélangés avec des pointes de flèches à barbelures et des haches en pierre polie. Plus loin, un cimetière par incinération de l'époque du fer a été boule- versé récemment nous sommes arrivé trop tard pour préserver du vandalisme quelque urne entière. Des débris romains importants jonchent les vignes ; les propriétaires sont tellement exigeants qu'avec des ressources restreintes il est absolument impossible de faire les moindres fouilles. Nous avons donc été forcé de borner nos investigations à la surface du sol, de faire de fréquentes excursions et de rechercher avec soin les instruments ramenés au jour après chaque opération de culture. 78 SOCIBTK a ANTHROPOLOGIE UE LYON Parmi les objets récoltés remontant à la période néolithique, citons deux haches en pierre polio entières flg. 49, une pointe de flèche en silex rose, à base rectiligne, taillée finement sur ses deux faces flg. 50 ; deux pointes de flèche à barbelurea et Fia. 50.— 2/3 gr. nal. Fia. 49.— 2/ Fia. 51.— Or. ml. Pièces néolithiques de Corcelles. pédoncule fig. 51; cinq grattoirs du type dit de Robenhausen; enfin, une centaine de fragments de lames, couteaux, percoirs et scies. Les débris de meules se rencontrent en abondance. En dehors des restes de moulins en lave qu'on retrouvedans tous les gisements romains, il existe à Corcelles des fragments de meules asseï gran- des, en grès. L'un d'eux, du poids de 15 kilogrammes environ, devait appartenir à une meule de *JÛ centimètres de diamètre, d'une facture différente des instruments {similaires de l'époque romaine. II PAIiAFITTES DU GUÉ DE GRELONGES A l'aurore de l'humanité, lorsque la navigation était inconnue, les cours d'eau larges et profonds formaient des barrières presque infranchissables. Aussi l'homme primitif devait-il rechercher avec ardeur les gués qui lui permettaient de suivre les animaux migra- teurs dont il tirait sa nourriture et ses vêtements. Le flair des bêtes poursuivies leur faisait deviner les endroits guéables et ils les enseignaient ainsi innocemment à leur plus terrible ennemi. Les traditions latines racontent, en effet, que les Barbares au- raient appris l'existence de l'Europe en poursuivant une biche à travers les Palus Méotides et, plus près de nous, l'histoire de la biche indiquant un gué à Glovis, n'est également, sans doute, qu'une réminiscence de ce qui se passait dans les temps primitifs. Les traces de l'homme préhistorique doivent donc se rencontrer en abondance vers ces passages naturels. Le gué de Grelonges qui permettait de traverser la Saône en amont de Villefranche, par les nombreux objets d'époques diverses qu'il a fournis en est la preuve convaincante. On y retrouve notamment les traces de constructions sur pilotis, remontant au début de la période néolithique, comme nous le ver- rons plus loin. Un Ilot qui émerge seulement aux basses eaux parait être artificiel. Cet Ilot assez considérable au moyen âge pour por- ter un monastère, a constamment diminué depuis, phénomène d'autant plus extraordinaire, que la Saône, en cet endroit, a son minimum de vitesse, 4 centimètres seulement par kilomètre. L'histoire rapporte,]en effet, qu'un sire de Beaujeu, Humbert II, fit construire vers le commencement du xii° siècle, dans l'Ile de $0 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Grelonges, un monastère pour douze jeunes filles nobles, dont les parents avaient disparu pendant la première croisade. Les reli- gieuses se soumirent à la règle de Saint-Benoit et, de ce fait, le monastère de Grelonges dépendit de la puissante abbaye de Cluny. En 1268, une inondation qui fit de grands ravages en Beaujo- lais, emporta une partie de l'île et les bénédictines se virent forcées de la déserter momentanément, comme le prouve le procès-verbal •des visiteurs de Cluny qui fut alors rédigé Aqua consumit insulam et necesse fuitexire moniales hoc anno de insula Oreolenga propter inundationem aquaru/n. » L'émotion calmée, les bénédictines revinrent, puisque dans la visite de 1209 on signalait encore à Grelonges trente nonnes voi- lées et trois non voilées ayant prébende trigenta moniales velatas et très non velatas recipientes prxbendam. Ge ne fut que dans l'intervalle de 1299 à 1301, qu'une nouvelle inondation ayant emporté de nouveau une partie de l'Ile et démoli le monas- tère, les religieuses se retirèrent à Salles où elles fondèrent une abbaye qui a subsisté, avec des fortunes diverses, jusqu'à la Révolution, Malgré ces inondations successives, l'Ile conservait une certaine importance. Les possesseurs du cbàteau de Fléchères, situé sur la rive gauche de la Saône, en face du gué, s'honoraient de porter le titre de seigneurs de Grelonges. Nous trouvons, en effet, dans Y Histoire de Lyon, parMontfalcon, la note suivante Sève Mathieu de, baron de Fléchères, seigneur de Saint- André, Limonest, Villette et Grelonges, conseiller du roi, premier président auprésidial et ancien lieutenant général en la sénéchaus- sée de Lyon, 1694 4 . » Au xvii siècle, l'île de Grelonges portait encore, d'après M. C. Guigue, une chapelle, but d'un pèlerinage très fréquenté et diverses autres constructions. Actuellement elle est réduite à quel- ques mètres carrés de surface et émerge seulement aux basses eaux. Les travaux de dragage effectués pour faciliter le passage des bateaux à vapeur ont détruit le gué. C'est ainsi qu'en 1896, le 1 Montfalcon, Histoire monumentale de la ville de Lyon f p. 81. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 81 chenal ayant été élargi, le courant dans cette partie devint plus- rapide et, une crue aidant, des affouillements se produisirent, une masse de débris provenant, croyons-nous, des affaissements suc- cessifs de nie et qu'on pouvait, sans exagération, évaluer à 1200 mètres cubes, fut rejetée par les eaux sur la rive droite de la rivière, à 1 kilomètre en aval du gué. Dans cet amoncellement gisaient pêle-mêle des débris de pilotis, des clayon nages de cabanes, les charbons des foyers, des cailloux rougis et craquelés par le feu, des morceaux de meules, des silex taillés, des os d'animaux, etc., enûn les innombrables objets de la vie de chaque jour. Nous sommes conduits à supposer, et les pilotis fragmentés contenus dans les débris donnent à cette supposition une quasi certitude, qu'à une époque éloignée, correspondant sans doute à la construction des plus anciennes pala fi ttes des lacs suisses, une peu- plade établit ses habitations sur des pieux enfoncés dans le lit de la rivière. Pour cela, elle choisit un endroit où, par suite de la largeur de la vallée et du peu de hauteur des berges, les crues s'étendaient plus en largeur qu'en hauteur. Peu à peu les détritus s'accumu- lèrent autour des pilotis, les alluvions grossirent ces apports journaliers et formèrent une lie artificielle comme celles dont on a constaté l'existence en divers endroits, notamment dans les lac» italiens et irlandais. Nous nous demandons même si légué n'aurait pas pour origine l'amoncellement progressif et constant des débris de toute sorte jetés journellement dans le lit de la rivière par les habitants de* palaûttes. Des dragages méthodiques pourraient seuls trancher la question. Par suite de la confusion dans laquelle se présentaient à nous le* éléments de cette station, la détermination des objets et leur clas- sement dans les groupes conventionnels offraient quelque difficulté ;. nous espérons cependant nous être approché autant que possible de la réalité. Silex taillés. — Les silex taillés s'élèvent à plus de douze cents, leur teinte est noirâtre; on en rencontre exceptionnellement 82 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON quelques rares spécimens à patine blanchâtre. Un certain nombre d'instruments ont perdu leur translucidité par l'effet du feu ; ils sont devenus opaques ; leur teinte est grise, leur surface craquelée. La majeure partie des pièces sont recouvertes d'un dépôt calcaire blanchâtre, souvent constaté sur les objets provenant des lacs ou des rivières. M. Lory, directeur du Laboratoire départemental d'essais et d'analyses chimiques de Grenoble, a expliqué ainsi qu'il suit la formation de ce dépôt Le carbonate de chaux, dissous par les eaux pluviales, vient se concentrer très souveut dans les fonds marécageux ou dans les lacs et s'y dépose par l'intervention des végétaux aquatiques décomposant l'excès d'acide carbonique qui le rendait soluble 1 . » Le3 silex taillés peuvent se rattacher à sept types principaux 1° Grattoirs; 2° Lames ou couteaux; 3° Tranchets ; 4° Pointes de flèches ; 5 e Pointes de lances ; 6° Nucleus; 7° Percuteurs. Les grattoirs entiers ou brisés sont de beaucoup les plus nom- breux; ils forment les deux cinquièmes des pièces recueillies. Ils 80 nt généralement discoïdes, épais et lourds, mais il s'en trouve également de minces et d'élancés rappelant les formes plus sveltes de l'époque solutréo-magdalénienne. Les gros grattoirs sont à rapprocher de ceux des camps de Gatenoy Oise et deChassey Saône-et- Loire. Leurs dimensions varient entre 99 et 31 millimètres de longueur , 52 et 15 milli- mètres de large ; la moyenne est de 48 millimètres sur 31 ûg. 52 et 53. Le pédoncule est parfois laissé brut, le plus souvent il est lui -môme retaillé pour le rendre plus maniable. Peut-être quel- 4 Ernest Chantre, Habitations lacustres du lac de Paladru, p. 9. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 83 ques-uns de ces grattoirs fort courts, mais cependant entiers, ont ils été emmanchés. Nous n'avons pas rencontré de grattoir double. Lea lames ou couteaux sont, après les grattoir?, les pièces les plus nombreuses; relativement courtes, elles ne dépassent pas centi- mètres de longueur; par contre, si les grandes lames font défaut, Fio. 52. - 2/3 gr. nut. Fia. 54. — Or. ait. Silei taillés de Qreloagei. les petites ne sont pis rares ; il s'en rencontre de 30 millimètres sur 5. L'une d'elles est en cristal de roche. Une des formes qui s'est présentée en assez grande abondance est celle en triangle avec un tranchant rectiligne, pièces habituel- lement connues sous le nom de tranchets fig. 54. Gtss outils desti- nés sans doute à travailler les peaux sont caractéristiques des kjoekhenmoeddings du Danemark; on les a rencontrés en abon- dance dans les stations de Gampigny Seine- Inférieure et du camp 84 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Barbey Oise. On croit généralement que lea tranchets caracté- risent les plus anciennes stations néolithiques. Les pointes de flèches, assez rares, rappellent par leurs formes celles du camp de Chassey et des palaflttes de Cbavannes, dans le lac de Bienne. La plupart sont triangulaires ; d'autres ont un em- bryon de pédoncule. Nous avons recueilli un fragment de pointe de flèche en feuille de laurier admirablement retouchée sur tes deux faces et une autre plus grossière, entière, rappelant tout Fin. 55. — 2/3 gr. nal. Fin. 56. — 2/3 gr. n*t. Pointei de G relonges. à fait les types dits de Solutré. Il ne s'est rencontré aucune Bêche à barbelures. Les pointes de lance assez épaisses, taillées sur les deux faces, sont au nombre de trois; elles mesurent respectivement 62, 71 et 81 millimètres de longueur fig. 55 et 56. Pierre polie. — Les outils en pierre polie comprennent vingt- cinq haches entières ou brisées, un ciseau et deux casse -tête ou marteau i. La matière première utilisée est assez variée diorite, porphyre, chloromélanite, flbrolirhe et jadéite. La diorite et le porphyre se LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 85 rencontrent en Beaujolais, mais les autres roches sont étrangères au pays. Pas plus à Greionges que dans le reste du champ de dos recherches nous n'avons trouvé le silex utilisé pour las instru- ments en pierre polie. Les haches de formes variables rappellent les instruments simi- laires des palaâttes. Leur longueur ae dépasse pas 12 centimètres, leur coupe donne un rectangle très allongé ou un ovale. Le ciseau a fait un long service, son biseau a été retouché plusieurs fois. Pio. 57. — Greionges. 2/3 gi*. nat. L'arme primitive de l'homme, le casse-tête, est représenté par deux spécimens, tous deux cassés vers le trou d'emmanchement. L'un, en diori te, est en forme d'anneau assez épais ; l'autre en por- phyre verdfltre, à cristaux d'orthose rappelant la variolithe, est en forme de marteau ou de pic à deux pointes fig. 57. Les nucléus, au nombre de dix-huit, sont peu volumineux; le plus grand mesure 11 centimètres de long et le plus petit 35 mil- limètres seulement. Le silex apporté de loin était une matière précieuse utilisée jusqu'à refus. Les percuteurs, au nombre de quinze, sont généralement en silex dans la plupart les angles sont effacés par la percussion en sorte qu'ils sont devenus à peu près sphériques. Les meules en grès triasique et plus rarement en granit étaient nombreuses, mais brisées; une vingtaine de volumineux fragments Soc. jinth. — Bi'nuj. préhisl. 6 86 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DB LYON gisaient sur la berge. Parfois circulaires, ces meules affectaient surtout la forme rectangulaire. L'une de ces dernières, que nous avions à peu près pu reconstituer mesurait 65 centimètres sur 38. Les molettes destinées à broyer le grain sur la meule fixe ou dor- mante n'étaient pas rares ; elles étaient formées généralement d'un disque en grès ou en gra nit ; parfois on avait utilisé un caillou sili- ceux allongé, usé, dans ce cas, à ses deux extrémités. Nous possé- dons dans notre collection trois spécimens de ces doubles molettes. Poteries. — Les débris de terre cuite excessivement abondants appartiennent à deux genres de poteries. Les unes, faites à la main, sont grossières, l'empreinte des doigts est facilement recon- naissable, la pâte est parsemée de grains de sable pour la rendre moins sujette à éclater dès le début du chauffage. La cuisson qui devait avoir lieu à l'air libre est inégale en raison du peu d'inten- sité des foyers, il en résulte que dans le môme vase l'argile est par place noirâtre ou grisâtre. La poterie de la deuxième sorte est faite au tour ; outre ses con- tours plus réguliers, elle est encore caractérisée par l'apparition des anses sous forme de mamelons latéraux percés ou non de trous de suspension, puis l'anse est entièrement formée fig. 58. Les bords sont bien dessinés, le col est parfois garni d'un cordon torse, c'est le seul ornement constaté et encore est-il très rare. Quelques vases ont leur fond en forme de calotte crânienne, mais la plupart du temps il est plat. Deux fragments de poterie percés de trous réguliers de 16 mil- limètres de diamètre, ornés de cercles et de croix pattées parais- sent avoir appartenu à une sorte de potager. Cet ustensile pourrait être un peu plus récent que le reste des objets recueillis fig. 59. La matière première utilisée pour la fabrication de ces poteries était prise à même les berges. Aujourd'hni encore, les briquetiers et les tuiliers utilisent le lebm pour lenr fabrication. Faune. — Nous devons à l'obligeance de M. Gaillard, chef de laboratoire au Muséum de Lyon, la détermination des espèces qui composent la faune de Grelonges. 1 PRBHISTORIQUK Homo. — Fragment de maxillaire et dents. Mettes taxus Pall. — Fragment do mandibule droite. Fio. 58. — OrelongeB. 1/ï gr. i Fio. 59. — Gralongea. 1/ï gr. n*t. Canis familiaris L. — Uno carnassière su périeur droite ; Bas primigenius Bojan. — Humeras, dents et astragales ; Bas taurus L. — Humérus et dents ; 88 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON Capra hircus L. — Molaires inférieures et supérieures ; Cervus elaphus L. — Fragments de bois ; Sus scrofa L. — Dents et fragments d'humérus ; Equus caballus L. — Humérus et dents. On voit par cette liste qu'il n'y a pas discordance entre les données de la faune et l'outillage lithique, tous les animaux dont la présence est constatée à Grelonges ont été aussi rencontrés dans les plus anciennes palafiltes. La plupart des os étaient fragmentés dans le sens de la longueur pour en extraire la moelle. Un certain nombre avaient leurs extré- mités rongées, particularité qui aurait déjà fait supposer la pré- sence du chien si son existence n'avait pas été prouvée d'une manière positive par la trouvaille d'une carnassière. Les ossements brisés ou rongés de bos et de capra hircus appartiennent- ils à des animaux tués à la chasse ou à des animaux domestiques ? — Question assez complexe et à laquelle il est diffi- cile de faire une réponse précise et affirmative. Cependant il est convenu de faire remonter la domestication à l'époque où le chien commence à vivre avec l'homme. L'existence de ce compagnon fidèle du chasseur et du berger ayant été constatée à Grelonges, il est probable que des troupeaux d'animaux domestiques ani- maient déjà de leurs ébats les grandes prairies des rives de la Saône. En outre des instruments en pierre taillée ou polie, des poteries et des ossements, il était facile d'extraire de la masse tourbeuse des débris de clayonnages et des fruits encore reconnaissantes, princi- palement des glands, des pépins de pommes et des noisettes. Conclusions. — La nomenclature des objets trouvés à Grelon- ges nous permet de supposer, par la prédominance des outils sur les armes, que la peuplade dont l'existence nous a été révélée d'une si étrange façon était composée de gens paisibles, agri- culteurs et pasteurs, et, en raison de la situation exceptionnelle de leurs habitations, surtout commerçants. Par suite de la présence d'instruments fabriqués déjà aux épo- ques antérieures comme les pointes en feuilles de laurier, les LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 89 racloirs longs et minces qui se rencontrent fréquemment à l'époque solutréo-magdalénienne, nous sommes conduit à faire remonter la construction des palafittes de la Saône au début de la période néo- lithique. Nous n'avons pas trouvé trace de métaux dans ce gisement ; mais il serait imprudent de conclure à l'absence des habitants de Grelonges pendant les époques du bronze et du fer. Des trou- vailles futures pourraient nous forcer à modifier des conclusions trop hâtives. Nous pouvons rapprocher le gisement de Grelonges de celui du Pas-de Grigny Seine-et-Oise, ancien gué qui a donné de nombreux débris des époques préhistoriques. Un fait historique important illustre ce gué ; on nous permettra de le rapporter quoiqu'il sorte un peu de notre sujet On sait que vers Tan 58 avant les Helvètes, pour échapper aux incursions des tribus germaniques, voulurent mettre à exé- cution le projet formé depuis longtemps d'aller s'établir sur les bords de l'Océan. À cette nouvelle le Sénat romain envoya deux légions sur les bords du Léman et traita avec les Eduens et les Séquanes pour qu'ils défendissent les passages du Jura. Les Helvètes n'en persistèrent pas moins dans leur projet. Après avoir brûlé leurs villages, ils se réunirent au nombre de émigrants , dont guerriers, se rassemblèrent sur les bords du lac de Genève et demandèrent à traverser la province romaine promettant de n'y causer aucun dommage. Jules César, alors proconsul, refusa cette autorisation, fit couper le pont de Genève et élever par ses légions sur la rive gauche du Rhône un mur haut de 16 pieds et long de pas qui rendait très difficile le passage du fleuve. Puis il se rendit en toute hâte en Italie chercher du renfort. Profitant de l'absence de Jules César, les Helvètes forcèrent les cluses du Jura à Châtillon-de-Michaille et à Nantuaet envahirent le plateau des Dombes. Ils traversaient la Saône lorsque Jules 90 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DR LYON César les atteignit et défit leur arrière-garde composée de Tigurins. Steyert prétend que ce passage eut lieu en face de Villefranche . ... Les Helvètes, dit-il, étaient en train de traverser la Saône sur des radeaux un peu au-dessus de Trévoux, en face de Ville - franche actuel, où cette rivière coule avec tant de lenteur qu'elle paratt immobile... Le combat s'étendit sur un développement de plus de 5 kilomètres, de Jassans à Fareins ; la poype de Riottiers , où une poignée de braves paraît s'être retranchée, fut le théâtre d'une résistance acharnée ; c'est là surtout que l'on trouvait, il y a trente ans à peine, le plus grand nombre de pilums et de javelots semblables à ceux découverts à Alise... 1 . » Nous ne nions pas le passage sur des radeaux pour tous les impedimenta que traîne avec lui un peuple en exode, mais cette opération paraît extraordina re lorsqu'à 4 kilomètres en amont un gué permettait aux personnes valides de traverser promptement la rivière. A défaut d'espions chargés d'éclairer la route et d'indiquer les meilleurs passages, les sentiers qui aboutissaient de toutes parts aux gués les signalaient suffisamment à l'attention. En face de Grelonges s'amorçait une vieille route ou piste, citée par M. dans ses Voies antiques du Lyonnais, qui tra- versait la Ludna celtique, franchissait le premier escarpement de la chaîne beaujolaise au col de la Poyebade, puis, par les cols de Crie et de Champjoint, pénétrait dans les plaines du Gharolais ou par les hauts passages de Ghenelette et des Echarmeaux, les vallées du Botoret et du Sornin, conduisait directement au gué de Roanne sur la Loire. Pour nous, Je fait s'est passé ainsi les Helvètes, arrivés à la Saône, probablement par la vallée du Formans, se mirent en quête d'un gué et remontèrent à cet effet la rive gauche du cours d'eau. C'est ce qui explique qu'on ne trouve pas en amont de Fareins des traces de la défaite que leur infligèrent les Romains, Grelonges étant à la hauteur de ce village, et les Helvètes devaient considé- rer lé gué comme leur point terminus vers le nord. 1 A. Steyert, Nouvelle Histoire de Lyon, p. 89. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 91 On nous pardonnera cette longue digression en raison de l'im- portance que présente le fait pour l'histoire de la région. Station de Bourdelan. — Bourdelan est une de ces minences sableuses élevées de 15 à 20 mètres, et dominant la rire droite de la Saône. Elles sont formées des lambeaux de la basse terrasse dont nous avons déjà parlé maintes fois, notamment au sujet du gisement à la fois paléontologique et archéologique de Villefranche. Les silex ouvrés sont localisés à l'ouest des maisons de Bourde- lan, à la lisière des prairies arrosées par la source abondante qui prend naissance près du château de la Fontaine qui lui doit son nom. La station, d'après nos constatations, doit d'étendre surtout dans les prairies où les recherches sont à peu près impossibles; leur défrichement réserve, sans doute, des surprises aux paléo- ethnologues de l'avenir. Comme taille et patine, les pièces de Bourdelan ressemblent étonnamment à ceux de Boitrait. Ils doivent être, comme ces derniers, l'œuvre de peuplades contemporaines, principalement ichtvopbages, établissant leurs demeures sur les points à l'abri des plus fortes inondations du cours d'eau. Cette station nous a donné un grand nombre de silex taillé*, Fin. 60. — Bourdelan Ville franche. Or. Dit. presque tous incomplets, à l'exception de deux grattoirs épais et courts, d'une pointe de flèche amygdaloïde, taillée sur les deux faces, à base arrondie, trois pointes à barbelures fig. 60 et quel - ques lames. A signaler encore trois petits nucleus et un percuteur formé d'un fragment de porphyre. 92 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON Station de Saint-Ennemond. — A 150 mètres au nord de la vieille chapelle de Saint-Ennemond, commune de Cerné, les vignes qui se trouvent à droite de la route conduisant à Pizay sont jonchées de fragments de silex ouvrés. La station placée sur le versant méridional d'une colline a pentes douces, constituée par des alluvions anciennes avec sous- sol granitique, occupe une surface approximative d'un demi- hectare. Les instruments entiers comprennent une quinzaine de lames, cinq grattoirs i sommet épais et retouché en demi-cercle, un Fio. 61. — Saiot-Eimeraood Cercié. Or. nat. tranchet, une pointe de flèche flg. 61. Les pièces sont multico- lores ; tandis que quelques-unes sont cacholonnées, d'autres ont conservé la couleur naturelle du silex qui va du blond translucide au rouge presque vif. Les silex portant des traces évidentes de taille récoltés dans ce gisement, s'élèvent à plus de 250. Station de l'Izérable. — Les Romains, après la conquête de notre pays, avaient fixé le centre du gouvernement à Lyon, dont ils avaient apprécié, avec le flair qui les caractérisait, l'importance de la situation. C'est de cette ville que rayonnaient les grandes voies construites sous l'habile direction d' Agrippa, gendre d'An- guste, pour assurer les relations commerciales avec les points extrêmes de la nouvelle colonie. Sur ces voies principales se gref- faient des voies secondaires compendivm, reliant par un réseau LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 93 bien ordonné les postes habités et les centres militaires chargés d'étouffer dans leur germe les velléités d'indépendance des patrio - tes de la vieille Gaule. D'après M. G. Guigne 1 , plusieurs de ces voies compendiaires se détachaient à l'Izérable, commune de Morancé, au nord du Mont-d'Or, de la grande artère de Lyon à Boulogne-sur-Mer. Il est fort probable que, pour ces voies abrégées, les Romains s'étaient bornés à rendre plus viables les anciennes pistes suivies par les peuplades primitives dans leurs déplacements périodiques à la poursuite des animaux migrateurs. La présence d'une station préhistorique à l'Izérable et la trouvaille d'instruments en pierre aillée ou polie le long des voies qui y aboutissaient, forment un ensemble de preuves à l'appui de notre supposition. Gette station est à 300 mètres de la rive gauche de l'Azergues, non loin du chemin qui relie les Chères à Morancé. Les silex tra- vaillés se rencontrent assez nombreux dans les champs avoisinant les prés qui bordent la rivière. Les instruments appartiennent à la période néolithique, ils sont assez mal fabriqués et presque toujours minuscules. Apartla grossièreté de leur taille, ils ne se distinguent guère, comme forme et composition lithologique, de ceux de Boitrait et de Bourdelan. Pour éviter la monotonie, nous ne recommencerons pas la description de pièces déjà connues des lecteurs, disons seulement qu'elles se sont rencontrées au nombre de 180. Station du Breuil.— La vallée de l'Azergues, la plus lon- gue du Beaujolais en est aussi une des plus pittoresques. Au nord» vers la source de la rivière, c'est le pays alpestre avec ses forêts de conifères et ses maigres champs de blé impuissants à faire vivre sa population, qui a dû chercher un supplément de ressources dans le tissage de la soie. Au sud, à partir d'Allières, les coteaux cou- verts de vignes annoncent une terre plus féconde et plus enso- leillée. 1 M. G. Guigue, Les voies antiques du Lyonnais, du Beaujolais et du Forez. 94 société d'anthropologie DE LYON De riants vallons s'ouvrent à droite et à gauche, recelant des ruisseaux jaseurs qui vont grossir l'Azergues. Les villages de la vallée sont nombreux et prospères. Quelques-uns comme Chame- let, Ternant, Oingt et Ghâtillon couronnent les hauteurs et rap- pellent l'époque chevaleresque, mais peu sûre du moyen âge. Ils renferment encore de hautes tours féodales couleur de rouille qui, bien que démantelées, dominent toujours fièrement les maisons dévalant aux flancs des coteaux. Des abrupts dominent parfois la rive gauche de la rivière, notam- ment à Lozanne et au Breuil. A 150 mètres en aval de ce dernier village, au cours d'une excursion, nous vîmes dans une vigne nou- vellement plantée, située entre la route de la vallée et les rochers de l'abrupt, des ossements blanchissant au soleil. Puis des silex taillés se montrèrent çà et là se détachant en blanc sur la teinte ocraeée du sol. Deux grattoirs, six lames, un nucleus et une cinquantaine de pierres brisées furent recueillis à quelque distance de la base de l'abrupt masquée par un talus d'éboulement. Les caractères de la taille du silex, principalement la forme des grattoirs épais et lourds rangent cette station dans la période néolithique. Les os portés au laboratoire du Muséum de Lyon furent reconnus pour appartenir au cheval. La situation de cette station est des plus heureuses. Exposée au sud, elle est protégée des vents du nord par l'abrupt et de celui du nord-est par une saillie du rocher. De plus, l'Azergues coule non loin de là ; l'eau, condition essentielle des stations préhistori- ques durables ne faisait donc pas défaut. Il y a lieu de supposer que des fouilles méthodiques opérées dans les éboulis de la base de l'abrupt permettraient de retrouver les foyers et tout l'outillage de l'homme primitif, Nous avions l'inten- tion de procéder à ces constatations, malheureusement le mauvais vouloir du propriétaire du sol ne nous a pas permis d'étudier comme elle le mérite cette station contre roche. Station de Dorieux. — La pointe de terre appelée Dorieux, autrefois Deurieux, de duo bus rivis, tire son nom de sa LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 95 situation au confluent de la Brevenne et de l'Azergues. Placé à l'en- trée des vallées de ces deux rivières, dans une situation facile à défendre par suite des collines aux flancs escarpés qui l'entourent, ce lieu fut habité dès la plus haute antiquité, comme le prouvent les nombreux vestiges appartenant à diverses époques qu'on y rencontre. Quelques maisons disséminées dans les champs ou groupées près des ponts jetés sur les deux rivières, forment tout le contin- gent de la population actuelle. Vers le commencement du xm e siècle, Guichard d'Oingt fonda à Dorieux un monastère de dames bénédictines * ; l'église qui fut construite à la môme époque prit bientôt le rang de paroisse. Ge monastère eut grandement à souffrir des guerres religieuses du xvi e siècle et unit, en 1636, par être réuni, avec tous ses biens, à celui de Sainte- Marie-de-1' Antiquaille. L'église de Dorieux fut alors abandonnée. Il reste de cette époque quelques murailles, deux écusson8 et les ruines de deux anciens ponts. Une grande quantité de débris romains se rencontrent dans les champs voisins du confluent briques, tuiles à rebords, poteries rouges ornées d'ornements en relief, poteries à vernis noir, etc. Dorieux était d'ailleurs le point de croisement de deux voies com- pendiaires, l'une qui longeait la Brevenne et allait rejoindre à l'Arbresle la voie des quadriges; l'autre qui suivait la vallée de l'Azergues, puis celle du Soannan et se rendait à Thizj en passant par Valsonne. D'après le baron Raverat 2 , un pont en charpente détruit depuis une vingtaine d'années reposait sur les piles ren - versées d'un ancien pont romain. Un vieillard, propriétaire à Dorieux, nous a raconté avoir mis jadis à découvert des cavités rectangulaires garnies d'un ciment rougeâtre fort dur et contenant plusieurs urnes. D'après sa des- cription, nous avons compris qu'il s'agissait d'un cimetière par incinération. 1 A. Vachez, Le château de Châtillon-d 1 A zer gués, sa chapelle et ses seigneurs. * Baron Raverat, Autour de Lyon, p. 526. 95 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Si nous remontons toujours le cours des siècles, nous trouvons encore les traces de l'homme sous forme de silex taillés. Quelques instruments étaient mêlés aux débris romains, mais le plus grand nombre gisaient vers l'extrémité de la colline de Coleymieux, à proximité d'une source qui jaillit à mi-côte de l'escarpement. Une cinquantaine de pièces recueillies présentent tous les carac- tères de la période néolithique ; cependant quelques rares instru - ments d'une patine différente des autres présentent le faciès des types dits du Moustiers, entre autres un racloir brisé. III MÉGALITHES Les mégalithes sont très rares dans l'est de la France, et le département du Rhône est le plus pauvre d'entre les pauvres. Est-ce à dire qu'il n'y en a jamais eu? Un observateur superficiel serait tenté de l'affirmer; mais s'il parcourt le pays en suivant les vieux chemins, il les trouvera jalonnés par de nombreux Pierre- ûtte, Pierre plantée, Pierre des fées, etc. Si, de plus, il a la bonne fortune de pouvoir se faire raconter les légendes par quelque vieil- lard avant conservé la foi dans les traditions de ses ancêtres, alors ses idées se modifieront. Il sera persuadé que les menhirs, sphinx de pierre brute, non moins mystérieux que ceux de l'Egypte, et les dolmens, tombeaux d'une race qui aimait à faire grand, furent dans notre pays nombreux et vénérés. On a essayé d'expliquer de diverses façons cette rareté des mégalithes dans l'est ; on a prétendu par exemple que les matériaux faisaient défaut. Cette raison est un peu enfantine pour qui connaît nos montagnes et a vu les amoncellements de blocs de granit, de porphyre ou de grès qui couronnent certaines hauteurs. Le département d'Eure-et-Loir est un de ceux qui possèdent le moins de matériaux utilisables pour l'érection des mégalithes et, cependant, dans la carte de la répartition des dolmens en France, il figure avec le chiffre respectable de 89. Certains noms typiques donnés dans toute la France aux menhirs et aux dolmens se retrouvent en grand nombre dans le Beaujolais, on en jugera par la liste ci-dessous Pierre plantée commune de Vauxrenard. — — de St-Just-d'Avray. — — de Theizé. 08 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON Pierre plantée Pierrefitte . . Pierre longue. La maison des Fées. La cheminée des Fées La pierre scellée . . V église des Fous fées Les pierres des Fées Le tombeau de Gargantua — de Valsonne. — de Ronno. — de Dième. — de Ghenelette. — de Monsols. — des Ardillats. — de Ri volet. — de Propières — de Propières. — de — de Ronno. — d'Avenas. — de Vauxrenard. — de Vauxnenard. Il nous est arrivé maintes fois de trouver des silex taillés près de ces lieux-dits, notamment à Pierre plantée, commune de Vaux- renard, à l'église des Fées, commune de Ronno et aux pierres des Fées, commune d'Avenas. Il faut, croyons- nous, chercher la principale raison de la dispa- rition des mégalithes dans l'intolérance religieuse. Les premiers évéques de Lyon, Pothin, Irénée, venus de l'Orient, ne connais- sant rien de l'esprit de l'ancienne Gaule, imposèrent facilement aux habitants de la région, asservis depuis longtemps sous la domina- tion romaine, la nécessité de faire disparaître les dolmens et de porter ainsi une main sacrilège sur les tombeaux de leurs ancêtres. Dans l'ouest, la population plus primitive, plus farouche, résista aux saintes objurgations. Ses évéques, sortis des rangs du peuple, conservant peut- être au fond du cœur un reste des vieilles croyances dont on avait bercé leur enfance, au lieu de faire détruire les pierres sacrées se contentèrent, comme le dit du Gleuziou, de timbrer les menhirs du signe de la croix pour les sanctifier à toujours. » Les conciles des premiers siècles de l'ère chrétienne lancèrent à Tenvi l'anathème sur ceux qui continuaient d'aller en cachette LE BBAUJOLAIS PREHISTORIQUE 99 dans les landes désertes, au coin des bois, près des sources sacrées, répandre des fleurs, faire des libations et autres cérémonies impies. En 452, le concile d'Arles déclara sacrilèges ceux qui n'emploie- raient pas leur pouvoir à faire disparaître les coutumes d'adorer les fontaines, les arbres et les pierres. En 567, le concile de Tours ordonna aux prêtres de chasser des églises ceux qui continuaient à faire des cérémonies devant les pierres. Celui de Nantes, en 568, engage les évoques à faire détruire les pierres objets d'un culte. Enfin, dans un capitulaire de Charlemagne daté d'Aix-la-Cha- pelle, en 789, il est dit Que celui qui, suffisamment averti par la publication, ne ferait pas disparaître de son champ les simula- cres qui y sont dressés ou qui s'opposerait à ceux qui auraient reçu l'ordre de les détruire soit traité comme sacrilège. » Saint-Romain, archidiacre d'Ainay au v e siècle, signala son zèle pour le christianisme en détruisant dans les environs de Lyon les pierres sacrées et les autels consacrés aux faux dieux. L'Eglise avait beau fulminer ses anathèraes, les fervents con- tinuaient à répandre en secret sur les vieux monuments de l'huile et des libations de toute espèce. N'osant parfois les renverser de peur des fureurs populaires, le clergé voulut les sanctifier et les mit sous le vocable de quelque saint ou sainte afin de faire tourner au profit du christianisme les cérémonies qu'il ne pouvait supprimer. C'est ainsi que l'église des Sept- Saints, commune du Vieux-Marché Côtes- du-Nord a été construite sur un dolmen qui lui sert de crypte. Au moyen âge, le dolmen de Saint-Germain- sur- Vienne Charente a été converti en chapelle, etc. Les menhirs furent surmontés d'une croix la Pierre-Sain t-Jouan Ille-et-Vilaine ; la Pierre-de-la-Justice, près de Lannion ; la Grosse-Pierre, commune de la Tour-Landry Maine et-Loire ; la Pierre-du-Miracle à Pontuzval Finistère sont dans ce cas ainsi que beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer. Nous n'avons rencontré jusqu'à ce jour aucun véritable dolmen en Beaujolais. Il en existait cependant encore un, paraît-il, il y a une quarantaine d'années dans la partie de la forêt du Favret 400 société d'anthropologie de lyox appelée la Grotte des Fées. Le Journal de Villefranche rapporte qu'en 1856 une énorme table de pierre de près de 4 mètres de long, sur 2 mètres de large, fut amenée de ladite forêt dans le parc du château de la Ronze où on la voit encore. Il ne fallut pas moins d'une trentaine d'hommes aidés d'une douzaine de paires de bœufs pour mener cette entreprise à bonne an. Nous nous sommes ren- du compte qu'il n'existait pas de grotte dans la forêt du Favret ; le nom de Grotte des Fées aurait donc été donné à la crypte sé- pulcrale du dolmen. Certaines cérémonies se rattachant à la vénération des peuples primitifs pour les mégalithes se pratiquent encore de nos jours en Beaujolais. Ainsi les antiques chapelles de Saint-finnemond, com- mune de Cercié, de Saint-Pierre, commune de Charentay et de Rofray à Saint-Georges-de-Reneins, renfermaient ou renferment toujours des pierres miraculeuses dont on racle la surface à l'aide d'un couteau ; la poudre produite est avalée par les patients et guérit d'une foule de maux. La chapelle de Saint-Ëunemond, construite ou reconstruite vers le xv e siècle, remaniée depuis, faisait partie d'un doyenné. Une pierre sacrée qui se trouvait dans l'intérieur de cette chapelle a été enlevée dernièrement et déposée dans la cour d'une maison voi- sine. Les pèle ri ns encore nombreux qui n'ont pas perdu la foi dans les vertus de la pierre guérisseuse vont bien s'agenouiller au pied de l'autel, mais ils n'oublient pas la poudre miraculeuse but avoué du remiage pèlerinage. La pierre de Saint-Ennemond guérit les maux de dents et les coliques infantiles. Rappelons qu'à une centaine de mètres au nord-est de Saint- Ennemond nous avons constaté l'existence d'une station néolithique décrite plus haut. La chapelle de Saint-Pierre construite au sommet de la colline de Garanches est très ancienne et menace ruine ; elle était le but d'un pèlerinage à peu près abandonné depuis une cinquantaine d'années. Gomme à Saint-Ennemond, la pierre guérisseuse était dans la chapelle, puis fut brisée ou enterrée sans doute par les soins du clergé local. Les pèlerins ne se découragèrent pas et s'at- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 101 taquèrent à l'autel dont la table est couverte de cicatrices bou- chées avec du plâtre, en 1876, lors des réparations que firent exécuter à la chapelle deux propriétaires du pays. Les habitants de la Bresse et des Dombes s'y rendaient le jour de la Saint- Pierre, le 29 juin, et emportaient consciencieusement les parcelles de pierres qui devaient remplir l'office de quinine et couper les accès de fièvre paludéenne. À l'heure actuelle, c'est à peine si une vingtaine de pèlerins vont encore annuellement à cette chapelle. A peu de distance de la chapelle de Saint-Pierre, à l'embranche- ment de deux chemins dont l'un est l'ancienne voie traversant le Beaujolais du sud-est au nord-ouest, de Grelonges àAigueperse, se dresse un bloc erratique de grès ayant grossièrement la forme d'un triangle dont le sommet serait en haut. Ce bloc présente les dimen- sions suivantes longueur de la base l œ 85 ; hauteur l m 10 ; épaisseur moyenne m 50. C'est la Grosse-Pierre comme on la nomme dans le pays. Beaucoup plus élevée autrefois, si l'on s'en rapporte aux dires de quelques vieillards, elle était surmontée d'une croix au- jourd'hui renversée. Les habitants prétendent qu'en 1814 les Autrichiens allaient y brûler les mobiliers des hameaux voisins. Cette pratique nous parait douteuse ; il est probable que, comme les Teutons de nos jours, les envahisseurs se seraient épargné un déménagement en brûlant contenant et contenu. Cette légende ne serait-elle pas plu- tôt une réminiscence de cérémonies fort anciennes dont les habi- tants n'auraient conservé qu'un vague souvenir, comme les feux de la Saint-Jean, par exemple ?... Nous avons remarqué que, pour beaucoup de gens illettrés de la campagne, l'invasion de 1814 commence à entrer dans le légendaire; ils ne se font aucun scrupule de dire d'une chose ancienne Ça remonte au temps des Romains ou des Autrichiens !» N'y aurait-il pas aussi une certaine relation entre ces pierres et notre antique chapelle ? On a remarqué, comme nous l'avons dit plus haut, que des temples chrétiens ont remplacé ou ont été élevés près des pierres sacrées, dans le but évident d'opposer la religion nouvelle à l'ancienne. Soc. anth. — Beauj. préhist. 7 , 102 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE RE LYON Ainsi, d'après Monnier et Vingtrinier, le territoire de Nantua était jadis désigné sous le titre de Saint- Pierre ; or, on y voyait les restes d'un monument mégalithique désigné sous le nom de Maria-Mâtre. La paroisse de Lay-sur-ls-Doubs, voisine de Longe- Pierre est sous l'invocation de Saint-Pierre ; une église consacrée à Notre-Dame est près de la Pierre-Tournole, à Chariez Haute- Saône ; la chapelle élevée près de la pierre à écuelles de Glévis, eommune de Saint-Romain-de-Popey Rhône est dédiée à la Sainte Vierge ; sur le territoire de la commune d'Odenas où se retrou* vent tant de débris préhistoriques, l'église était primitivement sous le vocable de saint Pierre et la paroisse, dans les anciens titres, est désignée sous le nom de Saint-Pierre d'Oudonnas ou d'Odonnaz. Nous pourrions multiplier les exemples. On peut se demander pourquoi, dans ce cas, les temples chrétiens sont plutôt placés sous le vocable de la Sainte Vierge ou de saint Pierre que sous celui de tout autre saint. Voici comment Monnier et Vingtrinier, dans leur intéressant ouvrage Les traditions populaires comparées, expliquent ce choix Il est présumable que l'on choisit la première parce qu'une aiguille de rocher affecte assez volontiers, de loin, la figure d'une grande femme ; et que l'autre fut choisi à cause de la signification de son nom traduit du syriaque Géphas Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. » Voilà comment l'idée d'une pierre sainte a pu disparaître devant celle de saint Pierre et eomment on a fini par oublier le dieu-rocher dans son désert. l » De même qu'à Saint-Ennemond nous avons récolté de nombreux silex taillés soit près de la chapelle de Saint-Pierre, soit dans le voisinage de la Grosse-Pierre. La troisième chapelle à pierre sainte, celle de Rofray, sous le vocable de saint Etienne, est située au milieu des terres labourées à quatre-vingts mètres environ de la rive droite de la Vauxonne. Le bâtiment actuel, rectangulaire et sans aucun caractère ne paraît pas avoir plus de deux à trois siècles d'existence. L'autel 1 Monnier et Vingtrinier, Traditions populaires comparées, p. 570. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 103 formé de pierres assez grossièrement équarries est appuyé contre le mur du fond. La pierre merveilleuse était scellée à l'extérieur de la chapelle, derrière l'autel. C'était un bloc calcaire blanchâtre de m 50 de diamètre, de forme à peu près carrée qui nous a paru être un fragment de dalle. La face visible était couturée de sillons profondément dessinés et dont quelques-uns étaient récents, lorsque nous l'examinâmes, en 1896. La poudre de la pierre miraculeuse guérissait les maux de dents, les douleurs et... la stérilité. Donnons à ce sujet la parole au ba- ron Raverat à qui nous laissons la responsabilité des moyens cura- tifs indiqués pour la guérison de cette dernière affection. c Outre la chapelle de Notre-Dame-des-Eaux *, où les paysans viennent prier quand règne la sécheresse, il en existe une autre, dans un endroit isolé, au milieu des prairies ; celle-ci n'est fré- quentée que par le sexe féminin. Desservie par un ermite, elle était célèbre parles pèlerinages qu'y faisaient les femmes affligées de stérilité. Grâce à la ferveur des prières de l'ermite, les pèle- rines jeunes et jolies voyaient toujours leurs vœux exaucés. 2 » Les pratiques peu orthodoxes auxquelles donnaient lieu la pierre de Rofray auront sans doute indigné quelque chrétien fervent, car la pierre a disparu dernièrement et nous n'avons pu savoir ce qu'elle était devenue. Dans les berges de la Vauxonne, un peu en amont de la cha- pelle, nous avons trouvé en place un petit foyer néolithique situé à 5 mètres de profondeur et qui n'avait pas plus de m 60 de dia- mètre. Il n'est pas rare d'ailleurs de trouver des silex taillés dans le lit de la rivière et comme les graviers sont parfois utilisés comme matériaux d'empierrement, il arrive de récolter des pièces préhistoriques sur les routes les plus fréquentées. La chapelle est assez isolée ; à peine aperçoit-on çà et là quelques maisons dispersées au milieu des champs. Il n'en était pas ainsi autrefois, si l'on en croit les débris de tous genres qui jonchent le sol des environs ; la population devait même y être assez dense. 1 Ancienne chapelle située sur le territoire de la commune de Saint- Georges-de-Reneins. 2 Baron Raverat, Autour de Lyon, p. 503. 104 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Non loin de la chapelle se reconnaissent les traces d'un vieux chemin, orienté simple sentier actuellement, mais qui avait jadis une certaine importance puisqu'un pont en pierre, dont on reconnaît encore les traces, avait été construit pour faciliter la traversée de la Vauxonne. Ce chemin est jalonné par des stations romaines. La plus impor- tante est facile à étudier dans les berges de la rivière, à l m 20 de profondeur et sur une longueur d'une centaine de mètres. Les tuiles à rebords, larges et épaisses, ajant un ou deux demi-cercles comme marque de fabrique sont en majorité ; on y trouve aussi des briques et quelques rares fragments de vases communs, contrairement à ce qui s'observe la plupart du temps dans les gisements romains. Les charbons brûlés qui noircissent le sol, les cendres, les poteries calcinées et comme vitrifiées qu'on y ren- contre fréquemment prouvent qu'il s'agit d'une agglomération d'habitations détruites par un incendie. On peut rapprocher les curieuses cérémonies qui se faisaient autrefois aux chapelles de Saint-Ennemond, Saint-Pierre et Rofray, à d'analogues ayant lieu dans d'autres parties de la France. M. de Mortillet cite le dolmen de Port-Mort Eure qu'on consi- dérait comme le tombeau de saint Ethbin et sous lequel les malades passaient pour se guérir des maux de reins. En Bretagne, les jeunes femmes vont se frotter contre les menhirs de Ploucarnel pour devenir mères d'une postérité pure. En Franche- Comté, dans l'église de Mouthier- en-Bresse, se voyait jadis la pierre de Saint-Vit, sur laquelle on roulait les enfants malades pour leur rendre la vitalité, en disant, par allusion au nom du saint Vis, vis, vis. Cette pierre de Saint-Vit, disait Gourtépée, déshonore l'église et la religion on la suppose avoir été transportée du royaume de Naples, où le saint fut mar- tyrisé sous Domitien. On y porte les enfants malades auxquels le froid de la pierre ôte quelquefois la vie '. » La pierre d'Appétit de Verdun-sur-le-Doubs, donnait lieu 1 Courtépée, Description de la Bresse chalonnaise, p. 249. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 105 autrefois, de la part des jeunes mariés, à certaines cérémonies dont le but est facilement expliqué par le nom donné à la pierre. ce Dans TOisans, dit M. Faisan, les filles et les veuves qui Toulaient trouver un mari montaient à l'oratoire de Brandes et restaient longtemps prosternées devant l'autel en tenant entre leurs genoux une sorte de Terme en pierre appelée la Pierre de Saint-Nicolas. » En présence des pratiques décrites plus haut et qui n'ont rien à voir avec le catholicisme, la conclusion qui s'impose naturellement à l'esprit c'est que Ton se trouve en présence d'un reste du culte rendu par les primitifs aux pierres commémoratives et à celles qui recouvraient les restes vénérés de leurs ancêtres, culte qui s'est modifié profondément dans le cours des siècles sous l'influence de causes nombreuses. Certaines aiguilles de roches et des chirats simulent parfois des mégalithes, menhirs ou dolmens contre lesquels il est bon de mettre en garde les débutants en archéologie préhistorique. Telle est la Pierre plantée de Valsonne, bloc prismatique de porphyre de 2 m 50 de hauteur posé sur des rochers de même nature et qui, à distance, ressemble étonnamment à un menhir. Signalons aussi les chirats connus sous le nom de Pierres blanches, sur le territoire de Ri volet, dans les bois de Ghâtoux, où la main de l'homme n'entre pour rien dans leur disposition qui est l'œuvre d'un architecte incomparable la Nature. Nous ne pouvons passer sous silence, dans ce chapitre consacré aux mégalithes, un cromlech signalé par Melville Glower, en 1876, et qui aurait existé sur le territoire de la commune de Ronno au lieu dit Les Salles. D'après les blocs qui existaient encore au moment où Melville Glower vit pour la première fois ce monument et la position qu'occupaient ceux qui étaient disparus, position qui lui fut indi- quée par les habitants, cet observateur crut reconnaître un vaste cercle en renfermant deux autres plus petits et précédés d'aligne- ments. Le terrain où se trouvait ce cromlech hypothétique appartient à la commune de Ronno qui le loue à des particuliers. Un sieur 106 société d'anthropologie de ltok Tournus, fermier de ces communaux, a fait sauter a la poudre toutes ces pierres qui gênaient la culture ; il a reçu de ce fait, pour ce beau travail, une prime de douze cents francs. En 1897, lorsque nous avons visité Les Salles, il n'existait plus des cercles de pierre qu'un bloc de porphyre d'environ 3 mètres cubes. Leur emplacement a fourni quelques silex de couleur bleuâtre, entre autres un pereoir. Fia. 62. Le bâtiment appelé l'église des Fous fées, situé près du crom- lech, était de forme rectangulaire; les murs, de 1 mètre d'épais- seur, n'ont guère plus de 1 mètre aussi de hauteur. Ils sont formés de pierres brutes simplement juxtaposées, sans trace de mortier d'aucune sorte. Quelques fragments de poterie grossière trouvés dans les décombres rappellent la céramique de l'époque du bronze. Nous ferons remarquer qu'à 1 kilomètre, au sud du bourg de Ronno, existe un lieu dit du nom de Pîerrefltte, rappelant une pierre levée, détruite à une époque i LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 107 Le plan ci-contre fig. 62, reproduit d'après le travail de Mel ville Glover, donne une idée de ce cromlech qui, si l'obser- vateur n'a pas été dupe de son imagination, présentait une analogie frappante avec le monument d'Àbury, en Angleterre. Les pierres à écuelles. — Les pierres à écuelles se rat- tachent aux mégalithes, puisque les cavités qu'on nomme, suivant leur grandeur bassins, écuelles ou cupules ont été creusées fort souvent sur les menhirs, les tables des dolmens, et sont probable - ment synchroniques. On en est réduit aux suppositions au sujet de la signification de ces cavités qu'on trouve dans toutes les parties du monde et qui sont creusées non seulement sur les mégalithes, mais sur les parois des rochers, et le plus souvent ornent les blocs erratiques. Cer- tains auteurs, à l'imagination féconde, ont considéré les cavités creusées sur les tables des dolmens comme étant destinées à rece- voir le sang des victimes qu'on y sacrifiait et avec lequel le prêtre bénissait la foule assemblée!... L'abbé Mahé, chanoine de Vannes, qui ne voit dans les mégalithes que des chapelles cantonales dont Garnac est la cathédrale 1 », en parlant d'un bloc orné de seize cavités et de rigoles, émet encore l'avis original suivant Après avoir bouché, dit-il, avec de la cire, les extrémités des petits canaux, le druide répandait dans les seize bassins autant d'espèces de liqueurs, telles que de l'eau, du lait, du sang des victimes, et, après que les génies avaient humé les espèces de libations qui étaient à leur goût, on débouchait les rigoles pour laisser couler les liqueurs sur la terre 2 . » Il est certain que ces cupules, écuelles ou bassins ont été faits intentionnellement et dans un but qui nous échappe ; bornons-nous pour le moment à les signaler et à recueillir les croyances super- stitieuses qui s'y rattachent, toute conclusion à leur sujet serait prématurée. Le Beaujolais renferme également quelques pierres à bassina, 1 Abbé Mahé, Essai sur les antiquités départementales du Mor- bihan^ p. 37. 2 Loc. cit. p. 105. 108 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON les principales sont les pierres des fées de Saint-Just-d'Avray et la pierre de Clé vis. Les Pierres des fées sont formées d'un amas de blocs porphy- riques entassés sur l'arête orientale du Grét-de-Néry qui domine la rallée de l'Azergues. L'un d'eux, qui mesure 3 m 20 sur 2*20, légèrement incliné vers l'orient , présente sur sa face supérieure, la seule visible, quatre cavités creusées de main d'bomme. Trois de ces bassins sont ovales et le quatrième a une forme demi-sphérique. Leurs dimensions sont les suivantes Longueur. Largeur. Profondeur. Grand bassin ovale . . 29 cent. 23 cent. 13 cent. Moyen bassin ovale . . 21 — 19 — 6 — Petit bassin ovale. . . 9 — 7 — 2 — Bassin demi-sphérique .13 — 10 — 6 — Les parois n'ont pas la régularité et le poli primitifs ; par suite de leur position presque horizontale, ces cavités se remplissent d'eau à chaque averse, et les alternatives de gel et de dégel ont désagrégé légèrement les surfaces. Le dessin en est cependant trop correct pour être un jeu de la nature, elles sont d'ailleurs rassemblées sur une surface de moins de 1 mètre carré et les nombreux blocs disséminés dans les environs, d'une composition identique, ne présentent rien de semblable. Ges cavités sont appe- lées, dans le pays, la marmite et les écuelles des fées, et c'est à leur sujet qu'on nous a raconté la curieuse légende que nous reproduisons plus loin. Par leur forme ovale, ces bassins rappellent ceux de la pierre de Phébou, canton de Vaud, décrite par Troyon en 1849; en outre, la profondeur du plus grand est exactement celle de quatre cavités du même genre creusées sur des rochers de la vallée d'Emblavés Haute-Loire, étudiées par M. Aymard, du Pny. Ges pierres, au lieu d'être consacrées aux fées, le sont à saint Martin, et les cavités de la plus grande ne sont autres que sa vaisselle la crémaillère, le chaudron, la marmite, la casserole et l'écuelle. M. Desor, le savant paléoethnologue suisse, s'est beaucoup occupé de ces empreintes qu'il fait remonter à l'époque de la pierre LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 109 polie. Très nombreux en Suisse, ces monuments sont assez rares dans Test de la France. M. Faisan a cependant signalé depuis longtemps la boule de Gargantua, bloc erratique couvert d'une soixantaine de cupules situé à Thoys, près Belley, et devenu la propriété de l'Etat. Dans les environs de Lyon, le menhir de Décines, étudié par MM. Faisan et Chantre, est orné de sept bas- sins disposés en ligne droite. M. Faisan le décrit ainsi ce La seconde pierre à écuelles que j'ai à signaler apparaît dans un champ, à Décines, au nord-est de Lyon. Elle est connue sous le nom de Pierre Fitte, Fritte ou Frette, ce qui veut dire Pierre Fiche ou pierre plantée. Elle glt aujourd'hui par terre, mais, il y a une cinquantaine d'années, elle était debout et se dressait comme un menhir au milieu de ce champ. Elle a été renversée par le propriétaire qui voulait la détruire et qui, heureusement, a renoncé à ce barbare projet. M. Chantre et moi nous avons décrit et figuré ce bloc il y a plusieurs années 1 . C'est un énorme fragment de granit de 3 m 60 de longueur au-dessus du sol et de i mètre d'épaisseur. Sur la face latérale apparente, il y a sept bassins un peu irréguliers, disposés en ligne droite, le long d'une fissure ou d'un sillon qui les relie entre eux et qui divise, à peu près en deux parties égales, la face de la pierre où sont gravés ces ornements. » Ces pierres, donnant lieu à des cérémonies peu orthodoxes, atti- rèrent les foudres de l'Eglise. Lorsqu'elles ne purent être détruites, on les christianisa en quelque sorte en les affublant du nom d'un saint. C'est pour cette raison qu'on trouve tant de pierres de Saint-Martin et de légendes rappelant sa lutte avec le d*able, c'est-à-dire le paganisme. Nous avons déjà signalé, il y a quelques années 2 , une pierre à écuelles appelée Pierre de Clévis, située sur le territoire de la commune de Saint-Romain-de-Popey et qui donne lieu à des pra- tiques bizarres. Ce monument est formé d'un bloc de granit grossièrement 1 Etudes paléoethnologiques y p. 65. * Société et anthropologie de Lyon, séance du 6 juillet 1895. 110 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON équarri, posé horizontalement au ras du sol. Au centre de la face visible se trouve une cavité formée de trois écuelles conjuguées à parois perpendiculaires. Cette cavité de 38 centimètres de lon- gueur sur 23 de largeur et 15 de profondeur est orientée du nord au sud obliquement par rapport au grand axe de la pierre. La pierre de Glévis est le but d'un pèlerinage; on y conduit les enfants lents à marcher. Arrivés vers la pierre, les malades urinent dans la cavité et la guérison suit de près » , comme nous l'ont affirmé très sérieusement les gens du pays* Le clergé a été impuissant à faire disparaître cette pratique su- perstitieuse qui doit remonter à une très haute antiquité. Une chapelle, sous le vocable de la Vierge, a été construite au xv e siè- cle, tout près de la pierre à écuelles, pour détourner sans doute à son profit le pèlerinage qui s'y effectuait. La cure commencée par des libations d'un nouveau genre sur l'antique pierre sacrée va bien se continuer actuellement par des prières faites dans le temple chrétien, mais la guérison des malades qui arrive naturellement presque toujours, tôt ou tard, est attribuée par tous les pèlerins à l'efficacité de la première partie de la cérémonie. On raconte au sujet de cette pierre la légende suivante Les habitants de Pontcharra, désirant posséder la pierre miraculeuse de Glévis sur leur territoire, y attelèrent inutilement quatorze paires de bœufs sans réussir à l'ébranler. La même histoire se ra- conte avec des variantes au sujet du clocheton recouvrant les fonts baptismaux de Chasselay ; comme aussi pour la pierre Thorion qui sert de limite aux territoires de Grièges et de Gormoranche, près Mâcon. CHAPITRE III GISEMENTS ARCHÉOLOGIQUES DES BERGES DE LA SAONE Chaque année, au printemps et à l'automne, la Saône a des périodes de crues durant lesquelles ses eaux couvrent les prairies qui la bordent dans la partie inférieure de la vallée, et déposent à la surface du sol les particules terreuses qu'elles tien- nent en suspension . Les berges sont ainsi exhaussées, à la longue, par une succession de couches, où les objets qu'elles renferment se trouvent classés rigoureusement à leur place chronologique relative. Ces berges forment donc un véritable musée, dont l'importance ne pouvait échapper à la clairvoyance des paléoethnologues. Aussi ont-elles été étudiées par divers observateurs, notamment par Legrand de JMercey, de Ferry, Arcelin, Lacroix, l'égyptologue Ghabas, etc. Deux d'entre eux, MM. de Ferry et Arcelin, ont établi un chronomètre basé sur les niveaux relatifs qu'occupent dans les berges de la Saône les gisements archéologiques d'âge différent *• On a généralement donné à cet essai une valeur absolue qui n'était pas dans la pensée de ses auteurs. Il faut avouer que tous les travaux de ce genre, qu'il s'agisse des berges de la Saône, du cône de la Tinière ou des deltas d'embou- chures, basés sur des phénomènes dont il est difficile d'apprécier la régularité dans le temps et dans l'espace, ne peuvent être donnés qu'à titre d'indication, une probabilité sérieuse ne pouvant 1 Ferry de et Arcelin, loc. cit., pp. 105 et 165. 112 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON se dégager que d'une foule d'observations du même ordre. Ajoutons cependant que la Saône, par son cours d'une extrême lenteur et ses crues régulières, est le cours d'eau français qui se prête le mieux à des calculs chronométriques. Les berges sont formées d'une argile jaunâtre, ou lehm, renfer- mant exclusivement des traces de la faune et de la flore des temps actuels. Ce lehm repose sur une couche d'argile bleuâtre ou gri- sâtre, considérée comme formant la partie supérieure de la série des terrains quaternaires. Sa coloration proviendrait, d'après M. Arcelin, de la présence de vivianite pulvérulente, d'oxyde de fer et aussi de végétaux en décomposition 1 . Ces argiles d'origine lacustre, comme nous le verrons plus loin, ne peuvent pas être datées par les documents archéologiques qu'elles renferment, mais plutôt par les fossiles qu'on y rencontre et qui viennent heureusement combler cette lacune. Des fossiles quaternaires ont été recueillis dans ces marnes bleues en divers points de la vallée. Le gisement de la Caille, près Lyon, a donné, avec un certain nombre d'espèces malacologiques, un tibia à'Equus et des arrière-molaires de Boas longifrons*. Jourdan a eu la bonne fortune d'extraire à Pont-de-Vaux une défense et une mâchoire inférieure entière d'Elephas primigenius. Des osse- ments de Cervus elaphus, à'Equus caballus, avec des débris de Mammouth, ont été maintes fois retirés de ces argiles, de Chalon à Lyon, soit par Jourdan, soit par d'autres savants. Un crâne humain exhumé de ces mêmes argiles, vers l'embou- chure de la Seille, par Le Grand de Mercey, a été décrit par le D r Pruney-Bey, dans les Archives du Muséum de Lyon*. L'étude de la faune malacologique de ces marnes bleues a per- mis à M. Locard de dresser la liste des trente-six espèces suivantes Succineaoblonga, Draparnaud . . . c. — putris, Linné r. 1 Loc. et*., p. 107, 2 Faisan et Locard, Monographie géologique du Mont-d'Or lyonnais, p. 339. 3 T. I", p. 67, pi. IX. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE Hyalinia septentrionale, Bourguignat Hélix pulchella, Millier. . — costata, Muller. . . C ar y chium minimum, Millier Ancylus lacustris, Linné. . Planorbis albus, Mûller. . — Crosseanus, Bourguignat — naut iléus, Linné ' . . — Arcelini, Bourguignat. — marginatus, Draparnaud — vorteœ, Linné . . . — rotundatusy Poiret . Planorbis contortus, Linné . Lïmnœa auricularia, Linné. — peregra, Mûller. . . — palus tris. Millier . . — truncatula, Mûller. . Bythinia tentaculata, Linné. — similis, Draparnaud. . Valvaia alpestris, Blauner. . — piscinalis, Millier . . — obtus a, Studer . . . — Arcelini y Bourguignat. — minuta, Draparnaud . — cristata, Mûller. . . Neritina fluviatilis, Linné . . Sphœrium corneum, Linné . Pisidium Hensloicianum, Sheppart — amnicum, Mûller . . — Casertanum, Poli . . — nitidum, Jennyns . . — pusillurn, Gmelin . . 113 rr. ar. r. r. r. r. ca. r. r? ac. ar. r. r. c. ac f ac. ce. c. ac. r. ce. ar. ri ar. ar. c. ac. r. ac. r. ar. r. Toutes les espèces de cette faune, à part les Succinea putris 9 S. oblonga, Hyalinia sèptentrionalis et les Helix y appartiennent aux eaux douces, claires et limpides, tandis que les cinq espèces 114 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON que nous venons de citer sont toutes terrestres, mais vivent volontiers au bord de l'eau, sous les bois morts et dans les hautes herbes. Sur cette trentaine d'espèces aquatiques, deux seulement sont éteintes, les Planorbis Arcelini, Valvata Arcelini ; d'autres, au contraire, comme le Planorbis Crosseanus, Valvata alpes- tris, Y. obtus a, V. planorbulina, Pisidium, Henslowanium* P. casertanum, P. nitidum, paraissent aujourd'hui étrangères à la région qui nous occupe et ont dû subir un mouvement de rétrogra- dation vers les régions alpestres ou disparaître par extinction natu- relle. Quant aux autres espèces, nous les retrouvons toutes de nos jours, soitdansla Saône même, soit dans ses affluents 2 . » Avant de passer à la description de nos trouvailles, rappelons brièvement les diverses époques dont on retrouve les traces dans les berges de la Saône et les gisements découverts en Beaujolais par les explorateurs précédents. Nous avons dit que les couches archéologiques que l'on peut étudier sur les rives de le Saône ne remontent pas plus haut que le quaternaire; elles ont pou ri imites les argiles bleuâtres dont nous venons de parler. Les profondeurs auxquelles se trouvent les gisements synchro- niques sont assez variables. Nos résultats nous ont cependant amené sensiblement aux résultats obtenus par MM. de Ferry et Arcelin. Gomme eux nous avons trouvé, en allant de haut en bas, les dépôts suivants époque romaine à 1 mètre; époque du fer, l m 30; époque du bronze, l m 50; néolithique, 3 mètres. Ces chiffres représentent des moyennes déduites d'une série d'observations. Des causes d'erreurs contre lesquelles il faut se prémunir se rencontrent fréquemment. Ainsi, des érosions opérées à la base des berges amènent des éboulements ou des glissements des couches supérieures, dont on se rendra compte en examinant la figure ci- jointe. Il en résulte des superpositions anormales où les objets se trouvent classés dans Tordre inverse de leur ^ancienneté relative fig. 63 et 64. Pour les 'autres causes qui peuvent fausser les constatations, 1 Locard, Faune Malacologique quaternaire , etc., p. 182. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 115 nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage le Maçonnais préhistorique, où elles sont indiquées avec une lumineuse clarté. Fio. 63. — Berges de la Saône. Ettrait du Maçonnais préhistorique, pi. XVII, ûg. 5. ! ,1 ,!,;,! ,7//-,. Fio. 64. — Berges de la Saône. Extrait du Maçonnais préhistorique, pi. XVII, fig. 6. Les gisements du Beaujolais, reconnus antérieurement à nos recherches, sont localisés entre Port- Rivière et Villefranche. Nous en donnons ci -dessous la liste, d'après une communication faite par M. Arcelin, à l'Académie de Mâcon, en 1873*. 1 Arcelin, La chronologie préhistorique oV après V étude des berges de la Saône, pp. 53 et 54. 116 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Saint-Georges~de-Renèins. — Ai kilomètre en aval du port de Rivière, couche archéologique avec débris de poterie grise, faite au tour, ornée de bandelettes époque du fer, à 1 mètre de profondeur. Saint-Georges-de-Reneins. — A 100 mètres en aval du point précédent, couche avec poteries, comme ci dessus, à l m 30 Maçon- nais préhistorique, p. 99. Saint-Georges-de-Reneins. — A 300 mètres en aval du port de Rivière, un peu au-dessus de la Grange-du-Diable, couche romaine à 2 mètres, dans une berge exhaussée par une digue de 1 mètre. A 50 centimètres au-dessous de la couche gallo-romaine, poteries de l'âge du bronze à l m 50 de profondeur, par consé- quent. Saint-Georges-de-Reneins. — Un peu en aval de la Grange -du-Diable, poterie gallo-romaine, à 1 mètre de profon- deur. Amas. — En amont de l'embouchure du Nizerand, M. de Ferry cite dans le Maçonnais préhistorique, p. 100, deux ou trois foyers avec tessons néolithiques, à 2 mètres de profondeur et à 1 mètre au-dessous de la couche gallo-romaine. Ville franche. — Presque en face de Riottier, tuile et frag- ment d'amphore gallo-romaine à 1 mètre; foyer avec poteries de l'âge de bronze, débris de grès, galets, molette à broyer en quartzite, à l m 76. Ville franche. — Un peu en aval du point précédent, à i m 32, débris d'un vase à pâte noire micacée, orné d'un dessin en feston?, de l'époque gauloise ?; au-dessous, à i œ 98, foyer avec poteries d'aspect néolithique, galets et éclats de silex. Ville franche. — En amont et en face de la poype de Riottier, foyer et poteries de l'âge du bronze, à i m 50. Ville franche. — En face et un peu en aval de la poype de Riottier, briques gallo-romaines ?, à i m 10; trois ou quatre foyers avec poteries grises à bandelettes ; dans un des foyers, une tige en fer.» A part le gisement en amont de la Grange-du-Diable, indiqué par erreur, sans doute, comme étant à 300 mètres de Port- Rivière, LE UEAUJOLAIS PRÉHISTOR1QUB 117 alors qu'il eu est éloigné de 2 kilomètres et un foyer en aval de Riottier, qui peuvent être identifiés à nos stations, les antres gisements décrits ci-dessus ont disparu, emportés par les eaux, ou masqués, pour le plus grand nombre, par des muraille- menta. Nous ne décrirons ici que les stations de la rive droite, réservant pour une étude future celle de l'autre rive de la Saône. Le gisement le plus septentrional se compose d'un petit foyer situé a 800 mètres en aval de Saint- Romain- des-Iles, non loin de Fio. 65. — Berges de la Saône. Dracé. t/î grandeur naturelle. l'embouchure del'Ouby, il esta 80 centimètres seulement de pro- fondeur, mais des emprunts ayant été faits à la berge pour élever une digue à quelques mètres en arrière, ce foyer devait être, par suite, primitivement à l^ôO environ de profondeur. Nous avons vu plus haut que c'est là précisément le niveau du plus grand nom- bre des stations de l'époque du bronze. Ce foyer nous a donné des poteries caractéristiques de cette époque, à glacure noire, ornées de dents de loups et d'empreintes d'ongles. La moitié d'une espèce de grande tasse a pu être exhumée du lehm, non sans de grandes ' précautions; la pâte en est noirâtre, assez fine, les parois unies et d'épaisseur inégale. Ce vase qui paraît fait sans l'usage du tour, est muni d'une anse partant du bord flg. 65. Un vase semblable à celui qne nous venons de décrire, trouvé à Saint-Pierre-en Soc. anth. — Beauj. prëhist. S 118 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DB LYON Ghastres Oise, est classé au Musée de Saint-Germain, sous le numéro 15724 4 . Ge foyer, de forme sensiblement circulaire, a l m 10 de diamètre. Il parait synchronique de l'importante station de Thoissey, située en face, sur l'autre rive de la Saône. Différents objets en bronze, notamment des bracelets, une hache à bords droits et une faucille à bouton, ornée de cinq nervures transversales 2 , ayant été trouvés à Thoissey, apportent leur contingent aux preuves fournies par la céramique. Gette station, et par conséquent le foyer de la rive droite, sont donc bien de l'époque du bronze. A 20 mètres en aval du point précédent, la plage a fourni quatre lames et une espèce de pointe en silex, patinées en jaune brun» comme le sont généralement les instruments qui ont séjourné longtemps dans le lit de la Saône. A 150 mètres au -dessous du pont suspendu de Thoissey, la plage, au pied de la berge, haute en cet endroit de 2 m 20, est jonchée de fragments de silex taillé. Une sélection d'une vingtaine de pièces les plus entières contenait des lames, des pointes vives triangu- laires et deux grattoirs. Quelques outils avaient leurs angles émoussés, mais la plupart conservaient leurs arêtes coupantes sans trace de charriage. Les auteurs du Maçonnais préhistorique avaient remarqué que les stations de la rive droite de la Saône se rencontraient près des embouchures, ou sur des points éloignés des bois ou des ponts actuels 3 . Nos trouvailles personnelles viennent corroborer ces observations. Nous ajouterons qu'on est, en outre, toujours certain de trouver des débris d'époques différentes près des anciens gués, et que les stations préhistoriques ou gallo-romaines jalonnent les pistes qui y aboutissaient. Entre le barrage de Thoissey et l'embouchure du Torbay, non loin du confluent de ce ruisseau, nous avons fait, en 1890 et 1891, 1 Gabriel et Adrien de Mortillet, Musée préhistorique, pi. XG, fig. 1084. * Chantre, Études paléoethnologiques dans le bassin du Rhône, t. III pi. XII. ' 3 Loc. cit., p. 103. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 119 sur le rivage et dans les berges une ample moisson de silex néoli - thiques. Ces pièces qui avaient été mises à découvert par un éboule- ment récent, n'avaient pas la patine jaune brun, due à une longue exposition aux influences atmosphériques que nous signalions plus haut. Les unes étaient roses» les autres, les plus nombreuses con- servaient la couleur blonde, légèrement translucide du silex fraî- chement ouvré. L'outillage lithique se rencontrait à 2 m i0 au-dessous du sommet de la berge, haute en cet endroit de 3 m 05 et sur une longueur d'une vingtaine de mètres. Récemment, de nouvelles érosions amenant d'autres éboulements, les silex ne se trouvent plus en place, mais le lit de la rivière en recèle beaucoup qu'on peut re- cueillir aux basses eaux. Sans tenir compte des éclats dont l'utilisa- tion est problématique, les pièces entières usuelles, telles que les lames ou couteaux, les pointes vives, puis les nucleus et les per- cuteurs n'étaient pas rares. Nous avons dans notre collection une quinzaine de grattoirs gros et courts, du type dit de Robenhausen, qui proviennent de ce gisement. La couche archéologique a donné, en outre, de la poterie jaunâtre peu cuite, très fragmentée. L'existence d'un gué en cet endroit ne fut peut-être pas sans avoir exercé une certaine influence sur le choix de l'emplacement du barrage. Les ouvriers employés à sa construction arrachèrent du lit du cours d'eau une cuirasse, des épées et divers ustensiles en bronze. L'entrepreneur se fit remettre ces objets et on ne sait quel fut leur sort. Ce n'est pas la seule fois que des trouvailles de ce genre ont été faites vers les gués. Il y a une vingtaine d'années, on recueillit un certain nombre d'objets en bronze dans un gué de la Garonne, à Verdun Tarn-et-Garonne*. Les dragages effectués dans la Saône, en 1862, par les ordres de Napoléon III, pour retrouver les traces du passage des Helvètes, ont amené la décou- verte, au gué de Grelonges, de plusieurs instruments des époques du fer et du bronze. Nous pourrions multiplier les exemples. 1 Matériaux 1885, 3 série, t. II, p. 287. 2 Valentin- Smith, Fouilles dans la vallée du Formant, p. 11. 120 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Les traces de l'époque du bronze sont abondantes dans ces pa- rages. Au village de Peyzieux, sur la rive gauche de la Saône, pres- que en face du gué, s'est rencontrée une importante cachette de fondeur. Elle renfermait treize haches de types variés, brisées in- tentionnellement, des lames d'épées tordues et brisées, des chaînes et une embouchure de trompette *. Avant la construction des ponts, rares en Gaule jusqu'à l'occu- pation romaine, les populations riveraines des cours d'eau se grou- paient de préférence dans le voisinage des gués qui leur permet- taient des communications faciles avec les habitants de la rive opposée. Non contents d'y construire leurs cabanes, ils y élevaient aussi leurs tombeaux surmontés parfois d'un tertre ou tumulus édifié par la piété de leurs compatriotes. Ainsi, près du gué de Thoissey s'élèvent les tumulus de la Marche, deMisériat, Mérèges et d'Illiat. Ce dernier a donné des ustensiles en bronze, notamment une hache qu'on peut voir au Muséum de Lyon. A proximité du gué de Belleville, s'élève la poype de ce nom, et sur la rive oppo- sée celle de Guéreins. Au nord du gué de Saint-Bernard, la poype de Riottier domine la Saône, et au sud-est existait la nécropole de La Bruyère, fouillée en 1862, aux frais de l'Empereur, par Guigue et Valentin-Smith. A 500 mètres du barrage de Thoissey et près d'une antique cha- pelle, sous le vocable de Saint-Pancrace, on aperçoit de nombreux débris de silex taillés, au milieu d'un gisement gallo-romain. Nous avons, en outre, ramassé des instruments préhistoriques dans un vaste rayon autour du barrage , et nous avons fait cette constatation , non seulement à Thoissey, mais dans le voisinage de tous les autres gués. Ces trouvailles d'objets, appartenant à des époques bien différentes, prouvent mieux que ne pourraient le faire tous les raisonnements l'importance attachée à ces passages par les peuples primitifs. L'embouchure de l'Ardière, commune de Taponas, nous a donné une pointe en silex rouge, épaisse, et un large éclat de môme nature avec plan de frappe, bulbe et esquille. 1 Ferry de et Arcelin, loc. cit , p. 129. i i LE BBAUJOLMS PRÉHISTORIQUE 121 Des dragages exécutés en 1895, au gué de Belleville, à la hau- teur de la poype, ont ramené des silex taillés fig. 6b, des pote- ries grossières, des fragments de meules en grès, une double molette formée d'un caillou siliceux, d'autres cailloux craquelés par le feu, des charbons, des [os brisés dans le sens de la longueur, des dents de bos, etc. Tout ce matériel ressemble énormément à celui des palanttes et notamment aux ustensiles retirés de Gre- longes, dont nous avons parlé plus haut. Fio. 66. — Scie en silex, lil de la SaAne Belleville. 2/3 grandeur naturel e. Un certain nombre de ces objets ont pu être jetés dans le lit de la rivière par les passants pour implorer des génies des eaux, par ces offrandes, uns traversée heureuse. C'est dans le même ordre d'idées que de nombreux silex ouvrés ont été recueillis sous un amas de monnaies romaines pi us de 3000 dans la source thermale de Bourbonne-les-Bains Haute-Marne, M. Martel cite aussi le lac de Saint-Andéol Lozère, où les gens du pays se rendaient à certaines époques de l'année pour faire ripaille sur ses bords, et jetaient dans son sein des pièces de mon- naie, des vêtements et des vivres '. Cette coutume qui remontait à la plus haute antiquité, n'a pris fin qu'en 1867, à la suite d'une rixe entre les pèlerins et les représentants de la loi. ' Martel, Les Cêeennei, p. 271. 122 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Il faut ensuite descendre la Saône jusqu'à Port-Rivière, commmune de Saint- Georges-de-Reneins, pour retrouver des traces préhistoriques importantes. A 100 mètres en amont de ce , lieu dit, on trouve le gué de Voldé 1 où nous avons cueilli dans le lit de la rivière, aux basses eaux, un grand nombre de silex taillés. Les pièces les plus curieuses consistaient en plusieurs ânes pointes de flèches, retouchées sur les deux faces, à bases rectilignes ou concaves. L'une d'elles, en forme de triangle isocèle, rappelle les pointes de Chassey . c En ce lieu, disent les gens du pays, existaient les moulins de Saint-Georges, » Ils expliquent ainsi la présence de nombreux pilotis formant des espèces de carrés » qui se voyaient à une certaine distance de la rive droite avant la construction des bar- rages. Je n'ai pas besoin de dire qu'en cet endroit la Saône est absolument incapable de faire mouvoir la moindre roue de moulin. Elle a, en effet, entre Mâcon et Saint-Bernard, son minimum de vitesse, 4 centimètres par kilomètre. C'est la vue de la rivière, dans cette partie de son cours, qui a sans doute inspiré à Théophile Gauthier sa description imagée C'est une rivière endormie, au cours huileux, qui ne semble pas pressée d'arriver — elle a raison, car ses rives sont charmantes. » Nous sommes persuadés que ces pilotis sont des restes de pala- flttes. Les trouvailles faites au gué de Grelonges, à 3 kilomètres en aval, justifient cette hypothèse. Les ressources nous ont mal- heureusement fait défaut pour procéder à des fouilles qui auraient sans doute été fructueuses. Un vieux chemin à peu près abandonné et transformé en fon- drière pendant l'hiver, aboutit au gué de Yoldé. A droite et à gauche de l'extrémité de ce chemin, la berge, haute de 2 m 80, pré- sente, à une profondeur de i m 40, une couche archéologique de 35 centimètres d'épaisseur. Cette couche est formée d'une argile rougie ou noircie par le feu, contenant dans son sein des os et des fragments de poteries, sans formes bien déterminées, à cuisson imparfaite, ne leur ayant pas permis de résister à la pression des 1 Ce nom dérive probablement du mot latin vadum, gué. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 123 terres et à l'action dissolvante des eaux. Nous ne serions pas éloi- gné de croire qu'il s'agit d'un atelier de potier. Quelques fragments de vase à pâte grisâtre bien cuite, ornés de bandes impressionnées, paraissent être de l'époque du fer. Cette couche archéologique, d'une longueur de 70 mètres, nous a encore fourni un fragment de meule en grès. A partir de Port-Rivière, la rive est en pente douce ou protégée par des murailles. En amont de la Grange-du-Diable et à 2 kilo- mètres de Port-Rivière, la berge, haute de 4 mètres, mais exhaussée d'environ 1 mètre, présente deux niveaux archéolo- giques l'un romain, à l m 80, caractérisé par des tuiles à rebords et des morceaux d'amphores. L'autre à 2 m 50 de profondeur, con- tient des poteries en général bien cuites, à pâte noire, mélangée de grains de quartz; elles sont recouvertes d'une sorte de vernis brun foncé assez brillant. On rencontre aussi fréquemment une céramique rougeâtre à pâte plus grossière que les poteries noires, la trace des doigts est visible sur les parois bosselées et épaisses. Un vase portait près du col une ligne de points en creux demi- sphériques. La courbure d'un fragment de 25 centimètres de lon- gueur donnait au vase entier un diamètre d'environ 40 centi- mètres. Nous avons extrait de cette couche une lamelle de bronze unie, très mince, débris de ciste. Cette dernière trouvaille et la forme des poteries font remonter cette station à l'époque du bronze. La plage, en face de l'île et du gué de Grelonges a fourni des silex taillés, des poteries grossières, des cailloux rougis et craquelés par le feu, etc. Les palaâttes qui existaient dans la Saône en cet en- endroit ayant été décrites précédemment, nous n'y reviendrons pas. Les foyers avec tessons néolithiques signalés par de Ferry, en amont de l'embouchure du Nizerand, ont été emportés par les eaux ; il n'en reste aucune trace. Actuellement, il faut descendre jusqu'à l'embouchure du Morgon, en face de Villefranche, pour retrouver des objets préhistoriques. En ce lieu, la plage a fourni un grand nombre de lames et d'éclats de silex taillés, puis trois petits nucléus. Il y avait donc, soit à cet endroit, soit tout près, un atelier pour la taille du silex. 124 société d'anthropologie db lton Un peu en aval de Riottier, nous avons recueilli à i^O de pro- fondeur, quelques tessons d'une poterie noirâtre, avec un rebord erné d'une bande festonnée; des fragments d'os, des dents de ta et descaillous rougis par le feu. À une centaine de mètres en aval, la berge contient, à 90 centimètres de la surface, des tuiles à rebords et des poteries grises, faites au tour, de l'époque romaine. A mi-chemin de Villefranche et d'Anse, à la hauteur de Bour- delan, se rencontrent quelques silex taillés, à i^OO, avec des frag- ments d'une céramique grossière, peu cuite, à parois épaisses. Les pécheurs se plaignent qu'en ce lieu leurs filets sont parfois déchirés par des obstacles existant dans le lit de la Saône. On m'a assuré qu'on avait jadis extrait delà vase un tronc d'arbre fossile, et qu'il en existerait d'autres occasionnant les accidents dont sont victimes les pécheurs. Nous ne serions pas loin de croire à l'existecne de palafittes. La proximité de la station néolithique de Bourdelan sur la rive droite et, sur la rive opposée, celle de la riche nécropole du premier âge des métaux de Saint-Barnard, fournissent, en faveur de notre hypothèse, des présomptions qui ne sont pas à dédaigner. Cette question fort intéressante ne pourra être définitivement résolue qu'à la suite de dragages exécutés dans ce but. La Saône, de Riottier à Trévoux, a fourni fréquemment des instruments en bronze. Parmi les principales trouvailles, citons en face de Saint-Barnard, un stylet 1 , une hache appartenant au conducteur actuel des ponts -et-chaussées, à Trévoux, et une fau- cille, en tête de l'Ile du Roquet 2 . Une hache en pierre dure polie a été recueillie sur les bords de la Saône, à Anse. La plage de la rive droite, entre l'île du Roquet et le pont de Trévoux, contient des silex taillés. D'après M. G. Guigue, les ma- riniers allaient jadis y renouveler leur provision de pierre à briquet. 1 Valentin-Smith, Carte archéologique de Saint-Barnard et de ses environs dans les Fouilles de la vallée du Formant. * Ferry de et Arcelin, loc. cit., p. 129. 3 Steyert, loc. cit., p. 15, fig. 14. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 125 Nous passons sous silence la trouvaille d'un grand nombre d'ob- jets isolés, soit dans les berges, soit dans le lit de la Saône. Leur ^numération aurait allongé inutilement le récit sans intéresser le lecteur. Si nous résumons nos observations, appuyées sur les constata- tions précédentes, nous arrivons aui conclusions suivantes La Saône a creusé son thalweg actuel dans ses alluvions anciennes des temps géologiques. Depuis, elle ne déplace plus son lit, et les limons d'inondation qui forment ses berges peuvent être considérés comme la continuation immédiate des marnes bleues caractérisant la partie supérieure des terrains quaternaires. Il n'a été trouvé dans les berges aucune trace archéologique plus ancienne que le néolithique ; les instruments de la période précédente, ramenés par les dragages, proviennent du ravinement des couches quaternaires. Les données paléontologiques confirment les conclusions tirées de la technique industrielle. Tous les ossements recueillis appar- tiennent aux époques actuelles bœuf, cheval, chèvre ou mouton, cochon, etc. Les dents d'elephas ou de rhinocéros retirées du lit de la Saône, n'ont jamais été recueillies en place dans le lehm des berges; elles proviennent sans donte des marnes bleues, ainsi que tendraient à le faire croire les trouvailles faites dans le lit de la Seille, sur un point situé près de son confluent avec la Saône, où ces cou- ches forment le fond de la rivière 1 Partout où les limons des berges n'ont pas subi de remaniements postérieurs à leur dépôt, les couches archéologiques se sont tou- jours montrées dans l'ordre stratigraphique de leur plus ou moins grande ancienneté, c'est-à-dire à la base, le néolithique, puis suc- cessivement en se rapprochant de la surface du sol, l'époque du bronze, l'époque du fer, et enfin l'époque gallo-romaine. L'époque gallo-romaine, facilement reconnaissable à ses poteries caractéristiques et ses tuiles à rebords tegulss, est une, c'est- à dire qu'on n'y observe jamais plusieurs niveaux séparés par des couches stériles. Profondeur moyenne 1 mètre. 1 Ferry de et Arcelin, Joe. cit., p. {0$ 126 80CIÉTK D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Puis, au-dessous, l'époque du fer pauvrement représentée par des gisements peu importants, situés généralement vers l m 30 de profondeur. Au-dessous encore, mais ne descendant pas à plus de 2 mètres, l'époque du bronze avec ses quantités de poteries noi- râtres, les unes faites à la main, les autres au tour, et ses foyers formés par des cailloux siliceux des Vosges, rougis et craquelé» par le feu. Enfin, le néolithique se rencontre à la base du lehm, à des niveaux fort différents, plus ou moins rapprochés des marnes quaternaires ou de la couche du bronze, comme l'avait déjà remar- qué M. de Ferry 1 . 4 Loc cit., p. 88. CHAPITRE IV GROTTES, CAMPS ET REFUGES I GROTTES Les grottes sont localisées au sud du Beaujolais, dans le massif jurassique de Limas-Charnay. Elles paraissent dues aux érosions des eaux circulant suivant les lignes de fractures. Partout ailleurs, Jes roches primitives qui composent la majeure partie du terri- toire ne possèdent que des anfractuosités sans importance. Nous connaissons actuellement cinq grottes qui se répartissent ainsi trois sur la commune de Pommiers, une à Mo r an ce, et la dernière à Saint-Jean-des-Vignes. Un plus grand nombre a sans doute échappé à nos recherches. Grotte de Pommiers. — Cette grotte se trouve sur le territoire de la commune de Pommiers, dans une étroite combe orientée de l'ouest à Test, au nord du château de Saint- Try, dont elle porte le nom. Creusée dans la grande oolithe, cette caverne a son entrée sur le flanc méridional d'une colline, à l'angle de deux chemins qui tous deux conduisent à la Saône et à la route nationale de Paris à Lyon. Malgré sa situation exceptionnelle dans un endroit très passager, il n'y a guère qu'une cinquantaine d'années que la grotte de Saint- Try a été retrouvée. Les habitants du voisinage avaient remarqué la disparition rapide delà neige à l'entour d'une assure du sol; ils élargirent l'ouverture et l'entrée de la grotte leur apparut. Cette trouvaille étonna peu les anciens du pays. Une tradition rappor- 128 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON tait, en effet, qu'une cavité de ce genre devait exister dans ces parages, elle était même le sujet d'une foule de légendes qui se racontaient durant les longues soirées d'hiver. Elle avait servi, disait-on, de refuge à des faux monnayeurs; on y voyait encore des bancs creusés dans la roche et des anneaux scellés dans les parois avaient servi à attacher les prisonniers des seigneurs voisins. Une salle masquée par un éboulement renferme aussi des dessins étran- ges, entourant un cheval sculpté sur les rochers. Les recherches effectuées dans cette grotte n'ont rien fait retrouver de sem- blable. L'entrée obstruée par des éboulis ne mesure que 50 centimètres de haut, c'est dire qu'on ne peut pénétrer qu'en rampant. On se trouve alors dans un couloir d'une longueur de 22 mètres, en pente assez rapide, les eaux ayant amené des matériaux qui for- ment une espèce de cône de déjection dont le sommet est tourné vers le fond du souterrain. Le plafond de la grotte a, en cet endroit, une hauteur de 3 mètres. Puis à droite et à gauche de ce couloir existent deux ouvertures, séparées par un pilier de 4 mètres de diamètre, qui donnent accès dans une salle de forme ovale. Cette salle mesure 10 mètres de grand diamètre et une hauteur maximum de 4 mètres. En 1892, nous avions fait quelques sondages pour nous assurer si l'homme avait séjourné en ce lieu. Ayant constaté la présence d'une couche archéologique, nous résolûmes d'y faire exécuter des fouilles méthodiques qui eurent lieu au printemps de 1898. Une tranchée fut ouverte dans le couloir d'accès, large en moyenne de 2 m 50, à 10 mètres de l'entrée. La première couche stalagmitique, d'une épaisseur de 5 centimètres est fort dure. Au- dessous se trouve une argile plastique, visqueuse, qui s'attache aux outils et dans laquelle on ne peut creuser qu'au prix de beaucoup de fatigue. Dans cette couche, à des profondeurs diverses, se ren- contrèrent des ossements d'animaux actuels moutons ou chèvres, lièvres, poules, oiseaux, chauves-souris, puis ceux de plusieurs renards, de tailles différentes, qui prouvaient que la caverne avait servi de repaire à ce carnassier. A 48 centimètres de profondeur, se rencontre une couche char- LB BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 129 bonneuse, d'épaisseur inégale, mais ne dépassant pas 6 centimètres, renfermant des fragments de poterie et des os brûlés. Les vases à pâte grise, faits au tour, d'une forme en général pure et gra- cieuse, remontaient à l'époque gallo-romaine. Un fragment de poterie rouge, dite de Samos, couverte d'un vernis brillant, ornée de dessins en relief, ne laissait aucun doute sur l'âge de cette cou- che archéologique. On recueillit également de menus morceaux de verre bleu très mince, finement strié, paraissant provenir d'am- poules à parfum. Les ossements appartenaient au bœuf, chèvre ou mouton et cochon, espèces domestiques actuelles. Au-dessous de la couche romaine, l'argile plastique, stérile, reparut sur une épaisseur de l m 05 , puis quelques fragments de silex taillé apparurent. Malheureusement, à cette profondeur, les eaux enva- hirent la tranchée et les ouvriers, dont le travail, en raison de l'étroitesse du couloir, était gêné par les matériaux, durent inter- rompre les fouilles. Une deuxième tranchée, ouverte dans la salle, fut aussi abandonnée par suite de l'irruption des eaux. La couche romaine fut rencontrée à 25 centimètres de profondeur ; au-dessus la couche argileuse était disposée par strates assez régulières, cor- respondant sans doute à des périodes d'envahissement des eaux. La présence de foyers dans cette salle, située à 25 mètres de l'en- trée, permet de supposer l'existence d'une ouverture par où devait s'échapper la fumée. La nécessité d'un courant d'air entraînant les produits de la combustion, donne une certaine consistance à la crojanceà une communication ancienne de cette grotte, avec des cavités de même nature, et sans doute aussi avec l'exté- rieur. La grotte ne devait pas être aussi malsaine autrefois qu'elle l'est actuellement, la vie y aurait été impossible. Nous attribuons les suintements qui apparaissent continuellement au plafond de la salle à la construction d'un chemin qui a eu pour effet de diminuer l'épaisseur de la voûte. La présence des silex taillés prouve l'habitation par l'homme à l'époque préhistorique de la grotte de Saint-Try. Pour que les vestiges d'époques diverses qu'elle renferme puissent être étudiés comme ils le méritent, il est nécessaire de donner une issue aux 130 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON eaux, soit en déblayant l'entrée, soit en creusant dans la salle une galerie de dégagement dans la paroi de droite qui ne doit pas avoir plus de 3 à 4 mètres d'épaisseur. Grotte deMorancé. — Cette grotte est connue sous le nom de la Sarrazinière, ou sous celui de Grotte des Sarrazins. Elle est située au sud-ouest de Morancé, au lieu dit la Ronze, dans un petit bois taillis, à une altitude de 290 mètres. Gomme celle de Saint-Try , la Sarrazinière est creusée dans les assises de la grande oolithe, si largement exploitée dans les environs, sous le nom de pierre blanche de Lucenay. L'entrée s'ouvre au midi par un por- tique à voûte surbaissée de 3 m 50 de large, sur une hauteur de i m 70. Une petite plate-forme, bien abritée du vent du nord, d'une vingtaine de mètres carrés, s'étend devant la grotte. Après avoir dépassé l'entrée, on se trouve dans une vaste salle elliptique de 12 mètres de grand axe et d'une superficie approxi- mative de 110 mètres carrés. La voûte, irrégulière, aune hauteur moyenne de 3 m 50. Cette cavité a malheureusement été bouleversée, vers 1865, par un vigneron désireux d'amender ses champs avec la terre riche en principes phosphatés contenus dans son intérieur. Durant les mauvais jours d'hiver, il transporta au dehors, à la hotte, toute cette terre pétrie, dit-on, d'ossements, qui s'effritèrent à l'air libre. Cette opération agricole, intelligente, mais déplorable sous le rapport archéologique, nous laissait peu de chances de trouvailles abondantes. Nous fîmes cependant remuer l'amoncelle- ment de pierres laissées dans la grotte jusqu'à une profondeur de l m 75, soit 3 mètres au-dessous du sol primitif, qui avait laissé des traces visibles sur les parois, en plusieurs points. Des restes humains, fragments de crâne et la tête d'un fémur, furent extraits à l m 60 de profondeur, vers la 'paroi de gauche. Puis un grand nombre d'ossements d'animaux actuels furent recueillis à la partie supérieure du dépôt. M. Gaillard, chef de Laboratoire au Muséum de Lyon, qui a examiné nos trouvailles, a bien voulu en dresser la liste suivante LB BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 131 Homme. Chien. Renard. Chat. Blaireau. Bœuf. Chèvre. Cochon. Coq. Canard. Les ossements d'animaux paraissent plus récents que les restes humains; ils contiennent de la gélatine et ne hapent pas à la lan- gue comme les fossiles. Ce sont, sans doute, les restes des repas des renards qui cherchaient jadis un refuge dans la grotte, au grand désespoir des ménagères voisines, tremblant, non sans raison, pour la sécurité de leur basse-cour. On constata la présence de pierres ayant subi l'action du feu, ainsi que des charbons des fojers, mais peu abondants. Des frag- ments de poterie grossière, rougeâtre à l'extérieur et noire à l'in- térieur, à parois peu régulières, bosselées, faites à la main, paraissant remonter à l'époque néolithique, furent aussi recueillis. Quelques fragments de silex taillé à patine blanche se rencontrèrent qk et là. Une fusaïole en terre rouge bien cuite gisait sur le sol, près de l'entrée ; elle parait plus récente que les vases. Le petit nombre d'objets qui se sont rencontrés dans la grotte peut s'expliquer encore, en dehors des ablations de terrain, par ce fait que la lumière arrive dans toute l'étendue de la salle et qu'il était bien difficile de les perdre à ce grand jour. La confusion dans laquelle se présentaient les matériaux ne nous a permis aucune constatation stratigraphique. Il n'est donc pas possible d'affirmer la contemporanéité des restes humains, des silex et des poteries néolithiques, quoique cette hypothèse soit fort admissible. Quelques vieillards prétendent avoir vu, dans leur jeunesse, une galerie qui s'ouvrait dans le fond de la grotte et s'étendait fort loin... jusqu'à Anse, distant de 7 kilomètres !... Ce couloir, bou- ché par un éboulement n'a pu être déblayé. En résumé, les deux grottes fouillées ont fourni des traces de l'oc- cupation par l'homme à des époques diverses. Par suite des frais considérables qu'aurait occasionnés leur exploration complète, nous avons dû, à notre grand regret, abandonner momentanément ces recherches. Il REFUGES ET CAMPS RETRANCHÉS L'homme a essayé de tout temps de garantir sa famille, ses troupeaux, ses richesses de la dent des fauves ou de la rapacité de ses semblables. Les hauteurs escarpées défendues naturellement par la raideur de leurs pentes furent munies de retranchements où les tribus indigènes purent, au besoin, se mettre à l'abri des incursions de l'ennemi. Il existe en Beaujolais un certain nombre de ces lieux de refuges. Il ne faut pas y chercher l'ampleur des oppidums de Gergovie, d'Alesia et d'Uxellodunum, où nos ancêtres, les Gaulois, se défen- dirent si vaillamment contre Jules César qu'ils méritèrent son admiration sans éveiller sa pitié. Ce sont, en général, de simples enclos, formés d'un mur en pierres sèches ou d'une levée de terre entourant un espace circulaire ou elliptique assez exigu. Leur emplacement était, en général, si bien choisi, qu'à côté des silex taillés et des vases grossiers néolithiques, nous trouvons des fragments d'amphores, des objets gallo-romains indiquant claire- ment que les populations s'y sont retirées à des époques suc- cessives. Parmi ces points fortifiés, encore reconnaissables, citons les camps de l'Auguel, du Grêt de la Garde, d'Amplepuis, les Châte- lards de Monsolset de Vauxrenard. Ces derniers sont déserts, et leurs enceintes écroulées ne sont même plus un obstacle pour le troupeau du pâtre. D'autres ont continué d'être habités et sont devenus avec le temps des villages et même des villes. Telle est l'origine première, probable, de certaines localités comme Saint- Etienne-la-Varenne, Oingt, Ternant, Ghamelet, Thizy, etc., situées dans des positions défensives admirablement choisies. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 133 Des chemins, devenus des sentiers, desservaient ces camps-refu- ges. L'un d'eux suit toutes les arêtes du chaînon oriental des monts du Beaujolais, descend vers le col où il croise les sentiers des vallées, pour remonter ensuite presque à pic, se détournant parfois pour passer près d'une source, chemin dont l'ancienneté est prou- vée par les sillons profonds creusés dans le dur granit. Sur son par- cours, principalement dans le voisinage des fontaines, on peut faire avec beaucoup de patience une récolte d'instruments en pierres taillées, non pas de ces belle? pièces, l'orgueil des musées et des collectionneurs, mais des fragments de lames, des pointes, des nucléus et des percuteurs qui n'ont pu être utilisés par le mon- tagnard comme pierres à briquet. Camp de l'Auguel. — Le sommet de l'Auguel 890 mètres ou crôt de Najoux, entre Lamure et Vaux, est couronné par des fortifications rudimentaires d'une très grande ancienneté. Le touriste qui ne se laisse pas rebuter par les pentes assez raides de cette montagne, est bien récompensé de sa peine par le pano- rama sans pareil qui, du sommet, se déroule sous ses yeux. Son regard ravi va des montagnes bleues du Jura aux sommets irradiés des Alpes qui échelonnent à l'horizon leurs pics dentelés éblouis- sants de blancheur. A ses pieds, la vaste cuvette bressane vient se souder par des ondulations insensibles au plateau marcéageux des Dombes. La Saône ourle le tout de son ruban argenté et coule indolente entre les grasses prairies de sa rive droite et les coteaux morainiques de la rive gauche. La beauté du site n'entra sans doute pas en ligne de compte dans les motifs qui poussèrent nos ancêtres à construire ce refuge. Il faut plutôt chercher sa raison d'être dans la surveillance facile qui pouvait s'exercer, de ce lieu élevé, sur la vallée de la Saône, le grand chemin des bandes pillardes en quête de butin. L'enceinte de l'Auguel est un vaste ovale épousant la forme du sommet. Il mesure 92 mètres sur son grand axe et 84 sur le petit axe. Formé de pierres sèches, le retranchement est parfaite- ment reconnaissable à l'ouest et au nord, sur une longueur de Soc. Anth. — Beauj. préhist. 9 134 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON 140 mètres; le reste a été épierré en partie pour faciliter la culture et forme deux énormes murgers. Ce qui frappe tout d'abord la vue, ce sont des débris de briques, de tuiles à rebords, de meules en lave et en grès, des fragments de dalles en calcaire oolithique, dont le gisement le plus rapproché est à une vingtaine de kilomètres de l'Auguel. Des sondages exécutés au centre du camp ont mis à découvert les fondations d'une construction rectanglaire, avec mortier con- tenant de la brique pilée, procédé généralement employé à l'époque romaine. Après ces constatations, on serait disposé à donner au camp une origine relativement récente, mais en regardant avec attention, on aperçoit des fragments de silex taillés qui percent çà et là le gazon. Ces silex se rencontrent surtout sur le pourtour de l'enceinte ; ils abondent autour d'une source intarissable qui sort de terre au pied d'un houx centenaire, à 50 mètres en contre-bas du camp, sur le flanc méridional de la montagne. Avec ces pierres taillées, sans formes bien déterminées, nous avons recueilli un talon de hache polie enidiorite, des poteries gros- sières à pâte consolidée par des grains de quartz et munies d'anses rudimentaires sous forme de mamelons latéraux non percés de trous de suspension. Deux rampes d'accès encore reconnaissables, l'une au nord, l'au- tre au sud, indiquent deux entrées du camp. 11 devait en exister une troisième à l'ouest, le terrain ayant été aplani et cultivé maintes fois de ce côté ; des fouilles poussées au-dessous de la couche arable pourraient seules élucider cette question. Le vieux chemin dont nous avons parlé plus haut, qui suivait les crêtes, traverse le camp en reliant les cols de Montmain et des Places, de chaque côté de l'Auguel. En somme, le refuge de l'Auguel parait avoir été construit à l'époque de la pierre polie. Il servit ensuite d'asile aux populations du voisinage toutes les fois que leur sécurité fut menacée et prin- cipalement, sans doute, aux premiers siècles de notre ère, où les hordes des Barbares d'Outre-Rhin se ruaient à l'assaut du plus grand empire qui ait jamais existé. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 135 Camp d'Amplepuis. — A Test du territoire d'Amplepais» entre les châteaux de Rochefort et de Monchervet, M. Paul de Varax a découvert, en 1891, les restes d'un camp retranché 1 . Ce camp, appelé le Terrail — nom qui rappelle des fossés ou un atelier de potier — occupe un petit plateau à surface assez irrégu- lière, légèrement incliné à l'ouest, la partie la plus élevée se trou- vant au sud -est. Un vieux chemin, qualifié dans des titres du xvn e siècle de chemin de Lyon à Roanne traverse le Terrail. Il s'agit, sans doute, de la voie romaine compendiaire indiquée par M. G. Guiguedans ses Voies antiques du Lyonnais, du Beau- jolais et du Forez, comme passant par Amplepuis et qui avait dû suivre le tracé primitif d'une piste aboutissant au gué de Roanne. Le retranchement du Terrail a été détruit par la culture, mais les fouilles qu'y a fait exécuter le propriétaire de la terre de Roche- fort, M. de Varax, ont fait retrouver des fossés circonscrivant un quadrilatère irrégulier, ayant environ 84 mètres à l'ouest, 70 au midi, 90 à l'est et 73 au nord. Les fossés avaient été comblés avec des matériaux divers piertes, terre, charbons, débris de vases, etc. Les fouilles ont donné une grande quantité de poteries pré- 8entant,d'après MM. Dissart et Vincent Durand, les caractères de la céramique gauloise. Les trouvailles furent particulièrement abondantes dans les fossés et dans le fond d'un puits, aux eaux intarissables, alimentant le camp, et qui fut découvert près d'une de ses entrées. Des monnaies ségusiaves en potin ornées du taureau cornupète, de grands clous à tête carrée, semblables à ceux qu'on trouve dans les murailles des oppidum gaulois, des débris d'amphores et des tuiles à rebords tegulee furent successivement exhumés. Les objets en bronze, d'une grande rareté, se sont montrés sous forme d'un petit crochet, une partie de fibule, un fragment de bra- celet et c une pièce assez grosse, mélangée de fer, qui pouvait s'adapter à un mors de cheval * ». En remontant le cours des siècles, la haute antiquité du Terrail 1 Paul de Varax, Histoire d'Amplepuis, p. 2. * Loc. cit., p. 7. 136 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON est prouvée par la trouvaille d'instruments en pierre taillée ou polie. M. de Varax cite des silex taillés, un nucléus, des cailloux ayant servi les uns de percuteurs, les autres de polissoirs, une grosse bille en quartz jaunâtre, un instrument en pierre polie — sans doute une hache — une portion de meule en poudingue siliceux, etc. Nous avons nous -même recueilli au Terrail un assez grand nom- bre de menus fragments de silex taillés et des débris de poteries à pâte grossière et mal cuile qui paraissent synchroniques. Les retranchements primitifs élevés par les mains inhabiles et inexpé- rimentées de l'homme néolithique furent bientôt trouvés insuf- fisants par les peuplades qui y cherchèrent successivement un refuge. Des fossés furent creusés par des populations en possession d'instruments en métal, l'outillage des époques précédentes était trop rudimentaire pour qu'il fût possible d'exécuter des travaux de * cette importance. Les fouilles n'ont révélé aucun fond de cabane. Cependant, la trouvaille d'un atelier de potier par M. de Varax tendrait à prouver que le camp a été habité à demeure par les Gaulois de l'époque de la conquête romaine. Le Châtelard de Mo ns ois. —Entre le bourg de Monsois et le col de Champjoint, qui donne accès dans le Charolais, un contrefort oriental de l'Ajoux ou Saint-Rigaud, de forme conique,, est couronné par des fortifications très anciennes, connues dans le pays sous le nom de Châtelard l . Ces fortifications se composent de deux enceintes circulaires,, concentriques, en terre et en pierrailles. Un premier retranche- ment de 220 mètres de développement circonscrit un cercle de 70 mètres de diamètre et d'une surface d'environ 38 ares. Du côté du plateau qui relie le Châtelard à l'Ajoux, le côté le plus accessible par conséquent, le retranchement mesure encore 2 m 50 de hauteur. Ailleurs, où la déclivité du sol formait déjà un obstacle naturel» sa hauteur varie entre 1 et 2 mètres. * Ce mot est dérivé de Castellum, diminutif de Castrum, forteresse le durum des Gaulois. J LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 137 A 21 mètres de la première enceinte s'élève une deuxième cir- convolution intérieure plus élevée et mieux conservée, limitant un cercle de 28 mètres de diamètre et de 516 mètres carrés par con- séquent de superficie. La hauteur de ce retranchement, du côté du plateau, est de 6 mètres pour s'abaisser entre 2 et 3 mètres sur le reste du pourtour. Les faibles dimensions de ces enceintes ne permettent pas de supposer qu'ils aient pu donner asile à une population nombreuse deux cents personnes pourraient à peine s'y retrancher. S'agit-il réellement de fortifications ou ces constructions ont-elles été élevées dans un but religieux qui nous échappe f C'est ce que l'avenir nous apprendra sans doute. ' M. Baizet, agent vojer d'arrondissement en retraite, qui nous avait signalé ce lieu fortifié, s'employa encore gracieusement pour obtenir du propriétaire du sol, M. Michon, percepteur, l'autorisa- tion de faire quelques fouilles, autorisation qui fut d'ailleurs accordée sans condition. Nous fîmes couper l'enceinte extérieure par une tranchée orien- tée de l'ouest à l'est. A 80 centimètres de profondeur, les ouvriers mirent à découvert quelques ferrailles tellement oxydées qu'elles s'effritaient sous les doigts. A part deux fragments assez épais, recourbés en forme de fer à cheval, de longs clous à tête carrée, les autres objets ne conservaient aucune forme bien déterminée. Cinq tranchées ouvertes successivement en divers endroits, et poussées jusqu'à la roche, ne donnèrent que du charbon de bois et de menus fragments de vases à pâte noirâtre sans ornement. Cette pauvreté archéologique permet de supposer que ce camp fut élevé par des gens prévoyants se ménageant un refuge en cas d'attaque, mais ne fut jamais habité d'une façon permanente. Le plateau couvert de genêts, qui sert d'isthme entre le Châte- lard et le mont d'Ajoux, renferme quelques traces préhistoriques. Nous avons récolté deux nucléus, de petites lames et des éclats divers, le tout en silex bleuâtre. Les silex taillés des hauteurs, comme l'avait déjà remarqué M. Arcelin, en Maçonnais, présentent rarement des caractères propres à une époque déterminée 138 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Le Châtelard de Vauxrenard. — Une colline à som met conique, reliée au mont des Alloigners 806 mètres, par une sorte d'étranglement ou isthme, porte aussi à Vauxrenard le nom de Châtelard. Le petit plateau qu'offre le sommet, d'une surface approximative de 4000 mètres carrés, est défendu naturellement au sud, à l'est et au nord-est, par la raideur de ses pentes ; au nord- ouest et à l'ouest, du côté de l'isthme, était le point faible, c'est là qu'il fallait élever un mur. Construit en pierres et en terre et couvert de genêts, il subsiste encore sur une longueur d'environ 65 mètres, avec une hauteur moyenne de l m 20. Ce lieu formait un excellent observatoire, non pas précisément pour admirer le paysage, mais avant tout pour surveiller le vaste cirque du bassin de la Mauvaise, et par delà les collines de Ché- nas et de Juliénas, la vallée de la Saône. Plusieurs chemins se croisent près de l'entrée probable du camp. Le plus ancien paraît être celui qui passe au pied de la pierre de Saint-Martin ou des Sarrasins, et longe les roches des Fayules fées. Il est bordé de grands blocs de porphyre, aux formes fan- tastiques, qui ont dû impressionner de tout temps les passants portés au surnaturel. Nous le recommandons aux amateurs de pittoresque. Le Montgourry, que ce chemin contourne, est le siège de nombreuses légendes qu'il faut se hâter de recueillir, bientôt il n'en restera nulle trace. C'est le grand sanctuaire des fées, lutins, sarrasins et autres personnages légendaires du Beaujolais. Les vieilles gens du pays prétendent que du temps des grandes guerres ? les habitants de Vauxrenard se sont retirés au Châte- lard. » Nous n'avons pu obtenir aucun autre renseignement au sujet de ce lieu fortifié. A part quelques fragments de vases à pâte grisâtre bien cuite, nous n'avons recueilli aucun objet qui pût nous éclairer sur l'époque approximative de la construction de l'enceinte. Le sol, bouleversé en maints endroits, parait avoir été fouillé très anciennement, sans doute par les chercheurs de trésors. , Camp du Crêt de la Garde. — Le Grét de la Garde, montagne qui s'élève entre les communes de Valsonne, Saint- Appolinaire et Dième, porte à son point culminant les traces d'une- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 139 ancienne castramétation. C'est de là que lui vient sans doute son nom de La Garde », dérivé du mot tudesque warta, qui a le sens de protection, de garde, de surveillance. Une enceinte elliptique, en pierres sèches, de 75 centimètres de grand axe, entoure le sommet. Les blocs qui la composaient n'ont jamais été ébréchés par le marteau. Les assises qu'ils formaient se sont écroulées et jonchent le sol, indiquant encore le tracé de l'en- ceinte. De ce lieu on pouvait surveiller le Ghâtelard de Valsonne, éloi- gné seulement de 2 kilomètres. Les carrières ouvertes dans le magnifique porphyre rouge qui forme ce dernier sommet ont détruit les traces de son refuge à une époque récente. Nos recherches au travers des genêts et des bruyères du camp de la Garde ne nous ont fourni aucun renseignement sur l'époque de sa construction. En résumé, les lieux très anciennement fortifiés sont nombreux dans la région, mais peu reconnaissables, par suite de la mauvaise qualité des matériaux employés qui ne se prêtaient pas à la con- struction de murs d'une grande stabilité, puis, surtout, à l'énorme extension de la culture. Nous appelons l'attention des archéologues sur les points sui- vants le sommet du Saint-Rigaud, le Tourvéon, Brouilly, les Châtelards de Gublize, Valsonne, Joux-sur-Tarare ; les lieux appelés Batailly, commune de Gublize et de Ghazay; la Citadelle au-dessus d'Anse; la Gardette, commune de Propières; le camp de Villemartin, commune de Saint-Igny- de-Ver*. CHAPITRE V PÉRIODE DES MÉTAUX I AGE DU BRONZE L'existence d'un âge du bronze en Gaule a été niée pendant longtemps par certains archéologues, dont les données sur la con- naissance primordiale des métaux n'allaient pas au delà des légen- des bibliques. Cependant, des chercheurs consciencieux, sans idées préconçues, tels que Keller, Troyon, Gross, Desor, à l'étranger; Chantre, de Mortillet,A. Perrin, Revon, etc., en France, scrutaient les nécro- poles antiques, découvraient des cachettes de fondeur et récol- taient enfin un si grand nombre d'objets en bronze que le doute ne fut plus possible. Il est généralement admis que les premières notions métallur- giques ont pris naissance dans le berceau de toutes les civilisations antiques, l'Asie. De là, la métallurgie a dû progresser par étapes successives, sous l'influence de fondeurs nomades Tziganes, Tzin- garis, Gitanos, Bohémiens, Gypsies, Calderari, dont l'origine est sans doute indienne. Les avis sont partagés au sujet de la voie de pénétration suivie en Europe par la civilisation de l'âge du bronze. Les uns préten- dent qu'elle a été introduite par le nord, le long de la mer Noire, la vallée du Danube, et se serait particulièrement développée en Hongrie, d'où elle aurait rayonné de proche en proche sur l'Europe septentrionale et occidentale. 142 80CIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON D'après M. Chantre, les traces de ce courant sont reconnais- sablés en France, dans un espace assez restreint, compris entre la Loire et la Seine. La majorité des antiquités de bronze, dans cette région, présenterait aussi de grandes analogies avec celles du sud-ouest de la Grande-Bretagne, dont la civilisation serait ainsi rattachée au réseau danubien. D'autres auteurs veulent que la connaissance des métaux ait passé d'abord en Grèce, venant de l' Asie-Mineure, en sorte que l'âge du bronze, dans l'ouest de l'Europe, dériverait d'une ancienne civilisation hellénique. L'étude des nécropoles de Mycène et d'Olympie, par Sophus Muller, a démontré que les premières ma- nifestations métallurgiques en Grèce se rattachent plutôt au groupe égy pto-phéoicien . En Gaule, et spécialement dans le bassin du Rhône, le courant d'importation du bronze a dû suivre les rivages delà Méditerranée, venant de l'Orient, en passant par l'île de Chypre, la Sardaigne et le sud de l'Italie. Plus tard, les peuplades du nord de cette pénin- sule, en possession d'une industrie métallurgique déjà fort avancée, pénétrèrent chez nous par les cols des Alpes et apportèrent des pacotilles de bronzes ouvrés. Ce métal fit d'abord son apparition mélangé avec des mobiliers funéraires néolithiques, puis les indigènes apprirent à connaître les gisements des éléments de l'alliage et s'initièrent à l'art du fon- deur. Ils copièrent d'abord servilement les objets importés par voie d'échange, puis des industries locales plus ou moins artistiques se formèrent, des types nouveaux furent créés et constituèrent des groupes distincts, faciles à reconnaître. L'époque durant laquelle l'initiation métallurgique s'est opérée de proche en proche, au milieu de populations qui en étaient encore à l'outillage de la pierre, a été particulièrement étudiée dans la région des Cévennes. Aussi, cette phase transitoire a-t-elle reçu de M. Chantre le nom de Cébénienne. Le même auieur a désigné sous le nom de phase Rhodanienne celle où le bronze finit par être seul employé à l'exclusion de la pierre, civilisation qui devint, en effet, particulièrement brillante dans la contrée que parcourt le Rhône. Ces divisions de l'âge de bronze ont reçu de M. de Mortilletles LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 143 noms de Morgienne ou du Fondeur et de Larnaudienne ou du Marteleur. Notre région renfermant les gisements de cuivre de Chessy et de Sain-Bel, considérés comme les plus riches de France, a dû être, pendant la phase rhodanienne, un centre métallurgique important. La proximité des filons d'étain reconnus dans la vallée de l'Allier, favorisaient encore cet essor industriel. En Beaujolais, la grande extension de la culture delà vigne, qui demande un défoncement provisoire très profond, a été une cause de destruction des gisements de l'âge de bronze, à une époque où ces restes antiques n'étaient pas appréciés à leur juste valeur. Nous avons consulté, à ce sujet, quelques anciens marchands de chiffons et de ferrailles de la commune de Gercié où ce genre d'in- dustrie est prospère; ils nous ont affirmé avoir acheté fort souvent, comme vieux cuivres, des instrumeuts dans le genre de ceux que je leur décrivais. Une grande partie de ces bronzes étaient envoyés à la fonderie de Mâcon. M™ Faivre, sa propriétaire, en sauva un grand nombre de la destruction. Malheureusement, à la mort de cette femme intelligente, sa collection fut dispersée et les objets qu'elle contenait ont pris parfois, entre les mains d'antiquaires peu scrupuleux, une provenance tout autre que la véritable. Il est possible qu'on ait fabriqué d'abord des instruments en cui- vre pur, c'est ce que l'on a cru avoir constaté notamment dans la région du Gard 1 , mais nulle part les trouvailles ne se sont assez généralisées pour que l'on puisse admettre une époque transitoire où ce métal aurait été seul employé. Les traces de la civilisation de l'âge du bronze sont localisées dans les alentours immédiats de la SaOne. Nous indiquerons succes- sivement les trouvailles opérées sur la rive droite, puis celles du lit même de la rivière, et enfin celles de la rive gauche. Ges dernières, quoique faites dans le département de l'Ain, appartiennent évidem- ment à la môme civilisation. Nous ne croyons pas, en effet, comme l'ont prétendu quelques archéologues, que la Saône ait opposé une barrière sérieuse au premier courant d'importation métallurgique. 1 Jeanjean, L'Age du cuivre dans les Cévennes. 144 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DB LYON •Cette rivière paresseuse, incertaine, tardive Segnis et cunc- tabundus, omnis tardusque, comme l'appelle Eumène, était trop •facile à traverser aux basses eaux — comme se le rappellent encore les riverains — avant la construction des barrages et la destruction des gués par la drague. Ce serait donc nous priver, pour cette étude, d'un terme de •comparaison précieux que de nous enfermer dans les bornes étroites des limites conventionnelles. Bronzes de la rive droite de la Saône. — Saint- Georges de-Renein$. — Entre le pont de Montmerle et Port- Rivière, à peu de distance de la Saône, un squelette a été trouvé à 3 mètres de profondeur, en 1895, par un ouvrier occupé à ex- traire de la terre à pisé pour le service d'une tuilerie. Le corps -était accompagné d'une épée et de bracelets en bronze. Le tout fut vendu a un marchand de ferraille et perdu pour la science. A Port-Rivière, une lame d'épée en bronze fut également exhu- mée à une profondeur de près de 3 mètres. Laissée sur les bords -de la rivière, cette lame fut entraînée par une crue. A 2 kilomètres de ce dernier point, près de la Grange-du-Diable, 41 ne lamelle de bronze a été recueillie par nous dans les berges de la Saône, à une profondeur de 2 m 50, au milieu d'une couche archéo- logique du même âge. Odenas. — Fragment de lame d'épée, une bouterolle et des lamelles au lieu dit la Grange-aux-Lions. Villefranche. — Vers 1875, un ouvrier occupé à extraire du •sable, à Béligny, rencontra entre 3 et 4 mètres de profondeur trois bracelets ouverts et ovales, la tige plate au dedans, bombée sur le dos et ornée de nervures sur le pourtour ûg. 66; une épingle à collerette d'environ 50 centimètres de longueur, à tête sphérique, aplatie à ses parties supérieure et inférieure et ornée de dix petits •disques mobiles fig. 67 ; des anneaux et une espèce d'agrafe, le tout en bronze Musée de Villefranche 4 . 1 Grâce à la complaisance du conservateur du Musée de Villefranche, M. Déresse, bous avons pu faire dessiner deux de ces objets. Beaujolais préhistorique ji-afe de ceinture en bronze, Boit rail Saint-Geûrgel-de- Reneins. Grandeur naturelle. Fia. 66. — Villefranche. t/3 gr. Fia. 68. — Thoissy. 8/3 gr. natur. 146 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Ample puis. — Les fouilles du camp retranché ont donné un petit crochet, une partie de fibule et un fragment de bracelet col- lection Paul de Varax. Bronzes du lit de la Saône. — Thoissey. — Hache à oreillettes courtes et rapprochées du sommet de la pièce l collection Valentin-Smith fig. 68. En construisant le barrage, les ouvriers ont exhumé une cui- rasse, des épées et divers autres objets en bronze. Le tout a été transporté et vendu à Paris par l'entrepreneur. Montmerle. — Un peu en aval de l'île, deux épées à lames lan- céolées, à filets simples et à rivets collection Lacroix. Saint-Georges -de- Reneins. — Les dragages opérés dans la Saône, de Montmerle à Trévoux, en 1862, par ordre de l'empereur Napoléon III pour retrouver le lieu de passage des Helvètes, ont donné un fer de lance en bronze et divers objets d'époque plus récente, tels qu'une pince à épiler, une bague romaine en bronze sur le chaton de laquelle est gravé en creux et à rebours NOI IOVI et deux scramassaxes ou sabres francs 1 . Saint-Bernard. — Epée collection Valentin-Smith. Bracelets vendus à un antiquaire de Lyon. Hache collection Rangé à Trévoux. Trévoux* — En aval de l'Ile du Roquet faucille à bouton col- lection Guigue ; trois flèches à soie et à ailerons collection Valen- tin-Smith. Quincieuœ. — Epingle vendue à un antiquaire. Neuville. — Bracelets fort ornés, bourrelets pleins et ouverts, à oreillettes Muséum de Lyon. Collonges-sur-Saâne — Deux épingles en bronze 3 Musée archéo- logique de Lyon. Une valve de moule de hache en bronze, montrant les sinuosités du creux des oreillettes et de l'anneau latéral, ainsi que les points 1 Chantre, loc. cit. Album, pi. VII. 2 Valentin-Smith, Fouilles dans la vallée du Formans. 3 Chantre, loc. cit. Album, pi. XVI, n 0i 12 et 13. LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 147 de repère, a été recueillie dans le lit de la SaCne, en amont de Lyon > sans indication de localité '. Fia. 69. — Thoiswj. 2/3 gr. nat. Bronzes de la rive gauche. — Saint- Didier-sur- Chalaronne, — Petite hache à talon provenant de la povpe d'illia t Muséum de Lyon. Thoistey. — Moitié de bracelet plein, ouvert, à oreillettes col- 1 Chantre, loc. cit. Album, pi. I, n° 1. 148 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON lection de Ferry ; faucille à bouton, ornée de cinq nervures trans- versales à la partie inférieure de la lame 1 collection Valentin- Smith fig. 69; fragment de douille de hache ou de lance collection Arcelin. Peyzieux. — Cachette de fondeur contenant treize hachettes de types variés, brisées intentionnellement ; elles étaient associées à des lames d'épée également pliées et brisées et à des chaînes de bronze ; une embouchure de trompette faisait partie de la trouvaille* collection Lacroix. Montmerle. — Fibule trouvée à Tschollet, non loin des bords do l'Appeum collection Anatole Bedin. Jassans. — Au lieu dit Ercu, grosse épingle à très large tête. Saint-Barnard. — Des fouilles furent faites dans cette localité, en 1862, dans le but de rechercher l'itinéraire de César en Gaule et le lieu où ses légions surprirent les Helvètes au passage de la Saône. Interrogée en latin, la nécropole de La Bruyère répondit dans une langue alors peu connue. Au lieu des sépultures des Tigurins, on trouva des sépultures par incinération et d'autres par inhumation, avec des mobiliers funéraires des âges du bronze et du fer. Au cours de ces fouilles, et en d'autres circonstances, un grand nombre de bronzes furent recueillis à Saint-Barnard. Parmi les plus remarquables se trouvent deux épées, une hache fig. 70, deux poignards, des bracelets, des pendeloques, des colliers, de petites perles et une cuillère 3 Musée de Saint-Germain, collec- tions Valentin- Smith et Guigue. Saint- Didier-de-Formans, — Deux poignards à rivets Col- lection Valentin-Smith. Sainte-Euphémie. — Grand et beau fer de lance Collection Guigue. Trévoux* — Au lieu de Corcelles fibules et bracelets 4 Col - lection Valentin-Smith. Epée fondue d'un seul jet, la poignée 1 Chantre, îoc. cit. Album, pi. XII. 2 De Ferry et Arcelin, îoc. cit., p. 29 et suivantes. 3 Valentin-Smith, îoc. cit , p. 129. , 4 De Ferry et Arcelin, îoc, cit. t p. 130. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE simule des liens et des rivets ; lame peu lancéolée, ornée de filets ' Musée archéologique de Lyon. Fia. 70. — Saint-Barnard. 2/3 gr. nst. Les] poteries de l'âge du bronze dont les caractères spéciaux ont étéj décrits dans le chapitre des gisements archéologiques des bords de la Saône se sont rencontrés dans nombre de locali- tés. Les principaux gisements sont Odenas, la Fosse aux lions ; 1 Valentin-Sraith , loc. cit., p. 29 et suivante*. Soc. ami. — Beauj. préhiat. 10 150 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Lancié, au pied du tumulus ; Gharentay, lieu de Monternot ; Gor- celles, Marcy-sur-Anse, et plus de vingt endroits des alentours immédiats de la Saône. A Go réelles, des travaux de défoncement opérés pour la recon- stitution de vignobles à une profondeur de 60 centimètres, plus considérable que celle qui était usitée autrefois pour la plantation des vignes françaises, ont mis à découvert, à peu de distance les uns des autres, trois cimetières par incinération. Les urnes funéraires présentaient dans chaque cimetière des caractères diffé- rents. Tandis que, dans la nécropole du nord, les urnes étaient recouvertes de tuiles à rebords de l'époque gallo-romaine, celles du groupe de Test présentaient le faciès de la céramique de l'épo- que du fer, comme nous le verrons plus loin. Le groupe d'urnes exhumées dans la nécropole méridionale pour- rait être rattaché à l'âge du bronze. Les vases, à pâte contenant des grains de quartz, s'effritaient rapidement lorsqu'ils étaient ex- posés à l'air. Les rares fragments que nous avons pu examiner por- taient des anses rudimentaires formées de mamelons latéraux non percés de trous de suspension, et l'ornementation consistait en dents de loup ou parfois en points en creux, formant des lignes parallèles. II AGE DU FER Le fer n'arrive qu'en second lieu dans Tordre de succession chronologique des connaissances métallurgiques. Il se substitue graduellement au bronze et ne le remplace pas tout d'un coup. Sa plus grande dureté l'a fait utiliser d'abord pour les armes et les outils» et ce n'est que fort tard qu'il a remplacé le brillant alliage précédent dans la fabrication des objets de parure. L'apparition du métal nouveau coïncide avec quelques change- ments opérés dans les rites funéraires c'est à ce moment que sont construits les tumulus et les grandes nécropoles. Cette époque est encore caractérisée par la création, dans la technique du bronze, ou par le grand développement qu'ils prennent, de types nouveaux tels que les rasoirs» les fibules, les bracelets fermés ou à enroule- ments, les épées à antennes, les ceintures formées de plaques es- tampées et la verroterie. Dans les motifs ornementaux apparais- sent les représentations animales, la spirale, la croix simple ou la croix gammée ou swastika. Le nom d'hallstattienne donné à cette époque où le fer fait son apparition en pleine civilisation du bronze, lui vient du cimetière de Hallstatt, dans la basse Autriche, fouillé dès 1846» par Ram- sauer et von Sacken. De môme que pour le bronze, la date de l'importation du fer n'est pas synchronique pour les diverses contrées de l'Europe. Partie probablement de l'Inde, ce berceau des premiers métallurges, l'in- dustrie nouvelle se propagea par étapes successives de l'Orient à l'Occident. Les rivages de la Méditerranée furent les premiers pourvus du 152 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON nouveau métal, puis des courants d'importation fécondèrent le reste de l'Europe à des époques diverses. La date de l'introduction du fer dans les civilisations antiques ne peut être fixée que très approximativement. Ainsi, en Egypte, les peintures du tombeau de Ramsès III montrent que les armes en bronze étaient encore en usage au xvm e siècle avant Jésus - Christ 1 . Cependant, un grand nombre de paléoethnologues sont persuadés que le fer était connu dans ce pays et dans tout l'Orient à une époque bien antérieure. A l'est de l'Europe, les poèmes d'Homère, œuvre des aèdes des xi° ou x e siècle avant notre ère, citent déjà des armes de fer. En Italie, les fouilles de Corneto et de Bologne font remonter l'appa- rition du fer dans cette péninsule au ix e ou vin 6 siècle. C'est à peu prés vers la môme époque que les premiers ustensiles en fer ont dû pénétrer parmi les populations lacustres de la Suisse, et dans la partie moyenne du bassin du Rhône, parles cols des Alpes. Les premières notions sur le fer ont été fournies, dans l'est de la France, par des recherches opérées dans un but historique. Vers les Alpes on s'occupait d'Annibal, dans le Jura et en Bourgogne, c'étaient l'itinéraire suivi par les légions romaines à l'époque de la conquête de la Gaule et le désir d'identifier, soit Alaise Doubs. soit Alise-Sainte Reine Gôte-d'Or avec YAlesia de César, qui passionnaient les archéologues. Les fouilles des nécropoles des Alpes et d'un certain nombre des quarante et quelques mille tumulus de la Franche-Comté et de la Bourgogne donnèrent, à l'étonnement général, une quantité considérable de documents, ne concordant pas du tout à ce qu'on pensait trouver d'après les textes classiques. Certains savants cristallisés dans leur chaire » comme les appelait le spirituel Du Cleuziou, prétendaient quand même y reconnaître les traces des Carthaginois, des Gaulois et des Romains. D'autres, plus consciencieux, persuadés que nous ne connaissons encore que quelques feuillets de l'histoire de l'humanité, étudièrent 1 0. Montelius, Sur la chronologie de Vâge du bronze Matériaux p. 111, 1885. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 153 sérieusement, et sans esprit de doctrine, cette civilisation qui se montrait ainsi d'une façon si inopinée. D'intéressantes observations furent faites sur les nécropoles des Alpes par divers savants, notamment MM. Borel, Costa de Beau- regard, Perrin, Revon et Vuillermet, dans les Alpes de la Savoie, et MM. Olivier et Tournier dans les Hautes et Basses- Alpes. Puis, M, Chantre, qui s'est attaché à débrouiller le problème de l'origine première de la métallurgie, consacra, lui aussi, plusieurs années à ces laborieuses mais passionnantes recherches '. Les mobiliers funéraires des nécropoles des Alpes, et ceux des tumulus du Jura et de la Bourgogne, permirent d'étudier complè- tement la phase transitoire caractérisée par le remplacement pro» gressif des ustensiles en bronze, par ceux en fer, et enfin le plein développement de ce dernier métal. On reconnut d'abord que l'inhumation, qui était la règle géné- rale dans les Alpes, ne remplaça que beaucoup plus tard, en Bour- gogne, la coutume de l'incinération. La technique industrielle permit de rattacher le premier âge du fer en Gaule aux civilisations similaires plus orientales, notamment à celles de l'Italie et du Caucase. M. Chantre a reconnu, en effet, une parenté éloignée, mais très réelle, entre les fibules, les plaques estampées et certaines formes ornementales des mobiliers funérai- res du bassin du Rhône, avec les objets recueillis par lui, dans les cimetières de Koban Osséthie et de Samthavro Géorgie. De ces constatations on peut tirer diverses conclusions. Sans prétendre que les populations de Test de la Gaule viennent du Caucase, les éléments ethnographiques que l'on possède prouvent que cette région leur a donné la fibule, la spirale, les plaques orne- mentées et sans doute aussi la mode de la déformation crânienne, connue sous le nom de macrocéphalie. De plus, les prototypes des instrumen s de l'époque du fer existant en Orient, on peut affirmer que cette civilisation n'a pas pris naissance en Italie, comme on l'a cru longtemps, mais provient d'une contrée de l'Asie qui, dans l'état 1 Etudes paléoethnologiques dans le bassin du Rhône. Premier âge du fer. 154 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE LYON actuel de nos connaissances, ne peut être déterminée avec exacti- tude. Nous ne connaissons, en Beaujolais, aucune nécropole par inhu- mation de l'époque du fer. Cette pauvreté ne provient, sans doute, que de l'espèce d'ostracisme dans laquelle les archéologues ont tenu jusqu'à ce jour notre pays. Nous espérons toujours que quel- ques coups de pioche heureux amèneront des trouvailles qui combleront cette lacune. Les cimetières anciens, d'âge indéterminé, sont nombreux dans la région, et aucun d'eux, à l'exception de celui de Boitrait, fouillé par nous en novembre 1898, n'a été l'objet de recherches sérieuses opérées dans un but scientifique. Ce qui nous confirme dans l'idée que les explorations opérées dans ce but donneront de bons résultats, c'est d'abord le grand nombre de filons métalliques qui affleurent dans nos montagnes, puis ensuite l'existence, sur les limites de la province, des deux nécropoles de l'âge du fer de Saint Bernard Ain et d'Igé Saône - et-Loire. Le cimetière du plateau des Grandes Bruyères, à Saint-Bernard, fouillé en 1862, par Valentin- Smith et Guigue, adonné à la fois des sépultures par incinération et d'autres par inhumation. Les urnes funéraires et aient la plupart du temps recouvertes par une pierre plate, parfois les cendres posées sur le sol étaient protégées par un vase à large ouverture. Des silex taillés furent trouvés dans certaines tombes. Parmi les instruments les plus remarquables, citons une scie et surtout un poignard rappelant les plus beaux types du Danemark. Ces pierres taillées ne datent pas les sépultures, nous avons, en effet, reconnu l'existence d'une station néolithique sur ce plateau et d'ailleurs la coutume de mettre des silex votifs dans les tombes s'est perpétuée jusqu'à l'époque mérovingienne. Au sujet des objets en métal, laissons la parole à M. Valentin- Smith qui a fait l'historique des fouilles ... Le bronze dominait sous la forme de bracelets, de colliers, de pendeloques, de petites perles, etc., on ne rencontra du fer que dans trois sépultures. C'étaient de longues tiges, des sortes de clous ou de dards... » LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 155 ...Ce n'est que dans les tumulus n 05 4 et 30 que l'on a trouvé des ornements de bronze ; dans le premier, un fragment de collier formé d'anneaux et la moitié d'un bracelet; dans le second, cinq bracelets disposés d'une façon singulière, formant une sorte de croix dont l'un occupait le sommet, l'autre le centre, le troisième les pieds et les deux derniers les bras l . » Sans parler des objets en fer, si l'on s'en tient à la forme des ornements en bronze représentés dans les planches qui accompa- gnent l'ouvrage de M, Valentin -Smith, principalement les brace- lets, les pendeloques et les colliers, on peut affirmer que la plus grande partie de la nécropole de Saint-Bernard appartient à l'époque hallstattienne ou du premier âge du fer. A Igé, près Mâcon, les tumulus sont formés de pierres sèches et renferment ordinairement dans leur masse un ou plusieurs rangs de blocs de plus grande taille. Leurs dimensions varient entre 1 et 4 mètres de haut, sur 10 à 15 mètres de diamètre. M. de Fréminville quia fouillé une quarantaine de ces tertres, les range en trois groupes la Roche, les bois de Blandayan et de Saint-Germain, L'incinération et l'inhumation étaient conjointement usitées dans ces sépultures. Les mobiliers funéraires les plus intéressants et les plus riches delà région bourguignonne se rattachaient, par divers caractères, à ceux des tumulus du Jura et de la Franche-Comté. L'inventaire des fouilles comprend un grand nombre d'objets. Les ustensiles en bronze, les plus remarquables, se composaient de bracelets plats à l'intérieur et croisés à leurs extrémités, orne- mentes de bosselures, alternant avec des stries obliques et des doubles croix de Saint-André. Puis un rasoir semi-circulaire, d'un type courant en Danemark, mais très rare en France, des pendeloques discoîdales, des anneaux et des agrafes. Il y avait encore des perles en verre bleu et rouge et des bracelets en jayet. Abordons maintenant l'étude des gisements de l'époque du fer en Beaujolais. 1 Loc. cit., p. 29. j 156 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Nous avons vu plus haut qu'à Corcelles, au nord-ouest de Belleville, trois cimetières par inhumation avaient été détruits dernièrement par les défoncements opérés pour la plantation de vignobles. L'un d'eux, le plus méridional, présentait tous les caractères propres au premier âge du fer. Les vases funéraires, à pâte d'un gris bleuâtre, bien cuite, étaient parfois munis d'un bec et ornés de bandelettes festonnées appliquées sur le col. Disposées sur trois lignes et à une profondeur moyenne de 50 centi- mètres, ces urnes, au nombre d'une soixantaine, recouvertes de pierres plates, contenaient toutes des cendres et des charbons. Quelques-unes renfermaient en outre quelques menus objets très oxydés en bronze et en fer. Les ouvriers ne rencontrant aucun métal précieux comme ils l'espéraient, piochèrent à môme le champ sans se donner la peine de conserver quoi que ce soit. L'épierrementdu sol ayant fait enlever les plus gros fragments de vases, leur examen et les renseignements fournis par le propriétaire du terrain ont été nos seuls guides pour nos déterminations. Ce champ funéraire nous a donné une hache en pierre polie, trois pointes de flèche finement taillées sur les deux faces, à base rectiligne, sans compter un grand nombre d'éclats de toutes sortes» Nous avons expliqué précédemment que cette partie du territoire de la commune de Corcelles avait fourni des traces du séjour de l'homme allant du quaternaire ancien à l'époque gallo-romaine. Les travaux de rectification de la route d'Odenas à Belleville ont mis à découvert, à l'entrée du bourg de Gharentay, cinq foyers que nous pouvons rapporter à l'époque du fer. Ces foyers, d'un diamètre de l m 20, avaient la forme d'un crois- sant, dont la convexité aurait été tournée en bas. Ils contenaient des charbons, des os d'animaux d'espèces actuelles, bœuf, mouton et porc principalement, puis des fragments de vases. Plusieurs de ces vases auraient pu être extraits entiers si l'avidité des ouvriers, espérant trouver un trésor ne les avait fait briser avec empresse- ment. L'un d'eux contenait deux cornes d'un jeune taureau ; nous les avons conservées dans notre collection avec une grande partie du vase. Un des foyers nous a donné une lamelle de fer. Le minerai de LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 157 fer affleure d'ailleurs à la surface du sol, à peu de distance de ces foyers. La poterie à pâte noirâtre est faite au tour et très dure. La forme des bords se rapproche déjà de la céramique gallo-romaine, mais la présence de bandelettes et de chevrons sur le col des Tases les reporte à une époque antérieure. Un certain nombre d'objets en bronze, décrits dans notre article sur ce métal, peuvent être attribués à l'époque du fer. De ce nom- bre sont les trouvailles du camp d'Amplepuis, où le bronze et le fer étaient associés, puis quelques pièces provenant des dragages de- la Saône. III TUMULUS Les tumulus connus, existant encore dans la région, sont au nom- bre de quatre, si Ton y comprend celui de Crét-du-Py, àVille-sur- Jarnioux, qui est douteux. Ce sont, outre celui que nous Te- nons de nommer, ceux de Belleville, Lancié et Saint -Romain-de- Popey. Ces tertres funéraires portent le nom générique de poype qu'on leur donne généralement dans Test de la France. Le tumulus de Belleville est situé à quelques mètres de la Saône, tout près de l'extrémité occidentale du pont suspendu qui met en communication cette dernière ville avec le village de Guéreins, dans le département de l'Ain. Ce tumulus est en forme de cône tronqué, d'une hauteur de 5 mètres, avec une plate-forme circu- laire de 11 mètres de diamètre. Le contour de la base est de 125 mètres ; il est entouré de deux rangs de fossés d'une dizaine de mètres de large, séparés par un retranchement de 190 mètres de développement. La partie orientale du tumulus a été entaillée pour fournir des matériaux à une levée de terre destinée à endiguer la Saône, mais sans que les travaux aient été poussés à une assez grande profon - deur pour atteindre les sépultures. Cette poype, qui a donné lieu à diverses hypothèses sur le but de sa construction, a été citée par plusieurs auteurs, notamment par M. A Vingtrinier, dans les Traditions populaires comparées. Il la décrit ainsi Sur la rive droite de la Saône, entre le bourg d'Anse et la ville de Mâcon, l'itinéraire romain place la station de Lunna, dont le nom très facilement ramené à Luna, semblerait indiquer un lieu où LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 159 la lune était révérée du temps des Romains, ce dont on acquiert en quelque façon la certitude quand on voit le nom de Belle-ville, substitué à celui de Luna, car c'est comme si l'on disait le village de la Belle, le village de la Lune Bellœ-villa. Au nord l des habitations, dans un pré verdoyant qui longe le port, se montre à nu une motte de gazon, assez élevée, qui frappe les regards de tous les voyageurs et qui fait surgir naturellement des questions aux- quelles nul n'est à môme de répondre aujourd'hui. Seulement on vous dit quelquefois que c'était anciennement un bureau de péage de la Saône. Nous serions, nous, plus porté à voir dans cette poype un lieu d'adoration pour les populations frontières des Ségusiaves et des Edus. Il passe tout près de là un ruisseau qui descend du bourg de Monsol, c'est-à-dire de la montagne du soleil, mons solis. Ainsi le soleil était encore le voisin de la lune en cet endroit 8 . » Les mariniers prétendent qu'un souterrain part de la poype de Belleville, passe sous la Saône et aboutit à la poype de Guéreins, non loin du vieux chemin des Feilles fées. Un gué aurait existé, dit-on, en cet endroit; les dragages ramènent, en effet au jour de nombreux objets préhistoriques, comme on l'a vu plus haut. Au sommet d'un coteau qui domine le bourg de Lancié s'élève le Châtelard, tumulus d'une douzaine de mètres de hauteur. Le Ghâ- telard est la propriété de la famille Trône qui l'a fait entourer d'une muraille et couronner d'un belvédère. Malgré ces travaux, le fossé qui entourait le tumulus est encore reconnaissable à Test et au sud. Il y a une quarantaine d'années, le propriétaire eut l'idée de le faire fouiller et fit creuser à cet effet un puits central jusqu'à l'horizon de la base, mais sans résultat. Les nombreuses fouilles de tumulus opérées dans le département de l'Ain, par exemple, ont montré que rien n'est moins certain que la position des cistes funéraires et qu'ils se sont souvent rencontrés près des bords, comme si les constructeurs avaient eu l'intention d'ouvrir plus facilement le caveau familial pour y introduire de nouvelles sépul- 1 Le tumulus est à Test de Belleville et non au nord. * Loc. cit. y p. 757. 160 SOCIETE D* ANTHROPOLOGIE DE LYON tures. L'expérience a montré que, dans ce cas, il est plus rationnel de faire exécuter des tranchées en croix. Nous avons recueilli sur le pourtour du tumulus de nombreux fragments dejvases des époques du bronze et du fer, puis des restes de repas funéraires. Les alentours nous ont donné quelques rares instruments en silox ouvrés. A Ville sur-Jarnioux, au lieu dit le Crêt-du-Py, s'observe une éminence rocheuse qui simule parfaitement un tumulus d'une dou- zaine de mètres de hauteur. Cette espèce de tertre, recouvert en partie de terre, porte sur ses faces orientale et méridionale trois rangées de sépultures. Les tombes, au nombre d'une cinquantaine, sont formées de cuves en grès, moins larges vers les pieds qu'à la tête, et recouvertes soit d'une dalle unique, soit de plusieurs morceaux. La plupart de ces sépultures ont été fouillées par les chercheurs de trésors, quelques-unes'sont cependant encore intactes. Nous en avons fait ouvrir deux. La première, celle d'un enfant, ne contenait que des os très friables ; la deuxième était celle d'un adulte, les os se trouvaient en place et en bon état de conserva- tion. Le crâne brachycéphale ne présentant aucune anomalie a été déposé au Muséum de Lyon. Ces tombes ne renfermaient pas trace de mobilier funéraire et n'offraient aucune particularité extérieure qui permît de les dater. Cependant, comme les archéologues sont généralement d'avis que les auges unies à l'intérieur, c'est-à-dire ne présentant pas un espace circulaire ou deux arêtes plus ou moins saillantes pour recevoir la tôte, sont antérieures au xi 6 siècle, et que, d'autre part, aucun des objets qui se rencontrent habituellement dans les tombes mérovingiennes n'y a été découvert, il n'est pas trop hasardé de faire remonter ces sépultures au ix* ou au x c siècle. Une des particularités curieuses du Crét-du-Py, c'est qu'il présente vers les faces qui portent les sépultures un fossé comme certains tumulus, fossé très reconnaissable vers l'est où il mesure 7 mètres de large. Il ne serait donc pas impossible qu'il existât quelques tombes plus anciennes que celles que nous avons décrites. Certains tumulus portent sur leurs flancs, comme le Crét-du- Py, des inhumations de beaucoup postérieures à leur érection. LE BEAUJOLAIS 161 M. Lebœuf en a signalé un exemple à Vertus Marne, en 1868. Le cimetière, remontant à l'époque gauloise, portait le nom de Champ -des-Crons, et le centre de la butte celui de Cours Mottée, le mot cour en Champagne ayant, d'après Du Cleuzioa, le même sens que Lez en Bretagne. Le tumulus du Ghâtelard-de-Ballaison porte, d'après M. Revon 1 , de longs cercueils en dalles de molasse, orientés est-ouest et ali- gnés parallèlement en plusieurs rangées. Une légende très curieuse a cours au sujet du Crêt-du-Py, Les gens du pays prétendent qu'il renferme un trésor dont les pièces principales sont un veau, un bélier, un mortier et un pilon en or massif. Le tertre s'ouvre une fois par an, la nuit de Noël, au premier coup de minuit et se referme au dernier. Un habitant des environs étant devenu riche subitement, on prétendit qu'il avait réussi à dérober une pièce du trésor, le mortier ou le pilon, nous ne savons au juste lequel. Une légende à peu près identique se raconte, si nous avons bonne mémoire, au sujet du mont Saint-Michel de Carnac. On prétend aussi qu'un souterrain, dont on retrouverait les tra- ces dans une maison voisine, conduit sous le Crêt-du-Py à la chambre du trésor. A proximité de ce tertre se trouve une vieille chapelle sous le vocable de saint Clair, et il est fort probable qu'il y a une relation entre le temple chrétien et les sépultures du Mané. Une fontaine sacrée dédiée également à saint Clair se voit der- rière l'abside de la chapelle ; ses eaux miraculeuses guérissent les maux d'yeux a font voir clair», dit-on dans le pays. Les pèlerins s'y rendaient en foule autrefois le jour de la fête du saint, le 2 jan- vier. Il existe encore une singulière coutume à ce sujet. Les ména- gères ne mettent pas couver d'œufs durant toute l'année le jour de la semaine où est tombée la fête du saint, parce que les œufs resteraient clairs, il ne se formerait pas de poussins. Ainsi, en 1897, la Saint-Clair ayant été un samedi, tous les samedis de l'année ont été mis à l'index pour l'établissement des couvées. 1 Revon, La Haute-Savoie avant les Romains, p. 42. 162 SOCIETE D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Le Crêt-du-Py était autrefois la propriété de Ville- sur-Jarnioux. Lorsque, vers 1840, la commune vendit ses communaux, la croyance au trésor enfoui sous le tertre était si bien enracinée dans l'esprit des gens du pays qu'aucun des principaux habitants du hameau de Saint-Clair ne voulut laisser à ses voisins la possession exclusive du pseudo-tumulus. Sept d'entre eux se cotisèrent et l'achetèrent en commun ; il est encore à l'heure actuelle possédé indivisément par sept familles de l'endroit. Ce tertre nous avait été signalé par notre ami Mari us Golard, qui se chargea d'obtenir des propriétaires du Grôt-du-Py l'autori- sation de fouiller les sépultures situées sur son pourtour. Six d'entre eux, tout en faisant des réserves au sujet du trésor, accor- dèrent de bonne grâce l'autorisation demandée. Le septième, un ex-industriel, ne put se figurer que ces recherches étaient abso- lument désintéressées, il mit à son consentement des conditions tellement draconiennes que le projet fut abandonné. Le tumulus du Crêt-de-Popey, sur les confins du Beaujolais et du Lyonnais, occupe le sommet d'une montagne conique qui fait partie de la commune de Saint-Romain-de-Popey. Il est connu dans le pays sous le nom de camp ou de bains de César. Voici, d'après Ogier, l'origine du nom de Popey donné à la com- mune et à la montagne. Le nom de Popey, Popée, Popez diversement écrit comme on peut le voir, qui sert à distinguer la commune, a une étymologie romaine. Le nom de Vicum Rornanum poppea a fait admettre que l'empereur Néron parcourait ces contrées, accompagné de Poppée, sa concubine ; émerveillé du site enchanteur du pays et de la forme bizarre du mont qui l'avoisine, il consentit, pour satis- faire au caprice de Poppée, à faire bâtir pour elle un château au sommet de la montagne. De là, Mont-de-Poppée et, par suite, Saint-Romain-de-Popée. Toutefois, on n'y trouve point de ruines, mais seulement des débris de murs, de tuiles, de briques ; ajou- tons le panorama le plus varié '. » 1 Ogier, La France par cantons arrondissements de Ville franche, p. 411. LB BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 163 Le baron Raverat n'admet pas cette étymologie pour le nom de Popey. ..» La plus simple observation, dit-il, fait retrouver dans le nom de Popey le radical gallo-celtique Po ou Pen, et le diminutif pe> ce qui signifierait petite montagne, relativement à la grande montagne de l'Arjoux. D'un autre côté, on pourrait y voir aussi la réduplication de ce môme radical Pen qui, on le sait, se pro- nonce indifféremment, selon la localité, Poet Pey v . » Nous ne les suivrons pas sur le terrain glissant des étymologies. Sans ajouter à la légende rapportée par Ogier plus d'importance qu'elle n'en mérite, il est certain que le Grôt-de-Popey a été occupé par les Romains; on y rencontre, en effet, des tuiles à rebords, des briques et des fragments de vases. Une muraille de 7 mètres de longueur, sur m 90 d'épaisseur et m 70 de hauteur s'observe encore à la base méridionale du tumulus, tandis qu'à la base septentrio- nale est creusé un fossé. Le tertre connu sous le nom de camp ou de bains de César, comme nous l'avons dit plus haut, présente les dimensions sui- vantes hauteur 12 mètres, contour de la base 104 mètres, dia- mètre delà plate-forme surmontée d'une croix 11 mètres. Les débris romains ne sont pas les seuls restes antiques qu'on y constate. Nous avons récolté en effet sur la pente occidentale du Crêt-de-Popey, à peu de distance du sommet, 47 silex taillés. Ge sont de unes lames en silex, de couleurs variées, un grattoir type de Robenhausen, à sommet étalé en éventail et des éclats triangu- laires qui ont dû être utilisés comme pointes de flèche. On raconte qu'un jour le marquis d'Albon, alors propriétaire du Mont-de-Popey, eut l'idée de faire ouvrir le tumulus, mais que les travaux furent arrêtés par des flammes qui jaillirent sous la pioche des ouvriers. Un souvenir historique plus récent, qu'on nous permettra de rapporter quoiqu'il sorte de notre sujet, se rattache au Mont-de- Popey. C'est là que se joua le dernier épisode du drame qui ensanglanta 1 Loc. cit., p. 449. 164 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Lyon pendant la Révolution. Les insurgés lyonnais, les Muscadins, comme on les nommait, ayant à leur tête le comte de Précy, for- cèrent les lignes assiégeantes à Vaise et Tinrent se réfugier dans les bois du Grôt-de-Popey. Les troupes de la Convention envoyées à leur poursuite les y surprirent ; la plupart furent tués ou faits prisonniers. Quelques-uns échappèrent au massacre et on a con- servé le souvenir de fugitifs, traqués de toutes paris par les soldats et les paysans, qui vécurent pendant quelque temps, en primitifs, dans les bois d'Alix ou se réfugièrent dans les anfrac- tuosités des Roches-des-Fées du Grêt-de-Néry. Nous rappellerons, sans nous étendre sur ce sujet, la poype de la Poyebade, dont nous avons parlé plus haut en décrivant les stations d'Odenas. Il existe sans doute un plus grand nombre de tumulus qui ont échappé jusque-là à nos recherches ou qu'une étude trop superfi- cielle ne nous permet pas de signaler sans crainte d'erreur. Certains noms typiques peuvent servir à en déterminer l'empla- cement. Tels sont les nombreux Chàtelards disséminés dans le département du Rhône et qui, comme nous nous en sommes assuré, désignent tantôt un lieu fortifié, tantôt un tumulus. Signa- lons à l'attention des paléoethnologues les Chàtelards de Sainte- Catherine- sous- Ri verie, Sainte-Foy-1'Argentière, Chasselay, Val* sonne, etc. Les études historiques même peuvent donner à ce sujet des résultats inattendus. Ainsi la lecture des Mazures de Vile-Barbe, par Le Laboureur, nous a permis de constater l'existence d'une poype au moyen âge dans le massif du Mont-d'Or et de deux autres dans le Franc-Lyonnais. Si ces poypes ne sont pas complètement détruites, un examen attentif et les données que l'on pourra recueillir d'après les anciens noms de lieu plus ou moins altérés permettront sans doute de les retrouver. Voici les passages de Claude Le Laboureur, où nous trouvons •cités ces anciens monuments ... Hugues de Montdor, que j'estime être frère de Guy, vivait l'an MCCLIX. Car au mois de may de cette année, il vendit à Milles de Vaux Doyen, et au chapitre de Lyon, la moitié par LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 165 indivis de la Poyppe du Montdor, et certaine maison et Yerchère contiguës, sizes à Fontaines, pour le prix de vingt- cinq livres viennois,.. 1 » Pons de Guyzeu, moine de TIle-Barbe, prieur de Sallon. Ce religieux qui a vescu chez nous depuis l'an 1284 jusqu'en Tan 1306, estait du Franc-Lyonnais et non du hameau de Joussieu près de l'Ue-Barbe comme j'ay crû autrefois, mais de la maison ou poype de Guyzeu, laquelle estait dans le territoire de Vimies, aujourd'hui Neufville, près Montaney, à raison de quoi Bernard de Guyzeu, Damoiseau, vassal de Guigues, abbé de File-Barbe, con- tribua comme les autres vassaux de cet abbé, habitans en ces quartiers, à la clôture et à la fortification de la petite ville de Vimies, pour leur servir d'azile et de retraite en temps de guerre...» ... Pons de Guyzeu, damoiseau, épousa Damoiselle Hiérémie deBerno, fille de noble Jean de Berno. Elle survesquit son mary, car elle vivait encore Tan MGGLXI, auquel elle vendit à Milles de Vaux, Doyen et au chapitre de Lyon trois parties de la poipe de Berno, et du bois joignant qui luy avaient été donnés par sa sœur moyennant le prix de trente-quatre livres, quinze sols.... 2 » 1 Le Laboureur, Les Masures de V Abbaye royale de Vile-Barbe, t. II, p. 449. 2 Loc. cit., p. 363. Soc. antb. — Beauj, préhist. 1 1 CHAPITRE VI FOLK-LORE TRADITIONS POPULAIRES Le Folk-lore, mot par lequel on désigne la science de la littéra- ture, des traditions et des usages populaires, passionne tous ceux qui s'intéressent aux survivances dupasse. Il y a urgence à recueil- lir ces traditions, où se révèle la façon de penser du peuple, avant qu'elles aient achevé de disparaître sous le vent de destruction qui souffle à notre époque. Le folk-lore beaujolais n'est pas aussi riche que celui de cer- taines régions éloignées des grandes villes et en dehors des courants d'émigration. Son étude amène cependant des surprises. On est tout étonné, par exemple, de trouver encore vivace, aux portes de Lyon, la cité catholique par excellence, la croyance aux fées et autres esprits rappelant les divinités du panthéon celtique et souvent préceltique. Burnouf dit, avec raison, que les religions, en se succédant, ne font pas table rase du passé, les nouvelles gardant des anciennes tout ce que celles-ci avaient debon, de grand, d'humain, deconsapré par le temps. Les Celtes, qui s'infiltrèrent parmi les populations néolithiques, amalgamèrent sans doute leurs rites à ceux des peu- plades qui subirent leur domination. Dans les temps historiques, certaines adaptations de cérémonies anciennes aux cultes nouveaux font comprendre ce qui a dû se passer aux époques antérieures. Ainsi, longtemps avant la con- quête de la Gaule par Jules César, les prêtres conduisaient des processions dans les champs en invoquant la protection des dieux 168 société d'anthropologie de lton sur les biens de la terre '. Les Romains n'ayant pu déraciner cette coutume, ou la trouvant bonne par suite de sa ressemblance avec les Lupercales, en firent les Ambarvales amb, autour, arva, champs. Puis, au V e siècle, saint Mamert, arcbevéque de Vienne, les christianisa sous le nom de Rogations. La curieuse Fête des Merveilles, célébrée à Lyon, avec éclat, jusqu'à la fin du xiv e siècle et qui n'était autre que celle de la Fortune Forte, Fortuna Fors, avait reçu la sanction de l'Eglise sous le nom de fête des Miracles *• Nous ne nous occuperons, dans cette étude, que des survivances des croyances antérieures au christianisme, ou de celles qui, pré- sentant un cachet récent par suite de substitution de personnages, peuvent être rapportées, avec des probabilités sérieuses, aux époques préhistoriques ou du moins proto-historiques. Fées et lutins. — Parmi les croyances qui se perdent dans la nuit des temps, rangeons celles relatives aux fées. L'imagina- tion populaire les a établies gardiennes des mégalithes, des pierres à cupules, des roches bizarres et des fonts ou fontaines sacrées. Le mot fée dérive du latin fata qui signifie destinée. Ce nom était particulièrement attribué par les Romains aux trois Parques Clotho, Lachesis et Atropos. Puis ils identifièrent les fées ou fata des cultes anciens, aux nymphes nommées Fatuse, épouses des Faunes ou Fatui, divinités habitant les bois et les lieux les plus sauvages. On se représente généralement les fées comme de blanches et belles jeunes femmes, d'une éternelle jeunesse. Divinités cham- pêtres, elles s'intéressent aux humains, assistent parfois à la nais- sance des enfants, les surveillent, les bercent même en l'absence de leur mère. Fileuses habiles, elles châtient les nleuses mala- droites ou paresseuses. Telle était, par exemple, la fée Arie de la Franche-Comté. 1 Rambaud, Histoire de la civilisation française, p. 23. 3 M. -G. et Georges Guigue, Bibliothèque historique du Lyonnais* t. I, p. 186. LB BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 169 Dans les alentours de Tarare, les fées avaient le corps recouvert d'un pelage de couleur sombre et étaient fort laides '. Ces fées velues, que Ton ne retrouve nulle part ailleurs, ont sans doute été confondues avec les satyres et les faunes, aux pieds de bouc, de la mythologie latine. Les fées aiment la solitude, les bois ombreux, elles fuient devant la civilisation et restent actuellement cantonnée» dans les endroits les plu s sauvages et les plus inaccessibles des montagnes, loin des habitations des hommes. La jeune génération incrédule et essentiellement déicide ne leur montre pas assez d'égard, aussi, à part quelques rares maisons isolées où elles remplissent encore le rôle de dieui Lares, les fées fuient-elles généralement les humains. Devenues timides à l'excès on ne les aperçoit plus que de loin, au clair de lune, ou par les temps de brouillard. Au moyen âge, les fées ont joué un grand rôle. Elles figurent dans la littérature avec tous les caractères que Ton rencontre dans l'antiquité chez les Fata, les Fatum et les Nymphes. À cette époque, le mot fée était parfois un adjectif. Une chose fée était frappée d'enchantement, sous le coup d'un sort comme le croient encore les habitants de certains cantons. C'est dans ce sens que l'auteur du roman de Lancelot du Lac dit En ceiuy temps estoit appelé faé cil qui s'entremettait d'enchantements 8 . » La Ba~ lisarde de Roland était fée, comme aussi la clef de Barbe-Bleue. Le christianisme, ne pouvant déraciner la croyance à ces gra- cieuses actions de l'imagination populaire, s'efforça de substituer la Vierge aux fées. C'est ainsi qu'en Suisse les trois Parques sont devenues les trois Marie 3 . Les fils d'araignée qui voltigent dans l'air, à l'automne, appelés encore dans certaines régions les fils des fées, ont été changés en fils échappés à la quenouille de la Vierge. En Beaujolais, la Fontaine des Fées, à Avenas, s'est aussi transformée en Fontaine de la Vierge. 1 Melville Glover, Monuments préhistoriques des environs de Tarare* 2 Maury, Les Fées du moyen âge, p. 25. 3 Grimm, Mythologie, note, p. 288. 170 SOCIETE d'anthropologie de lton Les fées disparaissent rapidement et il est temps de s'occuper de leur histoire, Du temps où il y avait des fées, — nous disait dernièrement un vieux paysan de la montagne de Tarare, — elles habitaient le Fayet, leur maison ayant brûlé, elles ont abandonné le pays. » Il expliquait ainsi, à sa façon, les pierres vitrifiées du tumulus du Fayet, à Machezal, non loin d'Amplepuis. Il n'y a pas très longtemps que les fées n'habitent plus certains cantons de la vallée de l'Àzergues, qu'elles affectionnaient autre- fois. Le Grêt-de-Néry, commune de Saint-Just-d'Avray, avec ses roches bizarres, aux profondes anfractuosités, était un de leur séjour favori. Un bloc de porphyre, situé à la pointe orientale de la montagne, est creusé de plusieurs cavités connues sous les noms de Marmite et écuelles des fées ». Un jour que nous allions voir cette pierre à écuelles, signalée par notre ami Marius Golard, arrivé au hameau de l'Antoine, une bonne femme, non contente de nous indiquer le chemin à suivre, nous conta encore naïvement, et avec l'accent de la sincérité, l'histoire suivante dont l'action s'est déroulée ce à l'époque où sa mère était jeune » Les flancs du Crét-de-Néry étaient alors couverts d'un bois de chênes où les porcs des hameaux voisins allaient à la glandée. Un soir, le plus beau d'entre eux revint portant à son cou une bourse assez rondelette qui fut naturellement enlevée par l'heureux pro- priétaire de l'animal. Le lendemain les porcs furent renvoyés au bois, mais le porteur de la bourse ne reparut pas. Les fées en avaient eu besoin pour leur cuisine et, honnêtes avant tout, elles l'avaient payé généreusement à l'avance. Le même fait s'était passé maintes fois auparavant. C'était la dernière fois que les fées du Grêt-de-Néry manifestaient leur présence aux mortels, depuis elles ont abandonné définitivement le pays. » La même légende se raconte avec une légère variante à Ville- sur- Jarnioux. Au col du Châtoux se trouve un amas de grosses pierres connu sous le nom de Pierre-Scellée. C'est le vocable par lequel on désigne souvent les dolmens il rappelle sans doute un mégalithe détruit. Les fées qui habitent les cavités de la Pierre- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 171 Scellée sont les descendantes des Sarrasins. Gomme leurs voisines du Crét-de-Néry, elles ont souvent acheté des porcs aux habitants des hameaux environnants, choisissant le plus gras du troupeau et le payant à l'avance au delà de sa valeur. Il est curieux de voir le porc associé au souvenir des fées. À leur arrivée en Gaule, les Romains trouvèrent ce pachyderme et son ancêtre le sanglier, jouissant d'une certaine vénération. Le sanglier figurait comme enseigne de quelques peuples. Sur une médaille frappée en l'honneur de l'Eduéen Dumnorix, ce druide est figuré tenant d'une main une tête d'homme et de l'autre un porc ou un sanglier 1 . Un bronze du Musée de Saint-Germain représente la déesse Arduinna, identifiée avec Diane chasseresse, montée sur un sanglier. C'est sans doute en raison de cette vénération que les Romains élevaient à Langres des monuments à Mercurio-Mocho, mot à mot à Mercure-cochon *, pour s'attirer les sympathies des vaincus en adoptant quelques-unes de leurs croyances les plus chères. La Truie qui file sculptée sur le portail de certaines églises, n'était qu'une réminiscence du môme ordre d'idées. A Lyon même, n'avions-nous pas encore, vers 1838, au coin des rues Palais- Grillet et Tupin, un hôtel à l'enseigne de la Truie qui file. Si nous tournons nos regards vers l'Orient, nous voyons la Diane d'Ephèse représentée avec des mamelles de laie et la ville homérique de Troie tirerait très prosaïquement son nom delà truie, d'après les auteurs des Traditions populaires comparées. II est très présumante, disent-ils, que la fameuse Troie d'Homère, Troia, fut aussi figurée sous la forme d'une truie, troia en latin, à en juger par la manière dont on a représenté FAlba-Troia d'Italie dans une médaille romaine qui rappelle la fondation de cette première ville des Troyens on y voit une laie avec ses nombreux marcassins qui la tettent 3 . » 1 Monnier et Vingtrinier, Traditions populaires comparées, p. 496. % Alexandre Lenoir, Mémoires de la Société royale des antiquaires de France, t. I, p 122. 3 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 497. 172 société d'anthropologie de lton Il serait intéressant de rechercher si cette vénération n'aurait pas pénétré de l'est à l'ouest avec les courants d'importation des métaux. Le porc est en effet parfois représenté dans les motifs ornementaux de l'époque hallsttatienne 1 . Cette étude nous condui- rait trop loin. Revenons aux fées beaujolaises. Des fées appelées suivant les lieux fa jettes, fayules, fioles, fous, fadettes petites fées, les f adula des Latins sont les plus connues. Lavandières étranges, elles étendent leur linge impalpa- ble par les temps de brouillard. Malheur alors à l'imprudent qui les dérange pendant cette utile occupation. Bonnes en temps ordinaire, elles deviennent furieuses, tout disparaît en un clin d'oeil, linge et lessiveuses, un sort est lancé sur le curieux qui voit dans l'année un malheur s'abattre sur sa maison. Des fayettes se rencontraient jadis à la fontaine située près de la Pierrefitte de Dième. Suivant les cas elles se montraient avec des robes de couleur différente, blanches, rouges ou noires. Les savants des environs tiraient des pronostics plus ou moins rassu- rants du changement de toilette de ces divinités solitaires. Le curé de la paroisse chassa les fayettes du pays en allant lire vers la source l'évangile de saint Jean. Curieux rapprochement. Nous voyons par les pièces du procès de Jeanne d'Arc que le chêne des Fées, sous lequel elle avait eu ses premières visions, donnait lieu à une cérémonie semblable. Chaque année, le curé de Domrémy allait y lire l'évangile pour en chasser les mauvais génies. Des fées lavandières se voyaient encore à la fontaine des Fayettea, au pied des Rochefoiles d'Avenas, près des Fayules de Vaux- renard, des pierres des Fayettes de Trades, des roches des Fayet- tes de Marchampt, etc. Tout ce petit monde », suivant l'expres- sion des vieillards, a presque disparu. On en verrait encore dans les bois de Couroux, à Poule et Propières, d'après ce que nous a raconté une vieille paysanne du pays. C'est un endroit prédestiné, 1 Chantre Ernest, Recherches anthropologiques dans le Caucase, Atlas, pi. XXV, fig. 9, 10, 11, 12 et 13 ; pi. XXVI, fig. 7 et 9. LB BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 173 d'ailleurs. Au milieu de blocs gigantesques, apportés par Gar- gantua, s'élèvent la maison des Fées, la cheminée des Fées, le moulin des Fées et le rocher fameux connu sous le nom de Roche- d'Ajoux, est la table des Fayettes. On pourrait plutôt l'appeler leur salle de bal, car c'est là que les rares passants de ces lieux solitaires et redoutés, prétendent les avoir aperçues, dansant des rondes silencieuses au clair de lune. On y voyait autrefois un grand nombre de cavités, œuvre des fées. La plus grande portait le nom de ce pied du bœuf». On donnait encore aux Fées les surnoms de Bonnes Dames, de Pucelles, qualificatifs dérivés de bonze donné aux Parques et de virgines et puellse accordés aussi bien aux Nymphes qu'aux Fata. Un bois qui s'étend entre Grézieux-le-Marché et Sainte-Foy- l'Argentière s'appelle le bois de la Dame. Sur les confins des départements du Rhône et de la Loire, un bois des Dames couvre aussi les flancs du mont Pinay. Le pré de la Dame est une dépen- dance du château de Rochefort à Amplepuis. Enfin l'interjection dam, dont on se sert journellement en Beaujolais et ailleurs, serait, d'après Yallot, une invocation aux Dames-Fées. Les fées étaient en général douces et favorables aux humains, mais il fallait éviter avec grand soin de les froisser, car elles se vengeaient cruellement. L'une d'elles ayant subi quelque offense delà part des habitants d'Ouroux, jeta du vif-argent dans l'étang d'Avenas, situé en amont de cette ville *. La digue de la Croix-de- l'Etang qui retenait les eaux fut rompue et la ville d'Ouroux détruite. La rupture de cette digue eut lieu par une cause restée inconnue, et comme Ouroux est bâti dans une vallée fort étroite, une bonne partie des habitations a dû être emportée par les eaux. L'imagination populaire ne sachant à quelle cause attribuer cette catastrophe, en chargea la conscience d'une fée. En souvenir de cet événement qui fit, dit-on, beaucoup de victi- mes, une vieille croix scellée sur un rocher escarpé qui domine le 1 C'est le titre que lui donne un dicton du xi e siècle c Ville d'Ouroux, bourg de Beaujeu. » 174 • SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON défilé barré par la digue, porte le nom de Groix-des-Morts. Erigée, sans doute, peu de temps après la catastrophe, elle est surmontée d'une girouette aux armes des sires de Corcheval, anciens seigneurs d'Avenas. Toutes les fontaines guérisseuses du Beaujolais étaient consacrées aux fées, on en trouve la présence dans les légendes qui s'y rapportent. Les exhortations et les anathèmes du clergé n'empê- chant pas les croyants d'aller y chercher une guérison peu coûteuse, on christianisa les fonts sacrées en les mettant sous le vocable de la Vierge ou de quelque saint. Les fées, en bonnes dames, ne gardèrent pas rancune à ceux qui les supplantaient et conservèrent aux sources leurs vertus cura- tives. La fontaine de la Vierge à Aven as, ancienne fontaine des Fées, aux eaux légèrement thermales, était en grande vénération parmi la population des Dombes. Les pèlerins affluaient le 15 août et chacun d'eux emportait précieusement une bouteille d'eau de la source sacrée qui devait guérir les accès de fièvre paludéenne. Une meilleure entente des règles de l'hygiène, une nourriture plus saine et le dessèchement d'un certain nombre d'étangs, en faisant disparaître en grande partie lei germes mor- bides, ont porté un coup funeste au pèlerinage. La présence de cette source intarissable n'a peut-être pas été sans influence sur le choix de l'emplacement du petit bourg d'Ave- nas. La construction en ce lieu, du temple chrétien, est racontée ainsi qu'il suit dans une légende peu connue que nous croyons utile de rapporter. Louis le Débonnaire, qui porte le surnom de Pieux dans la curieuse inscription du maître- autel, voulut faire construire une église en reconnaissance d'une victoire remportée sur le traître Ganelon. L'édifice fut commencé au col du Fût-d'Avenas, sur les ruines de l'antique monastère de Pelages, détruit par les Sarrasins, monastère qui avait lui-même remplacé une mansion mansio- nés de la voie romaine secondaire qui reliait Lunna i Auguste- dunum Autun. Les travaux n'avançaient pas, chaque matin les ouvriers trouvaient dispersés les matériaux qu'ils avaient utili- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 175 ses la Teille. Le Maître d'oeuvre y vit la main de Dieu et, réunis- sant ses compagnons, leur dit qu'il allait jeter son marteau dans la vallée, et que là où il s'arrêterait on construirait l'église. Le mar- teau lancé d'une main vigoureuse et soutenu par une force surna- turelle, alla tomber à 1200 mètres du Fût-d'Avenas, au milieu -d'un buisson d'aubépine qui croissait auprès de la fontaine des Fées. La construction de l'église recommencée en ce lieu s'acheva sans difficulté. A Ville-sur- Jarnioux, près de l'habitation hospitalière de M. Anatole Bedin, et sur un col conduisant à Oingt Iconium, une source miraculeuse coule au pied d'une vieille croix ayant remplacé un ermitage consacré à saint Abraham les gens du pays disent saint Abran. Les eaux de cette source jouissent de la singu- lière propriété de procurer, à bref délai, un mari aux jeunes filles qui, craignant de coiffer sainte Catherine, viennent s'y désaltérer. A l'heure actuelle, le pèlerinage, dont l'origine païenne est in- contestable, est à peu près tombé en désuétude, mais, il y a quel- ques années, les jeunes gens allaient y boire l'eau de la source le jour de la fête de saint Abraham. Les mauvaises langues prétendent que l'eau aux propriétés surnaturelles et les bois ombreux tapissés de mousse opéraient des... miracles. On était parfois obligé de faire des mariages hâtifs pour éviter les commérages et des recher- ches de paternité fort difficiles comme chacun sait. Sur le territoire de la même commune sourd une autre source sacrée près de la maison qu'habita Jules César...! et qui porte son nom. Ses eaux guérissent les maux d'yeux, il était tout natu- rel de les mettre sous la protection de saint Clair. On a, en effet, construit, vers le xvi° siècle, à côté de la fontaine, une chapelle dédiée à ce saint. Les fées affectionnaient cette région, et l'une d'elles se montre- rait encore parfois dans les environs du château de Prosny, non loin de là. Les bois situés près du hameau du Peineau, renferment une pierre des Fées et c'est sur le territoire de la même commune que les descendantes des Sarrasins continuent à habiter la Pierre- Scellée. Un dicton prétend encore que de la Fontanes — fontaine située 176 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON près du col du Châtoux, — à la Pierre-Scellée, il y a plus d'or que dans tout le reste du royaume de France. » Ce trésor est gardé par les fées. Une des sources les plus réputées du Beaujolais est celle de Saint-Rigaud, à Monsols. Située près du sommet de l'Ajoux, point -culminant du pays, elle a uni, depuis la Révolution, par donner son nom à la montagne. La source traverse, dit-on, le corps du saint, et c'est cette particularité qui communiquerait aux eaux les vertus surnaturelles de donner la fécondité aux femmes stériles et de guérir, en outre, à peu près tous les maux qui affligent la pauvre humanité. Les chrétiens non concordataires, c'est-à-dire qui rejettent le Concordat conclu en 1801, entre le premier Consul et Pie VII, ont aussi la fontaine de Saint-Rigaud en grande vénération. Ces schismatiques, appelés les Bleus ou les Blancs, sont encore nombreux dans la région qui avoisine Monsols. Leur pape ou évé- que réside actuellement dans la commune de Propières. Le sommet du Saint-Rigaud est couronné par les restes d'un prieuré bénédictin, construit vers le xi° siècle, sur les ruines d'un temple roumain, ayant remplacé sans doute lui-môme un sanctuaire •celtique. Nous avons en effet recueilli dans les décombres un moyen bronze à l'effigie de Faustine, des tuiles à rebords et des fragments de vases qui établissent la présence en ce lieu de con- structions remontant aux premiers siècles de notre ère. Les débris gallo-romains, que nous sommes le premier à signaler sur l'Ajoux, prouvent que l'étymologie d'Ara Jovis attribuée à cette montagne paraît bien être la véritable et n'est pas aussi réjouissante que le prétendait un écrivain de la région. Nous avons d'ailleurs sur ce point l'approbation de M. Georges Guigues dont personne ne contestera la haute compétence en la matière. Deux autres montagnes du pays ont leur nom terminé par ce suffixe jou. Ce sont TArjoux non loin de Tarare et le crêt de Na- joux euAuguel, entre Vaux et Lamure. Or, tous deux portent à leur sommet des traces de constructions romaines parfaitement reconnaissables. Simple effet du hasard, dira-t-on. N'oublions pas que le hasard est souvent un grand iraitre qui démolit sans scru- LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 177 pule les opinions préconçues des savants qui se forgent des théo- ries sur les lieux et les choses sans sortir d'entre les quatre murs de leur cabinet de travail. Les pèlerins partageaient autrefois leurs dévotions entre la cha- pelle du prieuré, sous le vocablede Saint-Loup d'Ajoux et lasource. La chapelle ayant disparu pendant la Révolution, la fontaine a continué de mériter, par ses cures, les sympathies des fidèles. Ils s'y rendent en grand nombre, les 15 août et 8 septembre, fêtes de la sainte Vierge. Chaque pèlerin, par suite d'une ancienne coutume, plante une de ces petites croix qu'on y rencontre par milliers et qui étonnent le touriste non préparé à ce spectacle. Le voyageur surpris par les ténèbres dans les sentiers de la mon- tagne, apercevait parfois, près de la source, un grand feu autour duquel tournoyaient de blanches ombres aux formes vaporeuses. Il se retirait alors en toute hâte et sans bruit, craignant d'être en- traîné par les fées, dans quelque ronde dont nul humain n'est jamais sorti vivant. Ce feu ne laissait pas de trace, les arbres ne s'en- flammaient pas à son contact et l'herbe même n'était pas foulée par les mystérieuses danseuses. Au village d'Avenas, les vieilles gens racontent aussi que les feux allumés par les Sarrasins ne brûlaient pas le bois. Nous trouvons donc encore, à Saint Rigaud, le sou venir des fées allié aux croyances nées sous l'influence du christianisme. C'est une preuve de la haute antiquité à laquelle remonte la coutume de venir en ce lieu solliciter les faveurs de la divinité. Il est plausible de supposer que cette région était déjà un centre religieux à l'arrivée des Romains et que, suivant leur tolérante coutume, ils se contentèrent de placer les dieux de l'Olympe à côté des divinités des vaincus. L'étymologie généralement admise pour le bourg deMonsols, bâti au pied du Saint-Rigaud, est mons solis r mont du Soleil 1 , ce qui tendrait à prouver que Bel où le soleil était adoré sur la fière montagne qui domine tous les alentours, mon- tagne qui prit à la suite des siècles le nom d'Ajoux, dérivé d'ara Jovis, par suite d'une substitution de culte. 4 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 757. 178 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON Rappelons que la présence des populations néolithiques dans la région est prouvée par la trouvaille de silex taillés autour du Ghâtelard, sur le versant oriental du Saint-Rigaud, ainsi qu'au col de Crie. Parmi les autres fonts sacrées sanctifiées par le christianisme, citons la fontaine du château des Tours, à Saint-Etienne-la -Va- renne, connue autrefois sous le nom de Fontaine des Sarrasins, et qui a été mise, il y a quelques années, sous la protection de Saint- Jean. Ses eaux guérissent les coliques infantiles, il suffit pour cela d'appliquer sur le ventre du patient des langes trempés préalable- ment dans la source. La fontaine située près de l'antique chapelle de Vers, à Saint - Igny-de-Vers, est une panacée universelle. Celle de Saint-Pan- crace, à Denicé, guérit les coliques. La fontaine de Nème Nemo- susj, sur le mont Brouilly, guérissait les maux d'yeux. Elle est délaissée depuis la construction d'une chapelle, érigée en 1857, dans le but de mettre les vignobles beaujolais sous la protection de la Vierge. Certaines sources sont restées païennes. De ce nombre est la Font -Sala, à Theizé, qui envoie ses eaux au Ruissel, affluent du Morgon. Elle annonce les grandes calamités par l'affiuence extra- ordinaire de ses eaux. Les gens du pays prétendent qu'en 1870, par exemple, elle a coulé beaucoup plus abondamment qu'en temps or- dinaire. On rencontre des silex taillés en assez grand nombre dans les alentours de cette source; les chasseurs préhistoriques se sont donc désaltérés maintes fois à ses eaux fraîches et limpides. Les eaux du ruisseau de Chanillère, à Tarare, guérissent de cer- taines maladies, mais, d'après Melville Glover, elles n'ont cette propriété qu'à proximité du Palet de Samson, non loin des noyers dansants. Le Palet de Samson était une longue pierre servant de pont, et les noyers dansants rappelaient les rondes auxquelles se livraient les fées du voisinage. Certaines pierres et fontaines étaient consacrées aux fées Mar- tines, ou Martes; le christianisme rajeunit les légendes qui s'y rapportaient et changea leur nom. Elles devinrent les pierres de Saint-Martin et les Fonts-Martin. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 179 Ces fées Martine8 ou Martes, d'après Flammarion, ... sont de grandes femmes hideuses, maigres, à peine vêtues, aux cheveux longs, noirs et raides, aux mamelles flasques et pendantes. Du haut de la table d'un dolmen, ou du faite d'un menhir, elles appellent parfois à la tombée de la nuit les bergers et les labou- reurs, et si ceux-ci ne se hâtent pas de répondre à leurs avances, elles les poursuivent en rejetant leurs seins par-dessus leurs épau- les. Malheur à celui qui ne fuit pas assez précipitamment et qu'elles contraignent à subir leurs baisers impudiques 1 ». A. Vauxrenard, la pierre de Saint-Martin porte encore les noms de pierre des Fées ou des Sarrasins. Le baron Raverat prétend qu'on y voit des bassins et des cupules creusés par la main des hommes 1 . Nous connaissons la pierre de Saint-Martin pour l'avoir vue maintes foie, et nous n'avons remarqué, à sa surface, que des cavités absolument naturelles. Il est vrai que les ouvriers d'une carrière voisine ont essayé de la briser, et que les cupules, s'il en existait, ont pu disparaître par suite de cet acte de vandalisme. Une légende rappelle la lutte de saint Martin avec le diable ou, si l'on aime mieux, entre l'ancienne religion et la nouvelle qui cherchait à l'étouffer. La voici dans toute sa naïveté Saint Martin avait autrefois, dit-on, de nombreux démêlés avec messire Satanas et ils se jouaient l'un à l'autre d'assez vilains tours. Le diable finissait naturellement toujours par avoir le dessous avec son saint adversaire. Un jour que Satan s'occupait à transporter au sommet du mont des Eguillettes les pierres qu'on y voit en si grand nombre, Martin, qui passait, se mit à le railler, disant que des pierres d'aussi petite dimension formaient un fardeau bien indigne d'un si puissant personnage. Piqué au vif par le ton moqueur du saint, Satan jura de couronner son œuvre par le transport d'un rocher gisant au fond de la vallée. Saint Martin accueillit en souriant ce qu'il considérait comme une vantardise. * Flammarion Camille, Les Problèmes psychiques et VInconnu. 1 Baron Raverat, loc. cit. 180 SOCIÉTÉ d'àNTHROPOLOGIB DE LYON Cependant le diable se charge gaillardement le bloc sur les épaules et se met à gravir la montagne. Goguenard au début, le saint se trouble en voyant le diable approcher du but et appelle à son secours ses collègues de la Cour céleste. Le ciel ne resta pas insensible à leurs prières et ne permit pas qu'un des siens fût battu par l'Ange des ténèbres. Satan fit un faux pas et laissa tomber son lourd fardeau non loin du sommet de la montagne, où on le voit encore. Satan, tout confus, fut encore condamné à monter, avec le gros orteil, une série de marches microscopiques, taillées ad hoc, par saint Martin, dans la pierre qui porte son nom. Furieux de cette pénitence puérile, le diable s'en venge en faisant exécuter par ses subordonnés, et par les nuits obscures, des rondes infernales autour de l'objet de sa défaite. La pierre est hantée, disent les paysans, et nul n'oserait s'en approcher après le soleil couché. Plusieurs fois les gens du pays, en attelant tous leurs bœufs, réussirent à transporter la pierre de saint Martin au haut de la montagne, mais le lendemain elle se retrouvait toujours à sa place habituelle. Découragés, les habitants ont fini par laisser tranquille la pierre-fée. Ogier rapporte une autre légende d'après laquelle la pierre aurait été amenée dans l'endroit où elle se trouve par Notre- Sei- gneur Jésus-Christ lui-môme, sur un char attelé de deux veaux, ja Sainte Vierge et saint Martin l'accompagnaient. A Dième, se trouve une pierre de saint Martin sur l'ancien chemin conduisant de ce dernier village à Ternant. Nous en repar- lerons au sujet de Gargantua. A Amplepuis, un rocher porte aussi le nom de Martin, Nous connaissons deux Fonts-Martin, l'une à Vauxrenard donne naissance au ruisseau de Changis ; l'autre, sur le territoire de Cenves, sourd de terre non loin des cols de Petite-Diane et de Grande-Diane. Les dames noires, plus rares que les dames blanches, s'aper- çoivent surtout dans les lieux isolés couverts de grands arbres m Vieilles et hideuses, comme les fées Martines, elles frôlent, par les nuits obscures, les passants épeurés qui se vouent à tous les LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 181 saints du Paradis. De ce nombre était la dame noire du gour mare des Baïses, à Juillé, puis celle de la planche Darras, à Juliénas. Plusieurs voyageurs revenant des foires lointaines, après avoir laissé leur raison au fond de leurs verres, ou qui avaient l'imagination exaltée par les récits des longues veillées d'hiver, m'ont affirmé les avoir jadis rencontrées. A Germolles, dans la vallée de la Grosne orientale, les posses- seurs du curieux château de Gorze, aux murs revêtus extérieure- ment de panneaux de chêne, avaient la visite d'une dame noire à l'approche de la mort du châtelain. Elle parcourait les salles et les corridors du manoir en criant d'une voix lugubre Marquis de Gorze, prépare-toi, dans trois jours tu seras mort». A l'ouest de la ville de Villefranche-sur-SaÔne, et à mi-côte do3 monts du Beaujolais, une éminence qui domine le bourg de Cogny porte près de son sommet les traces d'un camp ou oppidum gallo- romain. A diverses reprises on a recueilli en ce lieu nommé Mo- landry Moles Adriani, des monnaies, des vases, des tuiles & rebords et autres restes antiques. Une tradition locale, rapportée par le baron Raverat l , prétend que les blocs parsemés sur les flancs de la colline sont les restes d'une ville maudite, séjour actuel des fées et des revenants de toute espèce. Chaque année, au milieu de la nuit de Noël, au son des cloches, sortant des profondeurs de la ville détruite, on voit Une longue procession d'ombres silencieuses errer au milieu des ruines, accomplissant on ne sait quelle lugubre cérémonie. Le vivant assez hardi pour se mêler à ces êtres sortis du tombeau serait infailliblement frappé de mort. Lorsque, à l'automne, le vent souffle à déraciner les arbres dans les forêts et transforme en tuyaux sonores les vastes cheminées des maisons antiques, la grand'mère qui voit se serrer autour d'elle ses petits enfants effrayés, leur explique que le bruit est produit par le Diable qui accourse poursuit la Berthe». Il s'agit sans doute ici de Berthe-la- Sauvage, ou Berthe -des-bois, des légendes delà Franconie, delà Souabe et de laThuringe, qui ne serait autre 1 Loc. cit. , p. 472. Soc. anth. — Beauj. préhist. 12 182 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON que Herte ou la terre adorée par les Suèves des bords de la mer Baltique 1 . En Franche -Comté, elle devient la dame Verte par suite du changement de la lettre initiale. Chez les Armoricains, on attribue la construction des voies romaines à une dame Berthe. Dans d'autres provinces, Herte a été identifiée avec la mère de Charlemagne, Berthe au grand pied des romans de la Table ronde. Certains auteurs voient dans Herthe, ouBerte, une incarna- tion d'Isis, d'autres la femme du roi Robert qui, excommuniée, aurait accouché d'une oie. De là serait venue ma Mère l'oie » des Contes populaires. Ce diable qui accourse la Berthe est encore une réminiscence des légendes propagées à l'introduction du christianisme, dans un but facile à comprendre. Dans la partie nord du Beaujolais, région montagneuse et peu commerçante, où les traditions se sont conser- vées plus pures qu'ailleurs, le diable est remplaeé par un person- nage nommé Colo. On dit alors que c'est Colo qui accourse la Berthe ». Ce nom serait-il une corruption de celui de Golo, le farouche persécuteur de Geneviève de Brabant, c'est ce que nous n'avons pu éclaircir. Au milieu des tempêtes nocturnes, on entend parfois la chasse de *, Ganelon, le traître de la chanson de Roland. Les ruines de son châ- teau couronnent le Tourvéon ', montagne conique qu'on aperçoit de loin, et qui semble regarder par-dessus les crêtes voisines si quelque horde barbare ne forcera pas, une fois de plus, les paisi- bles populations voisines à lui demander asile. Les Romains avaient établi une forteresse sur le Tourvéon, et le fossé profondément creusé dans ses flancs, qui enserre le sommet, est peut-être leur œuvre. Jusqu'au ix e siècle, Tourvéon fut le chef- lieu du Pagus Tolveonensis 3 , puis d'une châtellenie dépendant des sires de Beaujeu. Ganelon, vaincu à AvenasparLouis le Débonnaire, aurait, d'après la légende, subi le supplice de Régulus, en punition de ses forfaits. 1 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 268. 2 De Turrts vehens qui porte des tours, ou de Torvus, farouche, me- naçant. 3 Bernard Auguste, Description du pays des Ségusiaves, p. 82. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 183 1*9 tonneau hérissé de clous dans lequel il fut enfermé, lancé sur les pentes rapides du Tourvéon, roula jusqu'à remplacement de l'église actuelle de Saint-Didier-sur-Beaujeu, qui fut construite en mémoire de cet événement. Se voyant perdu, Ganelon jeta au fond du puits enchanté du château, son casque d'or et un plat du même métal. Ce trésor est gardé par un dragon et nul de ceux qui, tentés par la cupidité, ont essayé de le ravir, n'a revu la lumière. Dans la chasse de Ganelon il y a évidemment ou substitution de personnage, on a rajeuni la légende. Ce chasseur nocturne se retrouve en effet un peu partout et porte des noms très différents. En Scandinavie on entendait parfois dans les forêts un bruit semblable à celui d'une troupe de cavaliers lancés au galop, c'était Odin qui révélait sa présence aux mortels en chassant à la tête de ses guerriers. Dans l'ouest, c'est lâchasse du roi Arthus ou Arthur, qui défraye les longues veillées d'hiver. Dans l'est, c'est tantôt Arioviste, le roi Hérode, l'amiral Chabot 1 ou encore Hennequin* qui font trembler les habitants des maisons situées près des forêts. La partie haute de la vallée de l'Ain est parcourue par un chasseur légendaire nommé Oliferne et, coïncidence curieuse, ses trois filles seraient mortes du terrible supplice subi par Ganelon *. Avant d'abandonner les fées si chères à nos ancêtres, citons les principaux lieux-dits qui rappellent leur souvenir. La marmite et les écuelles des Fées, à Saint-Just-d'Avray ; Les roches des Fées; au crêt de Charmes, à Saint-Appolinaire ; La grotte des Fées, à Poule ; La fontaine des Fées, ou fontaine de la Vierge, à Avenas ; La côte des Fées, à Moiré; La roche des Fées, qui tourne à minuit le jour de Noël, à Saint- Marcel- l'Eclairé ; Le chemin des Fées, à Saint-Marcel-l'Eclairé ; La pierre des Fées, à Ville -sur- Jarnioux; 1 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 85. 9 Rambaud, loc. cit., p. 455. 3 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 48i. 184 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON La pierre des Fées, ou Pierrefite, à Dième; Les roches des Fées, à Marchampt ; Les Fées de la ville maudite de Molandry, à Cogny ; La combe des Fées, à Vaux; ! Le crêt des Fayes fées, entre Vaux, Saint-Cyr-le-Ghatoux et Montmelas ; La cabane des Fayettes, à Poule; La maison des Fées, à Propières; Le hameau des Fées, à Thel ; 7 La rue des Fayettes, à Villefranche ; Le hameau des Fayettes, à Beau jeu ; Les roches des Fayettes ou desFayules, à Vauxrenard, Avenas et Trades ; Les roches des Fayettes, à Vaux ; La table des Fayettes Roche d'Ajoux, à Poule; La fontaine des Fayettes, au pied des roches de Roche fort, à Avenas ; La Roche folle, à Vaux ; La Folie, à Odenas ; La Pierre folle, à Ronno ; ^ La cheminée des Fées ou des Fayettes, à Propières ; Le moulin des Fayettes, à Propières; L'église des Fous fées, à Ronno; Le hameau des Fous, à Ghenelette ; Les Fous, à Saint-Romain-de-Popey ; Le bois de la Dame, près Sainte-Foy-l'Argentière ; Le bois des Dames, entre Belmont et Belleroche ; Le pré à la Dame, à Amplepuis ; Le bois des Fayoules bois des Folliez, en 1456, à Ample- puis ; * La Pierre de Saint-Martin fées Martines, à Vauxrenard ; La Pierre de Saint-Martin, à Dième ; La Font-Martin, à Vauxrenard; La Font-Martin, à Genves, etc., etc. En dehors des fées, d'autres esprits des airs, des bois, des fon- taines existaient chez les peuples de la Gaule, antérieurement à LE BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 185 l'arrivée des Romains, et sans qu'il soit possible d'indiquer à quelle époque ces croyances ont pris naissance. De très petite taille, ces esprits gardiens des trésors enfouis au pied des menhirs, aidaient les travailleurs, soignaient les animaux domestiques, êtres malicieux se plaisant parfois à tourmenter les personnes craintives. Les peuples Scandinaves et les Germains avaient leurs Elfes ou Alfes qui ont pénétré en France sous Jes noms d'Aube ou d'Aubin. L'aubépine leur était consacrée, ainsi qu'aux fées ; cet arbuste passe encore pour préserver de la foudre. Ces nains que, suivant la pittoresque expression de Du Gleuziou toutes les subtilités scolastiques des docteurs de grande et de petite robe n'ont pu faire passer encore pour de véritables démons» portent différents noms Poulpikans, Kornikoneds, Korils, Crions, en Bretagne ; Follets, dans le Berry ; Gobelins, près de Paris ; Koboltz et Folletbts dans l'est ; Servants dans le Lyonnais et Lutins un peu partout. Les lutins logent dans les fentes des rocbers, comme les fayettes. D'autres, plus sociables, choisissent quelque maison à leur conve- nance pour y établir leur domicile. Une vieille religieuse, originaire deValsonne, dans la vallée du Soannan, racontait à une de nos parentes que, dans sa jeunesse, des lutins tressaient pendant la nuit la crinière des chevaux de son père. Ces lutins ont abandonné les bourgs et les hameaux populeux, et quelques rares représentants habitent seuls des maisons isolées. Ils les quittent généralement à la mort des vieillards qu'ils avaient vus naître et bercés maintes fois en l'absence de leur mère. La jeune génération n'est pas assez respectueuse envers ces êtres très susceptibles. G* est à cette catégorie d'esprits qu'ap- partenait le Servant du Lyonnais, connu sous le sobriquet de Cadet l . Très serviable, il aidait les domestiques dans leur tâche et affectionnait les animaux domestiques, principalement les chevaux. 1 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 648. 186 SOCIÉTÉ D ANTHROPOLOGIE DE LYON D'autres esprits sont connus en Beaujolais sous le nom d' Ardis 1 . On les aperçoit par les nuits obscures, cheminant dans le fond des vallées, près des fontaines, sur la lisière des bois, dans les cime- tières, partout où se rencontrent de l'eau croupissante et des corps en putréfaction. Les Ardis suivent parfois les passants, mais fuient au contraire devant ceux qui veulent les voir de près, curiosité déplacée dont on a toujours à se repentir. Les gens pusillanimes ne passent encore qu'en tremblant près des lieux où les Ardis se livrent à leur danse nocturne, surtout si ce divertissement, qu'on peut alors qualifier de macabre, a lieu dans un cimetière. La science baptise les Ardis du nom de feux follets, mais l'explication qu'elle en donne n'obtient aucune créance auprès des vieilles gens qui puisent leur incrédulité dans les traditions des ancêtres. Gargantua. — Un des mythes les plus populaires est celui du géant Gargantua, le très horrifique père de Pantagruel ». Gargantua n'est pas une création éclose dans le cerveau du joyeux curé de Meudon. Son origine est plus ancienne. Fils de Bélénus, ou Bel, d'après Henri Gaidoz, il est considéré comme une sorte de dieu Thor ayant donné au monde sa forme actuelle. A Vauxrenard, sur la rive droite du ruisseau la Mauvaise, au pied du Montgourry, une arête rocheuse, de 300 mètres de long, qui simule assez bien le tertre formé par le foisonnement des terres sur une tombe récente, porte le nom de Tombeau de Gar- gantua. Tombeau grandiose, s'il en fût, mais où le fils de Garga- melle et de Grandgousier doit être à l'étroit, si l'on en croit ses exploits, auprès desquels les sept travaux d'Hercule feraient piètre- figure. En Beaujolais, c'est Gargantua qui a façonné les montagnes et une seule de ses botchulos hottée a suffi pour former le mont Roimont 543 mètres, entre Ghénas et Juliénas. G'est encore à ses travaux surhumains qu'on doit le lit de la Saône. Les pierres 1 Nom dérivé sans doute du latin ardere, bi ûler. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 187 arrachées du sol et amoncelées formèrent le mont Brouilly ; les sables constituèrent le territoire de Saint-Georges-de-Reneins. Gargantua était d'une taille tellement colossale, qu'un pied sur Brouilly et l'autre sur le Saint-Bonnet, à 10 kilomètres de là, il buvait en Saône. Grand mangeur, il lui fallait aussi obéir à la nature et c'est ainsi qu'un jour, un pied sur le rocher d'Oingt et l'autre sur la pierre de Saint-Martin, à Dième, de l'autre côté de la vallée d'Azergues, il déboucla son ceinturon. Le résultat consti- tua le territoire de Létra. De là viendrait le surnom de m donné aux habitants de cette commune par leurs peu charitables voisins. Gardien et constructeur des mégalithes, c'est encore Gargantua qui a semé les sommets de nos montagnes des amas de roches où se cachent les fayettes et les lutins. Mythologie. — En l'absence de textes, les traces des anciens cultes peuvent se retrouver dans les légendes et surtout par l'étude des noms de lieu. Sans attacher à ces recherches onomastiques plus d'importance qu'elles n'en méritent, des suppositions fort plausibles sont cependant permises lorsque nous trouvons réunis, dans un rayon restreint, des noms rappelant les divinités mytho- logiques, et d'autres qui ne peuvent être attribués qu'aux dieux topiques des populations autochtones, en tant qu'il y en ait qui puissent être appelées ainsi. Le souvenir du culte de Bel, Bal ou Belen, dieu solaire, uni- versellement adoré chez les anciens, se retrouve dans les noms des villages de Béligny, près Villefranche ; Sain-Bel, dans la vallée de la Brevenne ; Belmont, dans celle de l'Azergues ; Bel- mont, chef- lieu de canton de l'arrondissement de Roanne, et dans les nombreux Belleroche, Beauvoir autrefois Bel voir, Bellevue, Belair, etc., qu'on rencontre fréquemment dans le Rhône et dont quelques-uns peuvent se rapporter au dieu-soleil. Un écart de la commune de Germolles s'appelle Balifay, mot qui peut se traduire par le hêtre de Bel, fay et hêtre étant synonymes. Les auteurs des Traditions populaires comparées ont cité sur la rive gauche de la Saône, à la hauteur du Beaujolais, plusieurs localités dont les noms dérivent aussi du culte rendu au soleil 188 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON La Font-Belin est la partie supérieure du ruisseau de Formans, qui passe de la Bresse à la Dombes, au nord de Trévoux. Il prend sa source prés d'Ambérieux, à l'étang des Devins, comme à celai de Mélinan pour Bélinan ; l'm et le b se substituent, et tombe dans la Saône près de Beluison '. » Belisama ou Belisana, déesse de la lune, la sœur de Bel, appelée par les Romains Soleymia y et que Jules César a identifiée avec la sage Minerve, a sans doute donné son nom au hameau de Solémy , à Saint-Romain-de-Popey. Les Celtes avaient déifié les forêts, les sources, les rivières. Les fontaines bienfaisantes s'appelaient des Divonnas Du Dieu, Vannon fontaine. Nous avons vu plus haut que, christianisées, elles continuent leurs cures. La déesse Arar la Saône était une syrène de mœurs libres, prenant les nautonniers aux lacs de ses cheveux d'or, les faisant mourir de plaisir *. » A la source du ruisseau de Jullié, affluent de rive gauche de la Mauvaise, les noms des lieux-dits font supposer que ce territoire était sacré, ou du moins qu'il y existait un sanctuaire antique. Ainsi on y trouve les cols de la Petite-Diane et de la Grande- Diane, rappelant la déesse des forêt? et de la chasse. La source du ruisseau se trouve dans le val de Roland, qui renferme aussi le hameau de Boubon, nom qui ressemble étonnamment à celui de Boubona, divinité protectrice des bœufs chez les Gaulois 3 . A peu de distance coule la Font- Martin, ou fontaine des fées martines. C'est encore dans le même lieu qu'un chône gigantesque, espèce d'arbre sacré, s'élevait au point de jonction des limites des paroisses de Jullié, Cenves et Saint-Jacques-des-Arrêts et se voyait encore à la fin du siècle dernier. Il était, à certains jours, on ne sait pour quel motif, un but de réunion pour les populations des alentours. Nous avons décrit plus haut p. 76 une station néolithique existant autour d'une des sources du ruisseau de Jullié, et signalé 1 Loc. cit., p. 180. * Jarrin Charles, La Bresse et le Bugey, p. 45 3 Rarabaud, loc. cit., p. 22. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 180 la présence de débris gallo-romains, qui prouvent que ces hauteurs ont été habitées de toute antiquité. En outre du chêne du val de Roland, on a conservé le vague souvenir de quelques autres arbres sacrés existant dans le pays, La grobe de Marchampt, qui a donné aux habitants de cette localité leur surnom de grobis, en était un sans doute. Le mot grobe, en patois beaujolais, désigne un tronc d'arbre sec, privé de ses branches. Au col du Fût d'Avenas s'élevait un hêtre gigantesque qui s'apercevait, dit-on, de Lyon 60 kilomètres. Il portait le nom d'Arbre des Sarrasins, qui lui venait de ce que ces derniers y auraient pendu les nonnes du monastère de Pelages, bâti près de là. L'abbesse Anstrude avait seule échappé an massacre '. Les seigneurs, plus ou moins hauts justiciers du pays, auraient suivi cette louable coutume, qui les dispensaient d'élever des fourches patibulaires. On y apercevait parfois des dames noires qui pous- saient des cris sinistres ; d'aucuns prétendent que c'étaient les hurlements des loups attirés par l'espoir de happer quelques lam- beaux de chair humaine* Certains de ces arbres, plusieurs fois centenaires, comme ceux du mont Balichal et du col du Pilon, figurent encore sur la carte de Gassini, éditée au xviu e siècle. Les vieillards se rappellent vaguement la vénération superstitieuse qu'éprouvaient leurs ancêtres pour ces géants du règne végétal. L'étude de toutes les coutumes curieuses, encore en usage en Beaujolais, nous entraînerait trop loin ; elles feront l'objet d'un ouvrage spécial en préparation. Nous nous bornerons ici à signaler celles qui rappellent les plus anciennes survivances du passé. Un serpent ailé, espèce de dragon fantastique, analogue à la Vouivre de la Franche-Comté, se voyait autrefois en Beaujolais. Il portait sur la tête une escarboucle brillante comme une petite lune », d'après l'expression des vieillards qui l'ont vu, et ses ailes étaient en diamant. Cette dernière particularité lui avait fait 1 Cucherat Abbé, les Origines du Beaujolais. 190 SOCIÉTÉ d'aNTHBOPOLOGIB DE LYON donner le nom de serpent-diamant et plus rarement, comme dans le Lyonnais, celui de dragon-volant. Un serpent-diamant fréquentait jadis les fontaines qui a voisinent le col de la Croix-de-1'Orme, à Trades, principalement la font de la Lyeune, et vivait dans les sombres profondeurs du bois des Sarpeux, qui lui devait son nom. On raconte, comme à Gondes l Jura, qu'un individu aurait réussi à s'emparer de l'escarboucle au moment où il la déposait pour boire à une fontaine. Pour arriver à ses fins, notre avide personnage se serait caché sous un cuvier qu'il aurait posé vive- ment, au moment voulu, sur l'objet de sa convoitise. Le dragon se serait tué en se précipitant aveuglément sur le cuvier que le ravisseur avait eu la précaution de hérisser à l'extérieur de clous acérés. C'est depuis ce moment qu'on ne voit plus le serpent-dia- mant dans le pays. L'idée du serpent symbolique se retrouve dans la croyance singulière que le coq pond annuellement un œuf et que de cet œuf naît un serpent qui ne serait autre que le basilic. On attribuait à cet animal fabuleux la faculté de tuer par son seul regard. D'autres prétendent que l'œuf de coq donnerait naissance au Cretou, lézard rouge, fantastique, qui se trouvait dans les champs de blé et dont la morsure était mortelle. Les femmes du Beaujolais recomman- daient expressément à leurs maris, allant jadis moissonner en Bresse, de prendre garde au Cretou. Dans notre jeunesse, nous avons entendu maintes fois réciter la priôre suivante où se trouve cité le Cretou grand saint Hubert, préservez-nous de la serpent, du loup bèramin bramant, du chien enragé, du cretou et de toutes bêtes venimeuses. Ainsi soit -il ! » Vieilles coutumes. — Le 1 er mai, l'antique fête du mariage de la terre avec le ciel se célèbre encore dans la majeure partie des villages* Dans la nuit du 30 avril au 1 er mai, les jeunes gens vont quêter de porte en porte en chantant des ballades sur un mode 1 Monnier et Vingtrinier, loc. cit., p. 103. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 191 mineur archaïque. Ils s'accompagnent parfois du son de trompes faites en écorce, rappelant le cor des Alpes. On leur donne de l'argent, du vin et surtout des œufs. Un banquet, où se consom- ment les provisions recueillies, réunit, le dimanche suivant, lea quêteurs nocturnes. La fôte du solstice d'été, commencement de Tannée celtique, est tombée en désuétude. Vers 1840, dans les environs de Monsols, les- bergers continuaient seuls la tradition. Il était d'usage de leur donner, ce jour-là, des provisions supplémentaires, principalement des beignets. Les bergers et bergères se réunissaient alors autour d'une fontaine pour dîner en commun et jouer à toutes sortes de jeux. En se rendant au lieu du rendez-vous, ils s'appelaient de loin, en chantant une sorte de couplet qui se terminait par l'excla- mation c4, 0, Ô, ô, Bardéo ! » Cette évocation des bardes, chantres des traditions nationales chez les Gaulois, est étrange. Peut-être ne s'agit-il aussi que d'un mot forgé pour la rime, n'ayant aucun sens précis. Le champ reste ouvert aux hypothèses. Le dernier berger arrivé était accueilli par une expression tri- viale qui signifiait qu'il avait encore au derrière une partie de l'œuf dont il sortait, ce qui retardait sa marche. On attachait alors à la partie postérieure de son individu un petit fagot d'épines qu'il devait garder une partie de la journée. L'association, dans cette fête du sabéisroe, de l'idée de l'œuf r considéré par les anciens comme le principe de la fécondité, avec celle du soleil, sans lequel il n'y aurait pas de vie sur la terre, est intéressante à signaler. L'une des plus curieuses survivances du passé est l'antique insti- tution des pleureuses salariées de Belleville- sur-Saône. A chaque décès, l'une d'elles est chargée d'aller faire des offres de service à la maison mortuaire. Au plus ou moins grand nombre de pleureuses qui suivent le cercueil, on peut juger de l'opulence ou de l'orgueil de la famille du défunt. Il est évident que cette coutume, qui rap- pelle les Choephores d'Eschyle, remonte au moins à l'époque romaine. Les maîtres du monde l'avaient sans doute empruntée aux Grecs. L'antique Lunna, qui a précédé Belleville, n'a donc pas 192 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON disparu durant des siècles, comme on Ta souvent écrit. Ruinée un grand nombre de fois, comme toutes les petites cités de la vallée de la Saône, il est toujours resté en ce lieu un noyau de population transmettant aux générations suivantes les traditions du passé. Si les pleureuses ne chantent plus des nenies en l'honneur du défunt, elles prient pour lui et suivent le cercueil en portant chacune un cierge bénit. Dans la vallée de l'Azergues, les garde malades, conservatrices des anciens rites funéraires, ne manquaient jamais de cacheter les morts, et quelques-unes, m'a-t-on dit, le feraient encore. Dès que le moribond avait rendu le dernier soupir, avant de procéder à sa dernière toilette, on lui faisait couler quelques gouttes de cire sur le nombril. C'est pour montrer que la source de vie est tarie », répondit une vieille femme à qui on demandait la raison d'être de cette cérémonie. Les mariages donnaient lieu jadis à de curieuses coutumes, qui ont presque entièrement disparu. Il est de bon ton, aujourd'hui, sous peine de paraître arriéré, non seulement d'adopter les cos- tumes de la ville, mais aussi d'en imiter tous les usages. 11 y a une cinquantaine d'années on suivait encore généralement le cérémonial suivant le matin de la noce, la fiancée, aidée de ses compagnes, se cachait le mieux possible. Les jeunes gens se met- taient à sa recherche et celui qui parvenait à la trouver devenait, de ce fait, le garçon d'honneur. La fiancée était ramenée triompha- lement à la maison paternelle, mais la porte se fermait au nez du futur. Un dialogue chanté s'engageait alors entre les deux fiancés. A défaut des paroles exactes, en voici le sens Lut. — Ouvrez-moi donc la porte, la belle, si vous m'aimez 1 Elle. — Je n'ouvre point ma porte à cette heure. Lui. — Je suis dans la neige jusqu'au milieu du dos. Elle. — Passez par la fenêtre la plus près de mon lit. Etc., etc. On finissait par laisser entrer le jeune homme et la noce partait pour l'église. La mariée, qui tenait à prendre un peu d'autorité dans le ménage, LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 193 devait éviter de se laisser enfoncer l'anneau de mariage au-dessous de la deuxième phalange; pour cela, elle pliait vivement le doigt au moment psychologique. A la sortie de l'église, un jeune garçon se plaçait en tête du cortège, portant un mai garni de chanvre comme une grande que- fuseau et des beignets étaient suspendus à l'étoupe. Au sommet du mai, flottaient des rubans multicolores retenant une poule vivante. On remettait aussi à la mariée un petit rameau orné de beignets confectionnés en forme de bébés par le meilleur cordon-bleu du pays. La noce se mettait en marche en chantant des morceaux de cir- constance, accompagnés du son de la cornemuse ou de la vielle, que coupait, de temps à autre, le bruit strident des coups de feu. A la porte de la maison un pain était présenté au marié. Après avoir fait le signe de la croix, celui-ci devait l'entamer avec son couteau ou avec les dents, si l'émotion lui avait fait oublier cet utile instrument. En prévision de cet incident, qui mettait en joie les assistants, le pain choisi n'était pas le moins dur de la huche. La mariée trouvait le balai et les ustensiles du foyer la pelle, le soufflet et le tisonnier à la porte du logis. Pour montrer qu'elle serait une femme d'ordre, elle remettait ces objets à leur place respective. Dans quelques localités on présentait aussi un berceau à la jeune épouse. Avant de se rendre dans la chambre nuptiale, les époux man- geaient une soupe au vin et buvaient le breuvage amoureux, qui devait leur donner une postérité vigoureuse. Les veufs et les veuves qui se remarient sont toujours gratifiés d'un charivari, qui ne prend fin que lorsque les futurs conjoints * ont payé un tribut en liquide et aussi en numéraire. Le premier dimanche de carême se célèbre la fête des nouveaux mariés. Les jeunes gens et les jeunes filles organisent un banquet auquel sont invités les mariés de l'année précédente. Une excep- tiod est faite pour les couples dont l'union a déjà donné lieu à un baptême dans les délais légaux ou extra-légaux. A l'issue du dîner les jeunes gens portent triomphalement dans un fauteuil la mariée qu'ils veulent honorer et lui font mettre le feu à la borde feu de 194 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON joie, clou de la fête. Une immense ronde, accompagnée de chants t de cris joyeux, se forme autour du bûcher, pour ne prendre fin -qu'à son extinction complète. Sorcellerie. — La croyance aux sorts et aux sorciers est indéracinable. Nous connaissons plusieurs personnages vivant largement de la crédulité populaire qu'ils savent fort bien exploi- ter. Nous nous abstiendrons de citer les cantons qu'ils habitent, ce serait leur faire une réclame de mauvais aloi. Les sorts sont lancés par les fées, les sorciers, les prêtres et les mendiants ou mendiantes. Sont considérés comme sorciers, non seulement ceux qui lancent les sorts, mais ceux qui les lèvent. Voici comment l'un d'eux a procédé dernièrement, dans une com- mune du canton de Beaujeu, pour débarrasser d'un sort les vaches •d'une étable humide, à moitié enterrée dans le sol. Le sorcier pénétra à minuit dans la pièce et se deshabilla com- plètement dans un coin qui avait été nettoyé avec soin. Laissé dans l'obscurité, il commença ses mômeries, accompagnées de cris inarticulés et sans doute aussi de mouvements désordonnés, car il était en nage lorsqu'il se montra aux gens de la maison, qui avaient écouté ses invocations blêmes de terreur. On fit ensuite chauffer, au milieu de la cour, l'eau d'un chaudron dans lequel on avait mis de grands clous et les attaches de tous les animaux de l'étable. Pendant cette étrange cuisine, le sorcier se tint à quelque distance, continuant ses cris qui étaient censés être l'expression de la souffrance endurée par celui qui avait lancé le sort. Les gens du village prétendent que, depuis la visite du sorcier, les bêtes malades ont été guéries et sont devenues les plus robustes du pays. Beati pauperes spiritu... Un autre de ces charlatans fit laver une étable avec une infusion de verveine et suspendre au* dessus des animaux malades un bou- quet de cette plante chère aux druides. En général les sorciers défendent expressément de détruire les toiles d'araignée qui souillent le plafond de l'écurie sous peine de rendre malades ses hôtes. Les sorciers sont non seulement appelés pour lever les sorts, LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 195 soigner les animaux, mais encore pour guérir les humains. Nous pourrions citer des familles que leur éducation devrait mettre au- dessus de ces croyances puériles et qui ne rougissent pas de faire appeler le sorcier, concurremment avec le médecin. Les pres- criptions les mieux suivies ne sont souvent pas celles de la Faculté. Un acte de sauvagerie digne du moyen âge, inspiré par une sorcière habitant, nous a-t-on dit, la banlieue lyonnaise, s'est accompli il y a quelque dix à douze ans sur le territoire de la commune de Quincié. Deux familles des environs firent brûler vives, à minuit, chacune une chèvre dans le lit du ruisseau des Sansons, avec l'espoir que cet autodafé leur procurerait un riche héritage convoité. L'affaire a été relatée en son temps par plusieurs journaux du département. Il est triste de constater avec quelle ténacité les habitants de la campagne continuent à prendre au sérieux de grossières pratiques charlatanesques, alors qu'ils abandonnent à l'envi les curieux costumes provinciaux et oublient les traditions symboliques de leurs pères qui mettaient un peu de poésie dans leur rude labeur. RÉPERTOIKE PAR COMMUNES DES TROUVAILLES PRÉHISTORIQUES EN BEAUJOLAIS Alix, canton d'Ange. — Atelier paléolithique du Poteau 67 nucleus; 15 percuteurs; 3 pointes moustériennes ; 2 racloirs; 22 burins; 155 lames ou couteaux; 1 grattoir néolithique ; plus de 1000 éclats ou déchets de fabrication en silex rosé 1 . Anse, de c. — Près la gare 1 hache chelléenne en silex et une vingtaine de pièces grossières ayant même patine. Près de là, découverte, vers 1855, d'ossements à'elephas en construisant la ligne de Paris-Lyon-Marseille. Au confluent de TAzergues 7 lames, 1 scie. Hache en pierre polie au môme lieu, signalée par A. Steyert 2 . Dans le lit de la Saône, en face Saint-Bernard, épée en bronze. Collection Valentin-Smith. — Bracelets en bronze. Vendus à un antiquaire de passage. Hache en bronze. Collection Rangé, à Trévoux. Amplepuis, de c. — Camp du Terrai 1, silex taillés, nucleus, percuteurs, polissoirs nombre indéterminé, 1 petit cro- chet, 1 fibule brisée et 1 agrafe en bronze, 1 mors de cheval ? bronze et fer 3 . Collection Paul de Varax,à Amplepuis. 1 nucleus, 7 lames et une dizaine d'éclats divers. 1 La grande majorité des instruments étant en silex nous nous dis- penserons de le répéter chaque fois ; en cas d'exception, d'ailleurs, la nature de la matière première sera toujours indiquée. Les pièces san9 citation de collection proviennent de nos recherches personnelles. 2 Loc. cit., p. 17, fig. 14. 3 P. de Varax, loc. cit., p. 7. Soc. antb. — Beauj. préhist» 18 198 société d'ànîhuoPoloGie tK LYON Ardillats, c. de Beau jeu. — 1 nucleus ; 15 instrumenta brisés à la Roche. Arnas, c. de Villefranche. — Poteries néolithiques dans les berges de la Saône, à l'embouchure du Nizerand. Collection A. de Ferry. 2 lames et 1 scie, rive droite du Marverand. Aven as, c. de Beaujeu. — 1 nucleus; i grattoir; G petites lames aux alentours de Ja fontaine des Fayeltes. Bagnols, c. du Bois-d*Oingt. — 3 pointes taillées sur une seule face ; 8 lames près la fontaine de Saint-Aigues. Collection MariusColard. Belleville, de c. — Dragages de la Saône 1 scie en silex de 11 centimètres de long ; 3 grattoirs; 8 lames; 3 pointes ; 4 percuteurs; 2 doubles molettes formées de cailloux siliceux; poteries grossières avec mamelons latéraux non percés de trous de suspension. Bois-d'Oingt le, de c. — Magnifique percuteur sphérique. Breuil le, canton du Bois-d'Oingt. — 2 grattoirs ; 6 lames ou couteaux; 1 nucleus ; une cinquantaine de pièces brisées néoli- thiques ; ossements de chevaux. La Pierre 2 pointes et un perçoir. Bully, c. de l'Arbresle. — Une dizaine de silex taillés sur une seule face, présentant le faciès moustérien, recueillis par M. E. Pélagaud. Muséum de Lyon. Cenves, c de Monsols. — 1 hache polie en schiste au Vieux- Chàteau l . Collection de Ferry 8 . 1 grand racloir moustérien aux Molliers. Cercié, c. de Belleville. — Hache en pierre polie, longue de 1 De Ferry et Arcelin, loc. cit., p. 100. * De Ferry et Arcelin, loc. cit., pi. XXXVII, fig. 5. i\E BEAUJOLAIS PRÉHISTORIQUE 199 12 centimètres, à section presque circulaire trouvée par le Maire, M. Guillin. Station de Saint-Ennemond 5 grattoirs à sommet épais et retouché en demi-cercle ; 1 pointe de flèche triangulaire taillée sur les deux faces, à base rectiligne; 15 couteaux; 250 éclats présentant des traces de taille. Chambost-Allières, c. deLamure. — - 1 tranchet; 3 petits couteaux de silex brun; 13 fragments de silex ouvré près le hameau du Cocon. Chamelet, c. du Bois-d'Oingt. — 3 pointes et 7 lames. Charentay, c. de Belleville. — Une pointe solutréenne à cran ; 2 pointes de flèches amygdaloïdes, à base arrondie ; 1 retou - choir; une dizaine de lames. Collection Savoye. Chapelle de Saint-Pierre 2 nuclcus ; 3 percuteurs; 1 racloir moustéricn en silex cacholonné; 2 perçoirs et une vingtaine de pièces diverses brisées. Monternot une pointe de flèche ovalaire en silex rougeâ- tre, taillée sur les deux faces, avec coches latérales; 1 pointe de flèche à pédoncule et 2 coches latérales. Aux Nicolas une hache en pierre polie*. Bourg 5 foyers ayant donné des poteries de l'épo- que du fer; 1 petite tige de ce métal et 2 cornes de taureau renfermées dans un vase. Charon 2 grattoirs; 1 perçoir ; 6 lames. Chàtillon-d'Azergues, c. du Bois-d'Oingt. —1 nucleus; 1 scie ; 17 lames. Chessy-les-Mines, c. du Bois-d'Oingt. — La Hoche 2 nucleus; 2 pointes triangulaires 12 lames. Corcelles, c. de Belleville. — 4 haches chelléennes en silex ; 7 racloirs et 6 pointes du type du Moustier; 2 disques ; 1 pointe de flèche en silex rose, à base rectiligne ; 2 pointes de flèches à barbe- lures et pédoncules ; environ 200 pièces brisées appartenant aux 1 Nous n'avons rencontré jusqu'à ce jour aucune bacbe polie en silex, elles sont généralement en roches dures diorite,chloromélaDite,porphvre, serpentine, schiste et jadéite. 200 SOCIÉTÉ D' ANTHROPOLOGIE DE LYON genres couteaux, racloirs, grattoirs, scies, retouchoirs ; 2 haches en pierre polie ; nombreux fragments de meules en grès, 3 cime- tières par incinération paraissant appartenir aux époques du bronze, du fer et gallo-romaine ? Dracé, c. de Belleville. — 1 racloir moustérien sur Ja rive droite du Torbay. Berges de la Saône foyer néolithique ayant donné 1 vase à anse fait à la main en forme de tasse, non loin de l'embouchure de TOuby; 4 lames et 1 pointe en silex jaune sur la plage en amont du pont de Thoissey. 2 grattoirs; 5 pointes; 22 lames, à 150 mètres en aval dudit pont. Station du barrage de Thoissey 15 grattoirs épais et courts; 7 ; 3 percuteurs ; 42 lames; une centaine d'éclats. Chapelle de Saint-Pancrace 6 couteaux; 21 pièces brisées. Lit de la Saône hache en bronze à oreillettes courtes et rapprochées du sommet de la pièce. Collection Valentin-Smith. Une cuirasse et des épées en bronze extraites en construisant le barrage. Pièces vendues à Paris. Emeringes 1 , c. de Beaujeu. — 1 hache en pierre polie, aux Benons ; 8 lames et 2 grattoirs, à Vavres. Juliénas, c. de Beaujeu. — Station de Bessay 1 pointe à cran ; 12 grattoirs simples ; 1 grattoir double ; 35 lames minces et élancées; 2 nucleus; 5 percuteurs; environ 200 éclats portant des traces de taille. Jullié, c. de Beaujeu. — Station de Roland 2 grattoirs à sommet en éventail ; 42 très petites lames; 9 pièces triangulaires ayant pu être utilisées comme pointes de flèches ; 5 nucleus; 1 fragment de bracelet en lignite; environ 150 éclats. Joux, c. de Tarare. — 3 lames; 1 perçoir; 14 éclats de silex taillé près du col de la Chapelle. Lamure, ch. 1. de c. — Camp de l'Auguel , 3 nucleus ; 2 grattoirs ; un talon de hache en pierre polie ; une vingtaine de 1 De deux mots celtiques hem habitation, rin colline, montagne. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 201 lames et de nombreux éclats ; des fragments de vases percés de trous de suspension. Lachassagne, c. d'Anse. — 2 racloirs moustériens ; 1 pointe; 11 lames, au ncrd du Bourg. Lancié, c. de Belleville. — Le Ghâtelard 1 pointe ; 3 cou- teaux ; poteries de l'époque du fer à bandes impressionnées ; osse- ments calcinés. Lantignié, c. de Beaujeu. — 1 pointe en feuille de laurier de 72 millimètres de long; 2 tranchets; 20 lames en silex de couleur blonde. Lozanne, c. d'Anse. — Station de Dorieux 1 racloir moustérien; 4 pointes grossièrement dégrossies; 7 grattoirs néolithiques ; 40 lames et pièces diverses brisées. Marchampt, c. de Beaujeu. — Fontcréty 4 nucleus; 1 per- cuteur; 5 pointes de flèches triangulaires ; 1 percuteur ; 210 éclats de silex. Marcy-sur-Anse, c. d'Anse* — 4 tout petits nucleus ; 2 grattoirs ; 16 couteaux ; 1 fragment de bracelet en pierre polie à Montézin. >, c. du Bois-d'Oingt. — Côte des Fées 1 pointe de flèche barbelée et à pédoncule, en silex. Verpian 1 retouchoir en silex rougeàtre craquelé; 1 nucleus; 2 percuteurs; 17 la- mes. Monsols, ch. 1. de canton. — 2 nucleus ; 8 petites lames, au Ghâtelard; 3 grattoirs robenhausiens au col de Crie. Montmelas, c. de Villefranche. — 5 grattoirs en silex ; 1 grattoir en quartz; 1 percuteur; 15 couteaux, près l'ancienne chapelle de Saint-Roch. Morancé, c. d'Anse. — Station de l'Izérable 1 pointe de flèche à pédoncule, en silex rose ; 1 pointe de flèche à pédoncule 202 société d'anthropologie DE LYON et barbelures ; 1 perçoir; 3 nucleus 1 percuteur ; 21 couteaux ; 1 scie et plus de 150 pièces brisées. Bourg i hache en pierre polie en porpbyre-dioritique ; 5 lames. Grotte de la Sarrasinière .• 4 silex taillés sur une seule face ; 1 fusaïole en terre cuite ; frag - ments de céramique grossière, faite à la main, en terre rougeâtre ; ossements appartenant aux espèces suivantes homme, chien, renard, chat, blaireau, bœuf, chèvre, cochon, coq et canard. Nuelles, c. de l'Arbresle. — 6 lames; 1 grattoir, au nord de la commune. Odenas 1 , c. de Belleville. — La Grange-aux-Lions; 1 hache chelléenne en silex ; 1 hache en pierre polie ; 2 pointes de flèche taillées sur les deux faces, à base arrondie; 1 fragment de lame d'épée en bronze ; 2 fragments de bracelet en pierre polie. Pier- reux et la Cloche 17 pointes et 47 racloirs du type du Mous- tier ; 76 pièces brisées ou ébauchées de la même époque ; 26 pointes de flèches taillées sur les deux faces, à barbelures, pé- doncule, en amande, à base convexe, rectiligne ou concave ; 1 pointe de flèche eo losange, avec crans latéraux ; 37 grattoirs simples ; 3 grattoirs doubles ; 7 nucleus ; 4 percuteurs ; une cen- taine de lames, 5 haches en pierre polie. Brouilly 1 casse -tête en diorite, percé d'un trou d'emmanchement ; trente silex brisés ; une bouterolle en bronze. La Poyebade 5 burins ; 3 tranchets; 2 nucleus ; 15 lames. Nervers 2 haches en pierre polie; 1 pointe de flèche à pédoncule et barbelures; 2 scies. Plusieurs milliers de fragments de silex ouvrés sur le territoire de la commune. Pommiers, c. d'Anse. — Buisante 1 pointe en feuille de laurier incomplète ; 10 pièces brisées taillées sur les 2 faces ; fragments de bois de cervidés. Grotte de Saint- Try éclats de silex taillé. Quincié, c. de Beaujeu. — La Grande-Grange 1 retouchoir en silex jaune-brun ; 1 racloir moustérien ; 20 lames et pièces brisées. 1 Autrefois Oudeaas, du celtique oude contre et neack montagne. LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 203 Quinoieux, c. de Neuville. — Veicieux 3 grattoirs ; 2 nucleus ; 17 lames. Dans le lit de la Saône, eu aval de l'ile du Roquet 1 faucille à bouton, en bronze. Collection Guigue. En face Trévoux ; 3 flèches en bronze à soie et à ailerons. Collection Valentin-Smith. Une épingle en bronze. Vendue à un antiquaire de passage. Ronno, c. d'Amplepuis. — Les Salles 1 perçoir; l'tranchet et 4 petites lames en silex bleuâtre. Saint -Etienne- des- Oullières, c. de Belleville. — Station de Néty 5 haches chelléennes en silex jaunâtre. Tune avec incrustation de poudingue siliceux; 14 racloirs; 7 pointes du Moustier ; 4 disques; 58 lames et éclats divers. Station de Millv 6 pointes et i 1 racloirs du Moustier; nucleus; 3 per- cuteurs; environ 120 pièces incomplètes en silex. Le Moulin-à- Vent 3 pointes moustériennes recueillies par M ma Berroujon ; 1 talon do hache en pierre polie. La Bâtie 14 grattoirs dont 3 discoïdes ; 17 lames. Saint -Etienne-la- Varenne, c. de Belleville. — Aux Tours 1 pointe moustérienne ; 2 grattoirs; 11 lames. Au Bourg, 1 nucleus ; 3 couteaux; 1 fragment de hache en pierre polie. Col de la Sablières, 4 pointes de flèches triangulaires, 1 nucleus, 14 lames. Saint-Lager, c. de Belleville. — La Pilonnière 1 pointe et 1 racloir moustériens. La Grande Raie 1 double grattoir ; 5 lames; un percuteur. Beauvoir 1 pointe de flèche à base recti- ligne. Bryanto une quinzaine de silex brisés. Le Bourg 3 grandes lames ; 8 plus petites ; 1 scie. Saint-Georges de-Reneins, c. de Belleville. — Palafit- tesdeGrelonges 2 pointes en feuilles de laurier, l'une entière, l'au- tre brisée; 220 grattoirs; 185 lames; 1 lame en cristal de roche; 22 tranchets; 5 pointes de flèches triangulaires;4 pointes de lances; 18 nucleus; 15 percuteurs; environ 800 pièces brisées diverses, en si- 20 \ SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE LYON let; 25 haches en pierre polie, entières ou incomplètes, dont une en jadéite; 2 haches en diorite préparées pour le polissage \ 1 ciseau en pierre dure; 2 casse -tête, l'un en diorite, l'autre en porphyre ; 3 double-molettes formées de cailloux allongés ; cinq molettes en forme de disque; une vingtaine de fragments de meules en grès ; 1 meule rectangulaire en même matière, mesurant 65 centimètres sur 38 ; plusieurs centaines de fragments de vases pour la plu- part faits à la main et munis d'anses formées de mamelons unis ou percés de 1 à 4 trous de suspension ; 2 fragments de potagers ? ornés de cercles et de croix, et percés de trous de 16 millimètres de diamètre; 3 fragments avec cordons torses autour du col. Nom- breux ossements appartenant aux espèces suivantes Homo^ Melles taxus, Canis familiaris, Bos *primigenius, Bos taurus, Capta kir eus % Cervus elaphus, Sus scrofa, Equus caballus. Gué de Voldé 1 pointe de flèche triangulaire, forme dite de Chassey ; 1 pointe de flèche à base arrondie ; 2 pointes de flèches à base rectiligne; 1 à base concave ; 34 fragments divers de silex taillé ; dans la berge, ossements de bœuf et fragments de vases de l'époque du fer. Berges de la Saône, en amont de la Grange du Diable poteries de l'époque du bronze. Collection de Ferry. 1 lamelle en bronze recueillie dans la couche à poteries. Aux Tournelies de Flandres 4 racloirs moustériens; 1 retouchoir ; 2 percuteurs; 2 petits nucleus ; 1 hache en pierre polie; une di- zaine de lames. Boitrait 5 pointes de flèches à barbelure et pé- doncule ; 2 pointes de flèches sans barbelures, à pédoncule ; 9 pointes de flèches en amande, à base rectiligne ou convexe ; 19 grattoirs ; Il nucleus ; 5 percuteurs; 112 lames la plupart très petites ; 17 éclats triangulaires ayant pu servir de pointes de flèches; 2 haches en pierre polie ; 2 molettes à broyer le grain ; 1 fragment de disque en pierre polie; 186 éclats de silex portant * des traces de taille intentionnelle. Fouilles de novembre 1898 la moitié d'un casse-tète en pierre polie ; une hache en pierre polie; 1 pointe de flèche triangulaire; une trentaine d'éclats de silex ; poteries grossières de même facture que celles de Grêlon- ges; 1 fragment de ceinture en bronze ; 2 urnes funéraires gallo- romaines ; 1 cimetière d'âge indéterminé contenant une centaine LE BEAUJOLAIS PREHISTORIQUE 205 de corps. Nuits 20 racloirs grossièrement factures ; 2 pointes mou8tériennes; 7 larges éclats de silex. Berges de la Vauxonne 1 petit foyer à 5 mètres de profondeur ; 1 pointe de flèche brisée à base rectiligne en silex couleur lie de vin ; 5 éclats de silex dans le môme foyer. Saint-Just-d'Avray, c. du Bois-d'Oingt. — 1 pointe de llèche triangulaire ; 1 petit nucleus et 7 lames autour d'une source sur les flancs du Crêt-de-Néry. Saint-Romain-de-Popey, c. de Tarare, — Au Crét-de- Popey i grattoir robenbausien ; 3 nucleus ; 2 pointes de flèches triangulaires; environ 40 éclats de silex taillé. Taponas, c. de Belleville. — Aux Pérelles 3 grattoirs ; 5 lames ; 1 percuteur ; 1 scie. Embouchure de l'Ardière i pointe épaisse en silex rouge; 1 large éclat presque circulaire avec plan de frappe, bulbe et esquille. Tarare, de c. — Bords du Peisselay 1 grande pointe et 3 lames. Theizé, c. du Bois-d'Oingt. — i nucleus cacholonné ; 2 poin- tes ; 7 lames au col conduisant à Oingt. Un cimetière avec tombes en pierres brutes a été découvert au même lieu vers 1880. Font- Sala 1 racloir moustérien ; 4 disques et 8 lames cacholonnées. Vauxrenard, c. de Beaujeu. — La Roche-aux-Loups 1 nu- cleus ; 15 petites lames. Villié-Morgon, c. de Beaujeu. — Les Chênes 2 nucleus ; 3 pointes; 14 lames. Les Grands Gros 1 nucleus- percuteur ; 5 pointes ; 3 lames. Villefranche-sur-Saône, d'arrondissement. — Aux Garrets 10 raoloirs; 7 pointes et une quarantaine d'autres pièces présentant tous les caractères des instruments dits du Moustier. Ce gisement archéologique est en même temps paléon- 206 société d'anthropologie DE LYON tologique, il a fourni des ossements appartenant aux espèces sui- vantes Hyaena crocuta; Rhinocéros Mercki, Rh. tichorhînus, Elephasmeridionalis , Elephas antiquus, Elephas prïmigenius, Equus caballus, Sus scrofa. Bison priscus, Cervus megaceros?, Cervus cadanensis, Cervus elaphus, Cervus tarandus, Castor fiber des Paludines VaXvalaobtusa, Vivipara Burgondina y Vivipara espèce nouvelle et Bithynia tentaculata. Collections du Muséum et de la Faculté des sciences de Lyon. Eclats de silex taillés sur une seulo face. Collection de l'Ecole d'anthropologie de Paris. Bourdelan 2 grattoirs épais et courts ; 1 pointe de flèche amygdaloïde, taillée sur les deux faces, à base arrondie ; 3 pointes de flèches à pédoncule et barbelures; 3 petits nucleus; un percu- teur formé d'un fragment de porphyre ; une vingtaine de lames ; 38 éclats présentant des traces de taille intentionnelle. Bords de la Saône en amont du pont de Frans 3 nucleus ; une cinquantaine d'éclats de fabrication. Berges de la Saône en aval du pont de Frans poteries de l'âge du bronze ; molette à broyer en quart zi te. Collection de Ferry. Béligny 3 bracelets ouverts et ovales, la tige plate au dedans, bombée sur le dos et ornée de nervures sur le pourtour ; une épingle à collerette, à tête sphérique ornée de dix petits disques mobiles ; des anneaux et une sorte d'agrafe, le tout en bronze. Musée de Villefranche. lay>. ^Mo/tfvcf. à&m CHANSONS DE MAI Recueillies en Beauj
Spécialité Médecine GénéraleCabinet 14, Chemin Moulin a Cafe97432 Ravine des CabrisLA REUNION Prendre Rendez-vousMédecin Conventionnée Secteur 1 Est équipée pour la Carte VitalePaiement Acceptés💶 Espèces 🖋️ Chèque Exercice LibéralParle le FrançaisNuméro RPPS 10002325677N° ADELI 97 1 42020 3 Le Dr Nathalie Madani n'est pas disponible et vous avez besoin d'un rendez-vous urgent ? 📞Appelez Mainenant pour connaitre le Médecin de Garde la plus proche🩺 7j/7j 24h/24h ⚕️ Un opérateur va vous donner le nom, l'adresse et le téléphone du Médecin de Garde la plus proche de chez information change tous les jours, c'est pourquoi nous ne pouvons pas vous la donner directement en ligne ici. Note des Internautes☆☆☆☆☆ Pas encore d'AvisVous connaissez ce Médecin ?Soyez le premier à nous donner votre Ⓕ ⓉVous êtes le Dr Nathalie Madanipour mettre à jour votre fiche, ajouter des photos c'est ici12 Médecins Généraliste à proximité Dr Nathalie Madani Médecine Générale département 974 La RéunionMadame Nathalie Madani est un Dr libéral spécialisée en Médecine cabinet se trouve en Dom Tom, département La Réunion, dans la ville de Ravine des Cabris, au 14, Chemin Moulin a Cafe Latitude Longitude Tarifs conventionné Secteur 1, elle accepte la carte vitale, son numéro rpps est 10002325677, et son identifiant adeli est 97 1 42020 peut dialoguer en Français. Elle accepte les Chèques, et les détails de Madani Nathalie ont été regardés 32643 foisMise à jour le Dimanche 25 Octobre 2020Médecin suivant Isabelle Favreul Gerolami Autres résultats en rapport à cette fiches fournis par Google le 17 Septembre 20161 - SCF MADANI NATHALIE-LEPENNETIER YVES - Médecin généraliste ... SCF MADANI NATHALIE-LEPENNETIER YVES à Saint-Pierre - L'Annuaire de La Poste - Adresse, numéro de téléphone, produits et services de SCF MADANI NATHALIE ... - Dr Nathalie Madani, Médecin généraliste à RAVINE DES ... Docteur Nathalie Madani, Médecin généraliste, exerce à RAVINE DES CABRIS 97432 à La Réunion 974, à Saint-Pierre 97410 à La Réunion 974. - Médecin à RAVINE DES CABRIS 97432 Le Guide Santé Dr Nathalie Madani. Médecin Médecin généraliste. 14 chemin Moulin A Cafe 97432 Ravine des Cabris. Afficher le numéro de téléphone. Dr Pascal-André - MADANI KEYVAN - Médecin généraliste à Aulnay-sous-Bois ... MADANI KEYVAN à Aulnay-sous-Bois - L'Annuaire de La Poste - Adresse, numéro de téléphone, produits et services de MADANI KEYVAN. Contacter par téléphone ... - Mevel Nathalie Saint Pierre adresse - PagesJaunes Mevel Nathalie Saint Pierre Médecin généraliste adresse, photos, retrouvez les coordonnées et informations sur le professionnel - Les entreprises du secteur Activité des médecins ... 31 - SCF MADANI NATHALIE-LEPENNETIER YVES - 443778337 / 00016 97432 SAINT PIERRE Activité 8621Z Activité des médecins - Assistant Maladies Infectieuses, Nantes - Assistant maladies Asseray Madani Nathalie Mail Toggle navigation Menu Recherche. Infectiologie. SPILF. Qu'est ce que la SPILF ? Adhésion; Liste de ... - Vendramini Laure à EPFIG 67680 PLACE DE LA MAIRIE ... MADAME NATHALIE MADANI Saint-Pierre; Batzenhoffer Patrick KOGENHEIM; Voir + Offres pro 118000. Devenez visible sur l'annuaire. Nos offres. Bons - Médecins généralistes - page 54 Trouvez les meilleures Médecins généralistes parmi les 56092 disponibles. Consultez 5482 opinions de patients ainsi que les prix, et prenez Olivier COZETTEVous êtes le Dr Nathalie Madanipour mettre à jour votre fiche, ajouter des photos c'est iciVous pouvez maintenant supprimer les publicités et les N° surtaxés de votre ficheDe nombreuses options avec 3 Formules au choix, demandez une Démonstration du nouveau Compte Pro KesKeCes ici
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